Un an après la victoire du FN, en immersion à Hénin-Beaumont avec Octave Nitkowski
“Hénin-Beaumont FN” : dans les suggestions Google, cette ville de 26 000 habitants située dans le Pas-de-Calais, entre Douai et Lens, est presque immédiatement associée au parti de Marine Le Pen.
Il faut dire que ce bastion de gauche historique est devenu en quelques années l’emblème de l’implantation locale du Front national. En 2007, Marine Le Pen en fait son fief. En 2009, à l’occasion d’une élection municipale partielle, la liste FN de Steeve Briois, le leader local, obtient 47,6% des voix. En juin 2012, la ville est le terrain d’une “guerre des Fronts” qui voit s’affronter deux ex-candidats à la présidentielle : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Mais aucun n’en ressort victorieux : M. Mélenchon est battu au premier tour, et au second tour Mme Le Pen voit son siège à l’Assemblée nationale lui échapper à 118 voix près, face au candidat socialiste.
Si la défaite a un goût amer pour le Front national, les municipales de 2014 à Hénin-Beaumont lui offrent une nette revanche : avec 50,25% des voix, le candidat Steeve Briois est élu dès le premier tour. Une première dans l’histoire du Front national.
A l’instar des journalistes qui se pressent dans le Nord pour disséquer “la question FN“, nous avons pris l’autoroute le 13 mars dernier jusqu’à Hénin-Beaumont. Notre camarade sciencepiste Octave Nitkowski, qui partage son temps entre Sciences Po et La Sorbonne où il étudie l’Histoire, y est né et y retourne tous les week-end.
Dans son Hénin natal, la parole du sciencepiste a du crédit : la dernière fois que nous l’avions rencontré, deux mois avant les municipales, en janvier 2014, un sondage venait de sortir et annonçait le défaite de Steeve Briois. Octave, lui, assurait que le sondage était peu crédible et que non seulement Briois l’emporterait, mais qu’il l’emporterait dès le premier tour. Une analyse confirmée par les résultats. Auteur d’un essai sur la montée du FN dans sa ville, La France perd le Nord, il nous a accompagnés pendant ces deux journées, en immersion dans le bassin minier.
Un FN conquérant sur fond de crise économique et sociale
“La souffrance qu’il y a ici… Je ne m’attendais pas à ça. Pourtant, en banlieue on en voit des choses… c’est là que j’ai milité pendant des années… Mais ici les gens, qu’est-ce qu’ils morflent.” Jean-Luc Mélenchon l’admettait lui-même à des journalistes, pendant la campagne des législatives de 2012 : les habitants d’Hénin-Beaumont sont confrontés à des difficultés d’une grande ampleur.
Car le basculement politique d’Hénin-Beaumont est avant tout la conséquence de la profonde crise économique et sociale qui touche l’agglomération. Dans cette commune, au cœur de ce que l’on nomme le “bassin minier”, la gauche gouvernait depuis la Libération. Berceau historique du socialisme, bastion du mouvement ouvrier, la ville a même vu naître à sa frontière Maurice Thorez, secrétaire général du parti communiste de 1930 à 1964.
Mais la fin des Trente Glorieuses, dans les années 1970, a été particulièrement brutale : les industries minières, sidérurgiques et textiles ont fermé. Le chômage a augmenté, jusqu’à atteindre aujourd’hui 35% pour les jeunes du Nord-Pas-de-Calais. ”Ici il n’y a plus rien, tout ferme, il n’y a que des pizzerias. C’était une ville qui était bien florissante avant, mais c’est terminé depuis que les mines ont fermé”, abonde dans ce sens une personne âgée qui vit depuis quarante ans dans le centre-ville. “Maintenant, même les petits commerçants ferment, à cause de l’installation d’Auchan dans la zone industrielle.”
A Hénin-Beaumont, cette crise économique et sociale s’est doublée d’une crise politique et d’affaires de corruption. En 2008, le maire Gérard Dalongeville a été mis en examen pour détournement de fonds, faux et usage de faux et favoritisme, avant d’être condamné en 2013 à quatre ans de prison, dont trois ferme, et à 50 000 euros d’amende pour détournements de fonds publics.
