LE MAG – Kelis / Royal Blood : les deux critiques du dimanche matin
Royal Blood, nouveaux mais déjà bien installés
Le duo de Brighton a dévoilé le 25 août dernier son très attendu premier opus, vénère du début à la fin, on en attendait pas moins d’eux.
Vous ne les connaissez sans doute pas encore, mais ce nouveau groupe britannique a vendu les places de sa tournée outre-Manche en deux minutes, à l’aise Blaise. Alors qu’on pensait connaître la formule du duo rock grâce aux White Stripes ou aux Black Keys qui allient guitare et batterie, Mike Kerr surprend et choisit la basse. Autre spécificité : avant de sortir son album éponyme le groupe a commencé par faire ses preuves sur scène et notamment lors des festivals de cet été où les deux anglais n’ont pas laissé le public indifférent. Mike Kerr à la basse et au chant, accompagné de Ben Thatcher à la batterie nous ont alors habitués à un son bien violent et à des riffs dignes de ceux d’une guitare. Quel plaisir donc de retrouver la personnalité de ce groupe sur un album entier.
Lors de l’enregistrement, le duo n’a quasiment rien ajouté à la basse et la batterie pour ainsi pouvoir garder le même son en live, un clin d’oeil à ceux qui les ont découverts de cette manière. On retrouve dans la musique de Royal Blood la spontanéité et l’évidente alchimie qui a amené le groupe à se former. Leur son ne se limite pas à de l’agressivité pure et dure, et même si ce premier album ne laisse pas beaucoup de repos à nos oreilles, on apprécie entre des chansons bien rentre dedans (comme Loose Change ou Out Of The Black) des tempos plus lents et les subtilités de la voix du chanteur (Little Monster en est l’exemple parfait). Si l’envie vous vient de secouer vos cheveux frénétiquement pendant une demi-heure non-stop, c’est l’album parfait.
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Food, le retour au classique
Si le nom de Kelis ne vous dit surement rien, son morceau Trick me vous rappellera lui certainement quelques souvenirs, et notamment ce tout premier déhanché, sauvage et magnifiquement exécuté lors de la boum de fin de voyage scolaire en classe de CE2.
Mais l’auteur de ce plaisir coupable de l’année 2004 a depuis bien évolué. Cette artiste, il y a peu encore, nous proposait surtout des rythmes commerciaux et faciles, et des corps huilés dans des clips assez peu élégants, démontrant une fâcheuse tendance à suivre les canons du R’n’B commercial américain, pas toujours franchement du meilleur goût.
Mais Dieu merci, Kelis s’est reprise, et nous offre, 10 ans plus tard, un disque de soul music efficace, fin, et qui sonne surtout délicieusement authentique. Food est un joli revirement de situation, un retour salvateur à certaines bases de la soul qui révèle l’extrême subtilité de la voix de Kelis. En effet, il s’avère dès les premiers instants d’écoute que la chanteuse nous a caché toutes ces années une voix suave, presque rauque et parfois à la limite de l’androgynie, posée en toute subtilité et en nuances sur des rythmes lancinants.
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Une néo-soul nourrie et rétro
Cet album se démarque par ailleurs par une grande simplicité des compositions, une production parfois minimaliste qui rappelle les grands moments de la soul vocale, qui savait se contenter de la voix de l’interprète pour laisser émerger une émotion rare, et très juste. L’un des meilleurs exemples de l’album est le morceau Biscuit’n Gravy (lien 2), dont la construction, même si la comparaison est bien entendu à nuancer, évoque certains grands classiques de la soul, évoque par exemple le Try a little tenderness de Otis Redding et sa montée en intensité progressive et sous-tendue par une émotion toute en retenue.
C’est indéniable, Food est un hommage contemporain à la soul. Kelis y convoque le répertoire émotionnel de cette musique, ses rythmes, et surtout ses instruments. Les cuivres, graves, rétros, donnent une certaine intensité aux mélodies groovy, et se mélangent avec un naturel déconcertant aux percussions d’influence africaine dans un morceau, aux chœurs gospels dans un autre. Il s’agit également d’un retour, bien que moins marqué, à la guitare funk, qui promis, saura ressusciter votre fameux déhanché (qu’on espère un peu plus travaillé qu’en CE2). On vous propose pour vous entraîner le lascif Cobbler, l’un des morceaux de l’album.
La voix se module sans difficulté, s’adapte à une nouvelle maturité tout à fait perceptible. Kelis ne cherche plus à être une copie sans saveur ni aspérité des chanteuses à la mode, puise enfin dans ses racines, et redevient la fille d’un saxophoniste de jazz élevée à la black music pour une reconversion, osée, à contre-courant, mais indéniablement réussie.
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Des atouts certains mais un projet qui peine cependant à trouver son public
Ce retour aux fondamentaux ne se fait pas sans une touche résolument moderne, grâce à une production assurée par Dave Sitek, qui n’autre que le guitariste de TV in the Radio et le producteur du premier album de Foals, le très bon Antidotes, datant de 2008.
Cet opus a cependant le défaut d’être assez inégal, certains morceaux ne paraissant pas vraiment aboutis, comme si l’artiste n’avait pas toujours eu le courage d’aller au fond de ses propositions, alors que d’autres sont tout simplement exceptionnels.
Alors certes, ce disque ne révolutionnera pas la musique, et malheureusement, les ventes ne sont pas à la hauteur de la prise de risque artistique consentie. Mais il est à recommander, ne serait-ce que parce qu’il est réconfortant de savoir que des artistes contemporains entretiennent la soul music, la font vivre et évoluer, quand bien même le succès populaire de cette musique semble, en tout cas pour la diffusion grand public, reculer au profit d’autres codes de création musicale. Voir une artiste passer par une branche peu originale du R’n’B US et autres errances musicales, pour revenir aux bases de la soul, voilà qui est réconfortant.