Le Soulèvement des Femmes Arabes
Depuis plusieurs mois, une page Facebook agite le paysage arabe « The Uprising of Arab Women ». La fête de la femme a été l’occasion pour le mouvement de sortir des écrans d’ordinateurs et de passer directement dans la rue avec des campagnes publicitaires de sensibilisation à la cause féministe dans le monde arabe. L’occasion de revenir sur le féminisme dans le monde arabe : Un sujet qu’on pourrait ressasser des jours durant tant il est sujet à polémiques, à débats, tant le chemin qui reste à parcourir semble long et tortueux.
Si l’homme arabe est un soussujet traité comme un minable dont on peut aisément disposer, la femme, elle, est encore moins. La femme dans le monde arabe, c’est la mère et puis tout le reste, c’est des hymens à protéger, des libertés à confisquer, et quelques poignées de cheveux à couvrir. Sa sentence est double, l’État reconnaît expressément son infériorité, et une bonne partie des débats qui passionnent les foules traitent de son corps, de son apparence, du degré de liberté à lui accorder, et de l’autre côté, dans la société, c’est une pas grand chose, voir bien souvent une rien du tout. Sans vouloir tomber dans les clichés, mais combien de femmes, transportées comme du bétail pour combler les fantasmes d’un quelconque magnat du pétrole ? Ou bien, ce jeune homme, qui, lassé de l’âpreté de la misère, espérait vendre sa petite soeur à quelque obèse du Golfe, assoiffé de chair juvénile contre laquelle frotter la sienne?
Bien sûr ce sont quelques cas extrêmes, la plupart des femmes ne passent pas par là, mais au fond, que savonsnous ? Combien de jeunes filles retirés de l’école pour aider leur mère au ménage ? Combien d’enfants (toujours des filles) données par leurs familles à une riche famille, qui va soit disant l’éduquer et l’intégrer à la leur, alors qu’elle ne fera que servir ses « frères » et « soeurs » qui eux, ont eu la chance de naître sous de meilleurs auspices.
Et même les bons auspices semblent bien maussades à mieux y regarder, car la femme dans le quotidien, c’est l’éternelle harcelée. Pas une seconde où l’on puisse marcher sans ressentir une quelconque tension : je me rappelle encore cette fois où m’étant posée seule sur une plage pour lire un bouquin, un jeune homme s’est assis à côté de moi, pour me faire la conversation ; et qu’au bout de dix minutes de réponses acerbes, ouvertement méchantes, m’étant mise en tête de le chasser à force de me moquer de lui, c’est quand même moi qui ai fini par me casser tant il insistait, tant mes paroles passaient sur lui comme du vent. Ça m’a rappelé cette vieille expression qui dit que quand une femme dit « non », c’est un « oui, mais ». J’avais insisté sur mon « non », j’avais pris beaucoup de plaisir à le mettre en gras, à le souligner, et pourtant, rien. Je n’étais toujours que ce « oui mais », j’étais une femme, ma parole valait à peut près un bout de pain rassis. C’était gênant.
Il est assez déconcertant aussi de découvrir, des fois, à quel point on n’est pas la bienvenue dans la rue : Si on met de côté les sifflements, les klaxons, tous ces petits signes d’une inutilité assez ahurissante pour signifier à la femme qu’elle est plaisante, il y a aussi des aspects plus clairs, mais qui ne donnent pas lieu à une confrontation : par exemple, les regards quelques peu ahuris de certains quand des femmes entrent dans un bar, ou s’installent dans un café habituellement réservé aux hommes, ou justement, dans certains bars, voir avec amusement que dans les couples, on verra souvent l’homme boire une bière tandis que la femme boira un jus, en évitant de jeter des regards autour d’elle.
Il y aurait milles autres anecdotes à raconter, des bien moins drôles, d’autres un peu plus. Mais ce n’est que pour illustrer le degré de contrôle auquel les femmes sont sujettes : leur corps est contrôlé, on attend d’elle des comportements clairement définis qui se résument à être une bonne épouse et une bonne mère, certains lieux lui sont fortement déconseillés, les assemblées débattent de leur statut complémentaire à l’homme ou pas (dans un pays qui se targue depuis une éternité d’être un précurseur en matière des droits de la femme, féminisme d’État, qui justifiait aux yeux de bon nombre de pays occidentaux la « douce dictature tunisienne ») ou encore, si elles sont toujours bonnes à baiser six ou neuf heures après la mort. On entendra des gens parler d’excision, de vertus, de pureté, de chasteté.
Mais la partie vient à peine de commencer, car enfin, les femmes bougent, commencent à réclamer. Elles vont aux manifestations et de là, réclament l’égalité. Elles manifestent pour leurs droits, et à quelques masochistes près, celles dont le cerveau a moisi à force de le plonger dans les chaines qui diffusent des prédicateurs dont la taille de la barbe rivalise avec celle de leur connerie, elles veulent l’égalité. Ça se bat comme ça peut : les femmes bourgeoises d’un côté, les ouvrières de l’autre, les manifestations de prostituées, celle des chômeuses, toutes s’approprient l’espace public, toutes crient pour leur droits, toutes se battent contre les mille et une injustices quotidiennes qu’elles doivent subir au nom de la prétendue supériorité de l’homme : celle qui fait que l’homme le plus minable, celui qui sera traité comme un bout de moisi dans la société pourra toujours se consoler en humiliant quelque femme qui passera son chemin.
Ça se bat pas toujours de la bonne façon, souvent on verra les femmes nonvoilées mépriser les voilées qu’elles trouvent soumises, alors que toutes, de la doctorante à la cuisinière sont victimes du patriarcat, on verra des femmes, notamment en Tunisie, réclamer le maintien du Code du Statut Personnel (le texte de loi datant de 1956 qui donnait aux femmes la quasi égalité avec les hommes) alors qu’il y a deux ans, elles voulaient le modifier pour supprimer toute trace d’inégalité. On verra des femmes dire que le Coran ne veut pas de cette égalité, intériorisant ellesmêmes l’idée qu’elles sont inférieures. On verra une fille se mettre nue sur le web, pour dire merde à tout le monde, et surtout aux soit disant progressistes qui chuchoteront paniqués « ce n’est pas le moment », comme s’il fallait attendre gentiment que certains daignent voir en la femme plus qu’un appareil génital, pour commencer à s’exprimer.
Les lignes commencent à bouger, et les femmes les bougent ellesmêmes, dans tous les pays, elles ont compris que pour le coup,l’un des aspects les plus saillants de l’unité arabe résidait dans le fait d’être traitée comme une chose, une souschose, à travers tout le monde arabe, et que, de là, la lutte pour l’émancipation des femmes ne pourra aboutir que si elle est portée par toutes les femmes, transcendant les frontières et les a priori. Si « on ne nait pas femme, on le devient », la femme arabe pourrait ajouter « on n’est pas rien, on vous prévient »
Par Malek Lakhal.