Pendant ce temps, le Front national tractait sur le marché, en la personne de Steeve Briois. Lui-même fils d’ouvrier et petit-fils de mineurs, il a adhéré au FN en 1988 et s’est présenté à chaque élection depuis 1995. L’implantation du Front à Hénin, c’est lui. En 2007, il est rejoint par Marine Le Pen, nourrie de l’ambition de faire de la ville un laboratoire politique et la vitrine du frontisme municipal.
Si la plupart des habitants d’Hénin-Beaumont n’auraient probablement jamais épousé les thèses libérales du “Reagan français” Jean-Marie Le Pen dans les années 80, ils sont en revanche sensibles aux thèmes sociaux développés par Marine Le Pen, qui défend la retraite à 60 ans, l’augmentation des bas salaires, les nationalisations stratégiques et la préférence nationale avec le slogan “les nôtres avant les autres.“ Huit ans après ce parachutage, l’objectif est atteint : les héninois ont investi Steeve Briois à la mairie, ils ont voté à 55% pour la liste de Marine Le Pen aux élections européennes et ont élu quatre conseillers départementaux FN en mars 2015.
Szczurek, le fils d’ouvrier devenu adjoint au maire frontiste
Parmi eux, Christopher Szczurek, 29 ans, élu un an plus tôt 4ème adjoint au maire, délégué “à la vie culturelle, associative et citoyenne ; à la démocratie directe ; aux relations internationales et jumelages.” Il nous a reçu à l’hôtel de ville, dont le balcon extérieur est soutenu par quatre statues de mineurs. Un rappel du passé de la ville et de ses habitants.
Christopher Szczurek est lui-même issu d’une famille ouvrière. “Ma famille a vécu à Darcy, ancienne cité de mineurs devenue quartier d’Hénin-Beaumont. Mon père était ouvrier et ma mère femme au foyer. Ils pouvaient autant voter Laguiller que Le Pen.” Le jeune adjoint n’a rien d’un lepéniste de la première heure : en 2002, il est dans la rue pour manifester contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Deux ans plus tard, aux élections régionales, il soutient la liste UDF de Valérie Létard.
“Mon basculement politique a eu lieu en 2005 : j’ai été stupéfait du traitement partisan par les médias du référendum sur la Constitution européenne. Il y avait une sorte de mépris pour ceux qui étaient contre, une sorte de mépris de classe“ indique-t-il. “Puis, en 2007, j’ai été sensible au discours de Valmy de Jean-Marie Le Pen : il y parlait de l’assimilation et de la République. En tant qu’immigré polonais, ça m’a beaucoup parlé.“
C’est justement en 2007 que tout change : alors étudiant en droit et japonais à l’Université de Lille, il envoie un mail à Steeve Briois pour rejoindre les rangs frontistes. En moins de 24 heures, l’actuel maire lui répond. “La rapidité de la réponse m’a vraiment surpris : le monde politique me paraissait beaucoup plus lointain que ça.“
A l’époque, le FN est dans le creux de la vague. C’est l’époque de la déroute aux législatives de 2007, suivie par la mise en vente du siège, les procès avec l’imprimeur Rachinel, le départ de certains cadres comme Carl Lang. Nicolas Sarkozy se targue d’en avoir « terminé » avec le FN. Cet affaiblissement du parti permet à Christopher Szczurek d’émerger rapidement : il fait campagne dès les municipales de 2008.
Depuis, l’ascension électorale du parti lui a permis de travailler au siège du FN à partir d’août 2011, de devenir adjoint au maire d’Hénin-Beaumont en mars 2014 et d’intégrer le comité central du parti en novembre 2014. Le 1er mai 2015, place de l’Opéra à Paris, il est sur la tribune pendant le discours de Marine Le Pen, avec la soixantaine d’autres nouveaux conseillers départementaux. A Hénin-Beaumont, on dit qu’il est le dauphin officieux, l’héritier naturel de Steeve Briois, le potentiel futur maire.
“Les gens se sentent écoutés”
Bien que le recul manque, seulement un an après l’accession du FN à la mairie d’Hénin-Beaumont, la question d’un premier bilan est inévitable. Sur le marché, elle fait réagir. ”Ils ont une politique qui répond aux demandes immédiates des administrés. Ils s’occupent des problèmes concrets, ils réparent les nids-de-poule, ils vont au devant des attentes des héninois” nous confie un ancien colistier de la liste d’union de la gauche d’Eugène Binaisse, le précédent maire. Dans la bouche d’un opposant, le bilan est flatteur.
