LE MAG – La semaine cinéphile du Mag’ #10
Django still chained
12 Years a Slave, de Steve McQueen
Tout d’abord je dirais que j’ai été étonnée, étonnée que le livre de Solomon Northup n’ait pas été découvert plus tôt. Etonnée que ce film de Steve McQueen ne soit pas paru il y a des années. Car ils racontent une histoire aussi rarement entendue qu’elle n’est incroyable. C’est l’histoire d’un homme noir et libre, dupé et privé de ses droits, qui est enlevé et amené dans un état du Sud, et vendu en esclave. On le voit endurer le travail des champs et les coups de fouets (dont le spectateur n’est pas épargné) pendant 12 ans, jusqu’à sa remise en liberté.
Lupita Nyong’o a déjà été félicitée de nombreuses fois pour son incarnation de la jeune Patsey, objet de l’obsession du propriétaire de la plantation (Michael Fassbender). Si ces éloges sont tout à fait légitimes, il n’en faut pas moins admirer le jeu de Chiwetel Ejiofor (Solomon) et de Fassbender particulièrement, qui incarne un monstre convaincant renfermé dans une coquille d’apparence humaine.
On peut reprocher à ce film les scènes parfois très dures de la violence à laquelle les esclaves sont exposés (comme celle de la presque pendaison de Solomon, ou le fouettage de Patsey), mais il est évident que le gêne et le dégoût, plus que la simple pitié, sont les effets recherchés auprès du public par Steve McQueen et Sean Bobbitt (responsable de la photographie). Les autres images du film sont par ailleurs très belles, avec souvent presque un effet de tableau; Sean Bobbitt n’hésite pas à rester pendant près de dix secondes sur une séquence, alors que l’action est déjà passée.
En somme toute un film dont l’histoire bouleversante est à connaître, que ce soit par la lecture du témoignage de Solomon Northup pour les plus sensibles, et/ou par le visionnage de ce film (nominé aux Oscars, et détenteur d’un Golden Globe Award!).
Éléonore Pistolesi
« Le vent se lève, il faut tenter de vivre. »
Cette citation de Paul Valéry rythme le dernier film d’animation de Hayao Miyazaki : elle en précède les premières images, est répétée par les personnages, et semble enfin s’illustrer dans chaque moment du dessin animé. Miyazaki est un créateur de chefs-d’œuvre récidiviste. Le vent se lève n’échappe pas à la règle.
Jiro est un petit garçon myope qui ne pourra jamais piloter, et qui (pauvre de lui) se contentera de devenir un ingénieur aéronautique surdoué. Lors du terrible séisme de Kanto de 1923, il sauve la vie d’une petite fille, Nahoko : le coup de foudre est immédiat mais l’histoire d’amour ne s’écrira que des années plus tard, lors de leurs retrouvailles. Le vent se lève est chargé des visages des autres films de Miyazaki, il est chargé aussi de sa merveilleuse poésie et de sa fantaisie turbulente. Fantaisie cependant moins exubérante que dans Mon voisin Totoro, le Voyage de Chihiro ou encore Le Château ambulant. Cette fois ci leur réalisateur, bien qu’il nous propose encore des fruits de son extraordinaire imagination, traite de thèmes aussi graves que la Seconde Guerre Mondiale ou la maladie. Il nous présente également l’homme sous un angle juste et contrasté : dans son égoïsme et sa magnificence, dans son génie tantôt créateur, tantôt destructeur.
Enfin Le vent se lève nous confirme à nouveau que Miyazaki est un des grands maîtres contemporains du film d’animation. Son tremblement de terre n’a rien à envier aux effets spéciaux les plus réussis. Les mouvements sont empreints d’une grâce dont il a le secret, et même si certaines scènes sont franchement kitchs, elles sont une facette de l’univers de Miyazaki qui manquerait sans doute si elle en était retranchée. Quand l’ingénieur italien Giovanni Caproni déclare qu’ « on a 10 ans pour inventer, ensuite, il faut prendre sa retraite », on reconnaît avec regret Hayao Miyazaki, dont le film est à plusieurs égards autobiographique. On comprend aussi que l’adieu est réussi car on n’a pas du tout, du tout envie de le laisser partir.
Elise Levy
Vous avez dit parfait?
L’amour est un crime parfait, de Jean-Marie et Arnaud Larrieu
Certains disent que ce n’est pas la destination qui compte, mais le chemin parcouru. Parfois, ni l’un ni l’autre n’ont d’importance. C’est exactement le cas de ce film, qui parvient à nous ennuyer du début jusqu’à la fin avec une puissance indescriptible. L’histoire nous fait suivre un prof de littérature d’un campus suisse (M. Amalric) très apprécié des étudiantes alors qu’une d’elles disparaît du jour au lendemain. Une enquête s’ouvre, et c’est tout la vie de l’école qui s’en trouve chamboulée.
Tout d’abord, parlons des dialogues : écrits en langage soutenu, ils sont totalement déphasés avec le jeu des acteurs. On arrive parfois à des scènes assez lamentables où l’on se demande si Maïwenn ne lit pas un prompteur. On appréciera la prestation d’Amalric, seul acteur crédible qui porte à bout de bras le film. Ensuite, la caméra met mal à l’aise le spectateur par un changement de plan assez déroutant (plan large, puis resserré puis plan épaule). Tout comme les dialogues, on prie pour que l’effet rencontré soit désiré mais on ne peut s’empêcher de voir qu’il y a de l’expérimentation, de l’indécision, du tâtonnement dans le travail des frères Larrieu. Les thèmes abordés tels que la schizophrénie, la bestialité ou même l’inceste sont loin d’être traités pour ne pas dire vaguement cités, laissant soin au spectateur d’interpréter librement des passages très douteux (un extrait d’un film sur le scorpion de Dali, des scènes érotiques entre frère et sœur, etc…). Seul réconfort, la tête de votre voisine viendra se poser sur votre épaule (si la vôtre n’est pas déjà sur la sienne).
On ressort de la salle avec l’impression d’avoir regardé une publicité de 2 heures sur les alpes suisses et Polytechnique Lausanne. Un film qui rejoindra avec justesse le panthéon des bons films français bien chiants.
Alexandre Larroque-Suchorzewski