La hausse des frais de scolarité : entre revendications et déceptions

Assez discrètement, une hausse des frais de scolarité a été discutée à la mi-décembre par la direction de Sciences Po Paris. Cette décision a soulevé une vague de contestations. Les syndicats étudiants, Nova, l’UNEF, l’UNI et Solidaires, ont transmis l’information aux étudiant.e.s et ont fait circuler des pétitions pour contrer cette hausse des frais de scolarité à la rentrée 2023. 

S’élevant à 7,5% d’après les organisations syndicales et s’inscrivant dans un contexte d’inflation, cette hausse des frais de scolarité pour le bachelor et le master provoque une indignation chez les étudiant.e.s, notamment les plus touché.e.s : les sciencespistes venant de pays hors de l’Union Européenne. Ces étudiant.e.s payaient déjà en 2022 le coût maximal des frais de scolarité, soit plus de 13 000€ pour le bachelor. En regardant de plus près le site officiel de Sciences Po Paris, pour la rentrée 2023-2024, les sciencespistes habitant hors de l’Union Européenne devront payer 14 210€ pour le bachelor et 19 670€ pour le master (à l’exception des étudiant.e.s déjà inscrits à Sciences Po en 2020-2021 ou antérieurement, qui paieront respectivement 11 780€ et 16 210€). 

« La hausse des frais maximaux n’est pas seulement imposée aux étudiants « aisés » mais aussi aux internationaux dont je fais partie et qui n’ont pas plus de moyens que des français. » « Pour les étudiants internationaux les frais de scolarité à plus de 13 000€ étaient déjà honteux, une hausse de 7% ou de quelconque somme serait inadmissible » nous confient des étudiants à Sciences Po, en première année.

Une hausse généralisée

Ce qu’il faut également noter, c’est le caractère généralisé de la hausse : elle ne touchera pas seulement les étudiant.e.s arrivant en première année de bachelor ou de master à Sciences Po en 2023 mais bien tous les élèves non boursiers, peu importe leur année d’étude. 

« Le problème que me pose cette hausse des frais de scolarité est qu’elle se fait au milieu de notre scolarité, en commençant nos études à Sciences Po nous ne pensions pas devoir payer plus pour une formation qui coûte déjà beaucoup. Elle serait plus justifiée si elle ne touchait que les primo arrivants en 2023 (en bachelor et master), » nous dit une étudiante en monocursus en première année de bachelor. 

Les syndicats se sont également emparés de cette cause pour la dénoncer. Emma, élue Solidaires au conseil de l’Institut nous explique son indignation face à cette “injustice” : “On se retrouve dans une situation où les étudiants sont condamnés à payer la tranche maximale, il ne peut pas y avoir de classe moyenne étrangère qui puisse aller à Sciences Po.”

Les étudiant.e.s du double diplôme Bachelor of arts and Sciences (BASC) sont également très touchée.e.s par cette réforme. Ces sciencespistes suivent un cursus à Sciences Po Paris exempté de certains cours : séminaire, sciences et sociétés en deuxième année, impossibilité de suivre l’étude d’une deuxième langue… En effet, leur cursus est double : une partie se déroule à Sciences Po, l’autre dans une université partenaire. Or, les frais de scolarité à Sciences Po sont pour eux les mêmes qu’un cursus complet, et ne font que s’accroître. 

La principale revendication de ces “BASC” est donc la réduction de leurs frais de scolarité, notamment lors de leur quatrième année (le Bachelor se déploie sur quatre ans pour ces étudiantes et étudiants) comme explicité dans une pétition à l’initiative de ces étudiants : “Sauvez les Basc,” écrivent-ils. “Les étudiant.e.s des 4 parcours du Bachelor of Arts and Sciences ont décidé d’alerter Mathias Vicherat au sujet des frais de scolarité de 4eme année de la formation. Ces derniers s’élèvent à 50% du tarif général, sans accès aux séminaires ou cours de langues. Ce montant nous semble injustifié et mettrait de nombreux.ses étudiant.e.s en difficulté financière.” Ni le Conseil de l’Institut, ni le Conseil d’Administration n’ont entendu leurs revendications.

Augmenter les frais de scolarité pour amortir les effets de l’inflation

Pour certain.e.s étudiant.e.s, cette hausse est justifiée en raison de l’inflation : « je pense que le contexte la justifie. On a la chance de disposer d’infrastructures et de services qualitatifs, et il faut soutenir l’effort que fait l’institution de manière collective », témoigne une étudiante en 1A. 