Une professeure d’arts plastiques à la retraite partage ce constat : “quand je vais chez le coiffeur, les gens sont ravis, ils disent qu’on a jamais été aussi bien à Hénin-Beaumont. Ils se sentent écoutés, les courriers reçoivent des réponses alors qu’avant il y avait beaucoup moins de suivi des administrés.“ Pour elle, le succès de FN repose surtout sur cette présence auprès des habitants : “ils ont repris à leur compte ce que faisaient les communistes : ils ont quadrillé le quartier, Briois est sur le terrain depuis 25 ans, il connaît sa ville et les gens, il fait danser les mamies et ça leur plaît tout à fait.“
Octave Nitkowski, l’enfant du bassin minier, insiste sur cette bienveillance et cette considération du FN local à l’endroit des habitants : “les gens ont surtout besoin d’être écoutés et Steeve Briois a le langage des gens d’ici. Pendant que l’ancien maire achetait ses huîtres sur le marché, Briois s’adressait à tout le monde. Il y arrive, il a un truc, il a la “tchatche” avec les gens du coin.” Et dans cette “France des oubliés” qu’aspire à représenter Marine Le Pen, le FN est vu par certains habitants comme une deuxième famille : “Marine Le Pen sait que faire de la politique, c’est avant tout créer un rapport humain et le développer sans relâche. Ici, le frontisme est un humanisme.”
Au-delà de l’écoute des habitants, Mathieu, un jeune héninois, cite la baisse de 10% de la taxe d’habitation depuis l’arrivée du nouveau maire. Une baisse supplémentaire de 5% est prévue pour l’année 2015. Alain, un habitant de 66 ans interrogé dans l’édition du 23 mars de La Croix, considère qu’”Il y a déjà du changement. La ville est devenue d’un seul coup plus propre, il y a plus de présence policière. Il faut attendre de voir sur le long terme mais je trouve qu’on va dans le bon sens.” Selon un sondage Ifop publié le 12 mars, 73% des habitants des communes administrées par le FN se disent « satisfaits » de leur maire.
Facile dès lors pour Christopher Szczurek de défendre son bilan. “Les gens voient leurs élus maintenant. Par exemple, nous sommes allés voir dès notre élection le club d’entrepreneurs qui n’avait pas vu d’élus depuis des années.” Il se félicite également d’”une gestion de bon père de famille : on a fait des économies là où il fallait en faire, en ne remplaçant pas les départs à la retraite et en renégociant des marchés. Et honnêtement, ça s’est mieux passé qu’on ne l’aurait cru. Nos élus étaient matures et préparés.”
Une opposition en difficulté
Ce qui peut surprendre, c’est moins l’autosatisfaction de l’équipe municipale que la difficulté de l’opposition à attaquer l’équipe en place sur les dossiers municipaux : “ils sont désarmés“ constate Octave Nitkowski. Sur le marché, un conseiller municipal d’opposition peine à citer une mesure contestable de la nouvelle majorité, tout en affirmant qu’il faut “être sur nos gardes et résister face au vrai visage du FN.“
A défaut de porter sur la politique menée elle-même, il semble en fait que les critiques concernent davantage la manière dont est menée cette politique : l’opposant dénonce une politique de l’instantané, du coup-par-coup, reprise par une communication active. “Il suffit de voir le journal local. Ils disent rue par rue ce qu’ils font : réparer un nid-de-poule, remplacer une bouche d’égout, voilà leur travail pour l’instant.“ La nouvelle majorité a en effet créé un magazine municipal mensuel, rénové le site internet de la ville et apporte un soin particulier aux affiches promotionnelles des événements de la ville.
