La 3A, une année « hors les murs » confinée

Les rapports des ancien.ne.s étudiant.e.s racontant leur troisième année vendaient du rêve : nouvelles rencontres, fêtes et voyages — et en option, des études. Toutefois, cette année, la réalité est toute autre et le masque et la distanciation sociale sont malheureusement de mise. Comment profiter d’une année à l’étranger, dite « hors les murs » par l’administration, alors même que le monde entier nous implore de rester chez nous ? Cinq étudiantes témoignent.

Un programme académique à la hâte


Les annonces tombent petit à petit et les rêves s’envolent. Semestre annulé, semestre à distance, semestre en ligne mais pas trop — soyez présent sur le campus, sait-on jamais. En somme, beaucoup de formules différentes pour une seule et même réalité : les sciencespistes restent à domicile. Dès lors, la troisième année, maintes et maintes fois mentionnée dans les lettres de candidature, n’est plus qu’un concept flou et angoissant. Pourtant, selon Mathilde, lorsque l’on rentre à Sciences Po, « on a tous ce rêve de la 3A où on va partir à l’autre bout du monde, découvrir plein d’endroits et voyager, et aussi se découvrir soi-même. » Désormais conditionné.e.s à la situation sanitaire mondiale, les grand.e.s curieux.ses du monde que nous semblions tous être à l’admission ont dû se satisfaire d’une année au rabais, souvent remplacée par un programme académique confectionné en urgence par Sciences Po. Anna, initialement destinée à l’Université d’Ottawa au Canada, explique avoir eu droit à un mélange de cours de 2A et de 4A : « Personnellement, j’ai trouvé que la réponse de l’école en matière d’offre de cours a été très satisfaisante, dans les conditions qui étaient celles du premier semestre. » Seulement, la possibilité réduite de cours oblige, le manque de flexibilité s’est fait ressentir chez les étudiant.e.s : « Notamment vis-à-vis des stages à temps partiel, il y a eu de très nombreuses discussions avec l’administration qui ont pris beaucoup de temps et d’énergie aux étudiants impliqués. » Angèle, elle aussi originellement affectée au pays de l’érable, opine : « C’était intéressant mais il y avait pas mal de redite par rapport aux deux premières années, même si il y avait un effort de fait pour nous proposer des cours. »


Vivre en aquarium pixelisé


Quelques étudiant.e.s ont néanmoins fait exception, ayant pu profiter d’une année complètement à l’étranger, et ce pour le meilleur et pour le pire. Clélia raconte que son université l’a grandement aidée à obtenir son visa l’été dernier, et qu’elle a donc pu partir dès le premier semestre dans l’état de New York. Plutôt en retrait, son campus a la capacité de se fermer sur lui-même, afin d’éviter la sortie des étudiant.e.s et la propagation du virus. « On se disait qu’on pourrait devenir Covid-free grâce à cet enfermement, mais jamais on n’a enlevé nos masques », explique-t-elle. Pire encore, cet isolement s’est prolongé indéfiniment, jusqu’à la fameuse date du 16 avril où Clélia sortait pour la première fois de son campus depuis septembre. Non seulement le campus universitaire est à taille réduite, permettant des balades d’à peine cinq kilomètres ; mais en plus il impose de nombreuses restrictions — impossibilité de rentrer dans les chambres des autres, port du masque et distanciation sociale. Ces restrictions facilitent encore moins la socialisation, déjà difficile pour un étudiant en échange. L’étudiante de troisième année décrit notamment la solitude ressentie les premiers mois : « Pendant un mois et demi, il y avait des périodes de trois jours où je ne pouvais ne parler à personne. (…) C’était compliqué de rencontrer des gens et de créer des liens. C’est différent du système de Sciences Po : tu n’as même pas de triplettes, tu te retrouves littéralement tout seul. »

La stratégie préventive développée par son université implique également les « pods », des groupes de six personnes notifiés à l’administration dans lesquels il est possible d’avoir une vie normale, en mangeant ensemble ou en retirant le masque. Si l’un.e d’eux.elles est touché.e par le virus, l’entièreté du groupe est alors mis en quarantaine. De cette manière, certains liens peuvent se créer, mais Clélia insiste tout de même sur le fait qu’il s’agit d’un groupe très restreint par rapport à ce dont elle avait eu l’habitude à Sciences Po. Il est donc difficile de connaître plus de cinq personnes sur son campus, « et en plus avec toutes les restrictions qu’il y a c’est bien plus compliqué de vraiment connaître les personnes, puisque les moments où tu crées du lien comme manger ensemble tu ne peux plus le faire. » Le système de dénonciations et de suspensions développé empêche même toute entorse à ces règles.