Pour d’autres, la pilule a plus de mal à passer. C’est pourquoi lors du Conseil de l’Institut du 13 décembre 2022, la vice-présidente (SPES) du Conseil de l’Institut, Inès Fontanelle, n’a pas hésité à prendre la parole sur ce sujet :  « il y a 10 ans, en 2012, le montant de la tranche supérieure des frais de scolarité était de 9 800€ pour le Bachelor, et de 13 500€ pour le master. » Alors que la précarité étudiante semble exploser, avec 107 000 étudiants plongés dans la précarité et 45 000 dans une extrême pauvreté en France selon le Secours Populaire, les frais de scolarité n’ont fait que s’accroître. 

L’administration de Sciences Po n’a pas donné suite à nos sollicitations dans les délais nécessaires mais la présidente du Conseil de l’Institut, Dina Waked, a tenu à mettre au courant les étudiantes et étudiants des thèmes abordés au conseil de l’Institut, à travers une lettre envoyée à la communauté étudiante par mail ce lundi 20 février. “Le 6 décembre et le 13 décembre 2022, nous nous sommes réunis pour deux séances consacrées au budget 2023 de Sciences Po […] notamment à propos des répercussions de l’inflation sur les droits de scolarité des étudiantes et des étudiants et, plus largement, sur la part que cette ressource dans le financement général de notre institution,” indique le message.

L’administration de Sciences Po invoque donc l’inflation comme l’une des justifications à la hausse des frais de scolarité pour la rentrée prochaine. Mais, que décide réellement le Conseil de l’Institut et comment ? 

Un vote serré 

Le site internet de Sciences Po indique que « les droits de scolarité sont votés chaque année par le Conseil d’Administration de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP), pour l’année universitaire suivante. Leur évolution prend en compte l’inflation prévisionnelle en France pour l’année à venir, ainsi que l’écart entre l’inflation réellement constatée et l’inflation prévisionnelle retenue au titre de l’année précédente. » 

Que pouvons-nous retenir de ce conseil d’administration* 2022, qui s’est tenu en décembre dernier ? D’après l’UNEF et Nova, malgré une forte déception, des résolutions positives ont néanmoins été adoptées suite aux revendications : doubler le budget de la Commission de suivi social (la commission à saisir pour un ajustement ou une exonération des droits de scolarité), augmentation de 7% du budget des bourses Boutmy (bourses d’excellence attribué aux étudiant.e.s non européen.ne.s), augmentation de 4% du montant des compléments de bourse du CROUS. 

Malgré toutes ces résolutions contre la précarité étudiante et le vote défavorable des quatre grands syndicats étudiants (l’UNEF, NOVA, l’Uni et Solidaires), le conseil a voté favorablement à la hausse de 7,5% des frais de scolarité. Le vote a été plutôt serré au Conseil de l’institut **: 15 pour, 12 contre et 4 abstentions. 

Pour Emma, élue Solidaires au Conseil de l’Institut, les abstentionnistes auraient pu changer le résultat final : “J’ai été choquée par la position des professeurs : une partie d’entre eux s’est visiblement abstenue, en affirmant comprendre la position délicate de l’établissement suite à l’inflation mais en disant aussi que c’est assez dur pour les étudiants. Ils ont dit que cette fois-ci, ils s’abstiendraient mais que si la hausse continuait les prochaines années, ils voteraient contre. À qui vous voulez enseigner ? Dans une université fermée ? Je suis sûre que les professeurs aimeraient plus de diversité dans leur classe”. 

À  l’issue de ce conseil d’administration, certains y voient néanmoins une victoire partielle puisque la hausse devait initialement s’élever à 9,46% : “Nous avons également décroché la promesse que la hausse des frais de scolarité serait inférieure aux 9,46% originellement annoncés. Dès lors, nous restons pleinement mobilisés pour abaisser ce taux le plus possible,” a indiqué Nova sur Instagram.

Pour d’autres, l’heure est à la déception. “Les frais de scolarité sont tellement élevés, les étudiants galèrent. Il n’y a pas que Sciences Po qui subit l’inflation, les étudiants aussi”, nous explique Emma, élue Solidaires. “On est contre le principe des frais de scolarité mais effectivement, cette abolition des frais de scolarité est un idéal vers lequel on tend. Alors, aujourd’hui, on s’oppose et on se mobilise contre la hausse des frais de scolarité.” 

* D’après le site web de Sciences Po Paris : « La Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) a la responsabilité des grandes orientations stratégiques et de la gestion administrative et financière de Sciences Po. Elle est administrée par un conseil d’administration. » 

** D’après le site web de Sciences Po Paris : « L’institut d’études politiques (IEP) a un rôle de formation, de recherche et de documentation, à l’instar de toutes les universités de recherche de rang international. Ses instances de gouvernance sont :

  • Le conseil de l’Institut, qui administre l’IEP (…) »