Mais cette communication est considérée par l’opposition comme de la « poudre aux yeux » qui masque l’absence de réel changement : “Pendant que le Maire communique, critique, se plaint, cumule les indemnités, la situation des habitants d’Hénin-Beaumont, elle, ne change pas, qu’il s’agisse de l’emploi, de la sécurité, du logement ou de la santé.“
Dans le journal municipal d’avril 2015, l’opposition estime également que les mesures prises jusqu’à présent ont en réalité été permises par le travail de l’équipe précédente : « les investissements étaient pour la plupart programmés avant son arrivée (…) Si (le maire) a pu continuer de baisser les impôts (après une première baisse en 2013) et financer sa communication princière, c’est parce que l’état des finances de la ville le permettait. »
La difficulté des autres partis à faire face à la nouvelle majorité s’explique aussi par l’état des forces d’opposition. A l’issue des élections, l’opposition disposait de sept sièges sur 35 au conseil municipal, et n’en possède plus que six. Unique élu de sa liste divers gauche, l’ancien maire PS Gérard Dalongeville a en effet démissionné en novembre 2014 et laissé son siège à un de ses colistiers. Mais celui-ci a rejoint deux semaines plus tard la majorité municipale, en déclarant à Libération : “J’ai découvert que le FN gérait bien la ville. Sans parler politique, ils ont de bonnes idées.“
Sur le terrain, l’opposition locale est surtout incarnée par Marine Tondelier, d’Europe Ecologie Les Verts (EELV). Le samedi matin, elle tractait sur le marché. Conseillère municipale d’Hénin-Beaumont et assistante parlementaire du groupe EELV au Sénat, elle a grandi à Hénin-Beaumont et se présente à toutes les élections depuis les législatives de 2012.
Elle tient un blog qu’elle actualise régulièrement pour rendre compte des conseils municipaux ou réagir à la politique de Steeve Briois. Au 1er tour des départementales, elle a obtenu 13% des voix dans la ville (6,5% dans l’ensemble du canton Hénin-Beaumont 1, qui comprend d’autres communes), en s’alliant avec le Parti de Gauche.
De son côté, le Parti socialiste semble absent de la scène politique héninoise : selon Octave, “le responsable PS de la ville est inexistant et vient de Carvin, à dix kilomètres.” Sur le marché, ce sont des militants PS venus des villes alentours qui nous ont distribué des tracts. Quant à l’UMP, elle est quasiment inexistante et a obtenu 3,88% des voix au 1er tour des municipales.
Quel est l’avenir de l’opposition à Hénin-Beaumont ? Surplombant la ville au sommet d’un terril, Octave nous explique qu’il est déjà trop tard : “le moyen de survivre pour les autres partis, cela aurait été de se réveiller juste après la victoire du FN. Le PS aurait dû faire d’Hénin un symbole de la reconquête. Ce n’est pas arrivé. Du coup, pour les municipales de 2020, c’est mal parti. Il n’y a pas de vision, pas de cohérence du côté de l’opposition… Ils ne savent pas faire autre chose que de crier au loup fasciste, et puis Briois ne leur donne aucune arme. Un comité de vigilance s’est créé pour guetter les erreurs et faux pas de Briois, mais ce n’est pas une démarche d’opposition positive. C’est de l’opposition stérile et revancharde, ils ne pourront pas gagner avec ça.”
Les relations houleuses avec la presse et la polémique du “mur”
Depuis un an, l’opposition cible régulièrement les rapports pour le moins houleux entretenus par l’équipe municipale avec La Voix du Nord, le titre de presse quotidienne régionale.
Accusés d’avoir fait le jeu du Front national avant les municipales en raison de leur couverture de l’affaire Dalongeville, des journalistes de La Voix du Nord se disent depuis “victimes d’attaques virulentes sur les réseaux sociaux et dans la ville”.
Il est vrai que lorsqu’il s’agit de La Voix du Nord, Steeve Briois ne pèse pas ses mots. En février 2015, dans un communiqué sur son blog, il dénonçait ainsi “la méthode, inédite jusqu’alors, consistant à susciter le mécontentement au sein de manifestations ou de décisions prises par l’équipe municipale. Cette technique, que La Voix du Nord n’applique à aucune autre commune, va jusqu’à manipuler et tronquer les propos des habitants.“
En mars dernier, le journal municipal de la ville Hénin Beaumont, c’est vous ! a même consacré un encadré entier à “la désinformation” pratiquée par le journal local.
“Dès qu’un article déplaît, des affiches sont placardées sur les fenêtres” nous confie une salariée du quotidien dans un café héninois. “C’est très différent de la gestion de l’ex-maire Binaisse, qui était plus ouvert à la discussion lorsqu’un article ne lui plaisait pas. Il nous appelait mais ne nous menaçait jamais.“
L’objet de la discorde ? Le traitement par le journal de la mise en place d’un mur de gabions dans un lotissement touché par des cambriolages. Ce mur visait à couper une route et à empêcher les véhicules des cambrioleurs de rejoindre rapidement l’autoroute.