Par conséquent, une 3A bien loin de l’Eldorado des attentes estudiantines. Adieu les road trips : « Moi, j’avais prévu de faire plein de week ends et de voyages avec des amis aux alentours pendant mes deux mois de vacances, à New York, au Canada, sur la côte Ouest… Au semestre dernier, je me suis dit que j’étais toute seule aux États-Unis, que tous mes amis étaient en France et qu’en plus je ne pouvais pas voyager, ça m’a foutu un coup au moral. » Constamment enfermée, Clélia raconte même avoir perdu toute notion de la vie réelle. Tout est désormais à disposition (donc plus de courses ni de cuisine), et l’isolement lui a fait perdre sa perception du temps : « Je suis incapable de dire si j’ai appelé mes amis il y a deux semaines ou un mois et demi », avoue-t-elle. Le sentiment d’injustice se rajoute par ailleurs à celui de solitude quand elle voit que la plupart des campus étasuniens ne sont pas fermés comme le sien.

Ce récit de l’isolement subi, similaire au quotidien actuel des étudiant.e.s français.es, n’est malheureusement pas un cas isolé, et semble être inhérent à l’expérience d’une 3A en pleine pandémie. Elvire explique avoir quitté le campus de Nancy depuis octobre pour rejoindre celui de Leipzig en Allemagne, et ce « sans vraiment m’être posée la question de suivre mes cours depuis ailleurs, vu que l’université insistait sur toute son envie de nous accueillir autant que possible en présentiel ou en hybride. » Pourtant, ces vaines promesses ne se retranscriront jamais en action et son année, même si entièrement passée à son université d’affectation, se fera derrière un écran. Elvire affirme : « Je n’ai jamais entendu parler d’un seul cours en format hybride au sein de cette fac, ni d’autres facs allemandes, donc c’est un peu dommage. J’ai eu un cours en présentiel, une fois, parce qu’avec la professeure on était cinq dans une salle de taille normale. » Elle raconte également avoir « un peu l’impression de vivre dans un aquarium », en raison du manque de contact social et de l’isolement chronique. Si les universités allemandes ont manqué à leur engagement, c’est pour elle encore pire de comparer sa situation à celle des étudiants français : « Globalement voir que les étudiants ont réussi à se faire entendre en France pour avoir au moins un jour en présentiel par semaine, alors qu’en Allemagne personne ne semble se rendre compte que c’est insoutenable de vivre un troisième semestre entièrement en ligne, c’est assez frustrant. »

Quid du dépaysement promis par l’école ? Les milliers de pixels ne changent pas tellement, que l’on soit sur le sol allemand ou français. Les nouvelles rencontres étant désormais utopiques, l’étudiant.e se crée une bulle virtuelle où la tendance n’est pas au déracinement culturel. « On n’a
vraiment rien à faire, à part ce qu’on peut faire depuis chez soi — donc ce qu’on faisait déjà en France. Pour moi et pour la plupart de mes amis qui sont partis en Allemagne, on vit notre vie française, avec nos médias français, nos films, nos livres ; et on interagit uniquement avec nos amis
de Sciences Po puisqu’on n’a pas vraiment la possibilité de rencontrer d’autres personnes
», selon Elvire.


L’étranger à domicile


D’autres ont choisi de suivre leurs cours depuis chez eux, une pilule difficile à avaler mais parfois nécessaire. Le confort de la maison au prix de la mobilité géographique. Mathilde, relocalisée à Trinity College à Dublin au second semestre, a notamment choisi de ne pas se rendre en Irlande pour des questions de coût et de bien-être, le pays étant sous confinement depuis le début de l’année. Malgré des cours de qualité même à distance, l’isolement apparaît encore une fois comme un leitmotiv chez les étudiant.e.s de troisième année : « Ce qui est compliqué c’est le manque de contacts sociaux, avoir cours avec des profs que tu ne connais pas et que tu ne rencontreras jamais, il y a très peu de contacts individuels et interpersonnels… J’ai un peu l’impression parfois de ne pas avoir cours et de faire des choses dans le vide, ce qui est un peu perturbant. »

Ne pas partir n’a pas été un choix facile, surtout qu’il s’agissait d’une relocalisation, n’ayant pas pu décoller pour la George Washington University au premier semestre. « La majorité de mes amis sont partis à l’étranger donc c’était étrange, et là j’ai l’impression de revivre après un an de pandémie et de socialisation très limitée à travers des écrans », explique Mathilde.


Entre études et travail


Pour compenser la déception, plusieurs étudiant.e.s ont opté pour l’année hybride ou les stages en parallèle des cours en ligne. C’est notamment le cas de Mathilde, qui a réalisé un stage de communication dans l’ONG Aviation sans frontières au premier semestre, puis un stage chez un chroniqueur de France Info. Ces opportunités lui ont permis d’obtenir une expérience professionnalisante, dans l’optique d’intégrer le master de journalisme — et c’est réussi.

Angèle a également jonglé entre les cours et les stages, avec un stage à l’Assemblée nationale puis un autre à Bruxelles au bureau de la représentation de la région Pays de la Loire auprès des institutions européennes. « C’est hyper enrichissant donc je suis assez contente, bien évidemment j’aurais préféré aller au Canada mais au vu du contexte je me considère comme chanceuse », explique-t-elle. Être actuellement à Bruxelles lui permet également de bénéficier de restrictions sanitaires plus souples, avec un couvre-feu fixé à 22 heures, ce qui « donne l’impression d’avoir une vie à peu près normale. » Elle aussi en retire un bilan positif : « mon stage est une expérience très enrichissante et professionnalisante qui me permet d’affiner mes choix d’orientation pour ce qui suit le master. »


Anna, en revanche, s’est consacrée aux stages en passant en année hybride pour le deuxième semestre. Ainsi, elle a fait un stage à temps plein à Londres, où elle a pu profiter du mieux qu’elle pouvait de cette troisième année : « On nous a volé une année universitaire, mais j’ai gagné une année d’expérience professionnelle. »

La 3A en nuances : tout n’est pas blanc ou noir


Si les sciencespistes n’ont pas bénéficié en 2020-2021 d’une 3A idéale, elle reste tout de même l’occasion d’apprendre, et pas seulement académiquement. Clélia parle notamment de la réelle introspection que lui a permis l’enfermement dans son campus, un retour sur soi-même qui requiert habituellement du temps que l’on n’a pas. Aussi, la vie obtient une toute autre saveur, comme elle a pu en faire l’expérience lors de son voyage à New York et aux chutes du Niagara en décembre : « C’était encore plus fort parce que j’avais pas pu sortir du campus pendant tellement de temps, et que la plupart des gens ne pouvaient pas voyager, je me sentais très privilégiée. Quand tu sors du campus, tu as envie de pleurer de bonheur. Les émotions sont tellement décuplées. »

Anna et Angèle en conservent une impression davantage professionnelle grâce aux stages. « Je retire de cette expérience une vraie détermination à toujours essayer de trouver des solutions, et des compétences professionnelles qui me seront sûrement utiles à l’avenir. Je m’adapte aussi beaucoup plus vite à la situation, et je suis plus résiliente, du moins je l’espère », explique Anna. Angèle ajoute : « Bien sûr je regrette de ne pas avoir pu partir au Canada, c’était pas la 3A que j’imaginais mais au final je vois au fur et à mesure la plus-value de l’expérience que je suis en train de vivre à Bruxelles, qui m’apporte beaucoup de choses humainement et me fait grandir. » Elle décrit cette année comme inattendue, mais sous un regard positif : « Par définition, ce n’est pas du tout ce à quoi je m’attendais, c’était surprenant et au final c’était une super expérience, même si entravée par la crise sanitaire qui limite les rencontres. Au vu du contexte je m’estime très chanceuse et je vois déjà ce que ça m’a apporté. »

Elvire a profité de son surplus de temps libre pour développer ses compétences culinaires : « Je suis passée de quelqu’un qui n’a jamais fait de pâte brisée de sa vie à quelqu’un qui fait des gnocchi de carottes — à défaut d’avoir maintenu mon niveau d’allemand. » Elle dit être consciente de la chance qu’elle a eu de pouvoir partir toute l’année, ou même partir tout cours : « Je pense avoir eu le meilleur du pire, mes cours m’intéressent et je n’ai pas eu à subir le semestre horrible de Sciences Po. Avoir le choix entre rester à Leipzig ou rentrer chez mes parents si vraiment j’arrive plus à gérer la solitude, ça me permet quand même une grosse flexibilité que beaucoup n’ont pas. »

Si elles ne devaient garder qu’un seul mot sur cette année, Mathilde et Anna ont choisi l’adaptation. Mathilde s’explique : « Cette année ça permet aussi d’apprendre à s’adapter aux situations et à relativiser : j’ai pu être relocalisée, je n’ai pas passé deux semestres à Sciences Po, et même si les choses ne sont pas comme j’aimerais qu’elles soient je pense que c’est le principal point positif au-delà des apports académiques. » Anna raconte également avoir dû s’adapter à la situation et trouver de nouvelles opportunités, mais rappelle tout de même qu’elle a su le faire parce qu’elle était encadrée par des personnes très présentes et compréhensives : « Malheureusement ça n’a pas été le cas pour tous, et cette année restera source de déceptions pour beaucoup. » Dire que la 3A était un défi d’adaptation est même un euphémisme, vu le monde en pause dans lequel les étudiant.e.s ont dû tout faire pour profiter. Toutefois, force est de constater qu’elle en est parfois devenue une expérience d’autant plus édifiante, aussi bien personnellement que professionnellement.