Selon la municipalité, La Voix du Nord a “monté en épingle les protestations de deux habitants sur près de 200 satisfaits afin de souligner la division sur cet aménagement.“ Cet article a ensuite été repris par la presse nationale et même internationale.
Un habitant du lotissement explique : “Ce sont les gens mal intentionnés qui créent la polémique parce que le maire est étiqueté FN. Ce mur, c’était une demande des habitants en raison des nuisances et des cambriolages : un voisin s’est fait cambrioler trois fois en une semaine. 169 personnes ont fait la demande d’installer le mur, un seul s’est opposé. Le maire n’a fait qu’appliquer la demande. Depuis, il n’y a pas eu de cambriolages.”
Après avoir déploré une “solution simpliste et ridicule pour lutter contre les cambriolages“, “facteur de division“, l’opposante Marine Tondelier a affirmé avoir “entendu“ et “compris les arguments (des riverains).“ Selon elle, ce retentissement est lié à la médiatisation de la ville depuis l’arrivée du FN à la mairie : “La Voix du Nord n’est pas responsable du fait que depuis que le FN en a fait sa vitrine, et encore plus depuis que notre maire a été « élu local de l’année », les projecteurs soient braqués sur notre ville.“
Une volonté affichée de redynamiser la vie culturelle locale
Au-delà des questions de sécurité, la nouvelle mairie affiche ses ambitions en matière de politique culturelle. Hénin-Beaumont dispose d’une salle de théâtre, L’Escapade, mais le cinéma a fermé en 2009. Il faisait partie de l’Espace Lumière où étaient aussi organisées des expositions.
Une ex-conseillère municipale de gauche rencontrée sur le marché en faisait partie. Elle se souvient : “Ça marchait super bien, on faisait plein de soirées ; on était une centaine, ça vivait, c’était souple. On voulait faire quelque chose de culturel à la portée des gens : expos, films d’art et d’essai…” Désormais, les habitants doivent prendre la voiture pour se rendre dans le multiplex de la zone industrielle. Alors pourquoi ne pas rouvrir cet espace culturel bénévolement ? “Parce que je ne veux rien avoir à faire avec le FN, parce que c’est municipal, je veux être libre, je n’ai pas envie d’être tenue.”
C’est pourtant cette liberté de ton que revendique désormais Christopher Szczurek, l’adjoint au maire chargé de la culture : “Nous sommes parvenus à établir un lien de confiance avec les acteurs de la vie culturelle. Celle-ci était dans un état catastrophique et était utilisée de manière partisane. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.”
Il revendique la pérennisation des subventions du théâtre, et exprime son intention de rouvrir le cinéma : “on est en train de voir. Il n’a pas été entretenu depuis cinq ans, donc une mise aux normes de deux millions d’euros s’impose. Il y aurait une salle d’art et d’essai, une salle de films tous publics, comme auparavant, mais nous ferions peut-être une salle pour le fonds d’art contemporain. On a fait l’audit du patrimoine artistique de la ville et on a découvert des choses incroyables : des litographies de Ladislas Kijno, un tableau de Paul Jouve qui vaut entre 40 000 et 50 000 euros…”
Lorsqu’on lui fait remarquer que certains élus du FN sont hostiles aux subventions versées à l’art contemporain, Christopher Szczurek répond qu’”il ne faut pas tomber dans une vision réductrice de l’art contemporain. Il y a tout un système spéculatif et de copinage qui existe, c’est une évidence, mais il existe de très bonnes choses. Il ne faut pas faire de généralités.”
Le deuxième dossier culturel que doit gérer la municipalité est la rénovation de l’église de la ville. Celle-ci surprend dès l’arrivée au centre-ville, par sa taille et son architecture néo-byzantine. Mais le visiteur qui souhaite y pénétrer trouve la porte close : l’église est en rénovation. La nouvelle mairie compte poursuivre les travaux : “Deux tranches de travaux ont été mises en œuvre, la troisième puis la quatrième tranche seront bientôt engagées. On peut espérer une réouverture pour 2018. Il ne faut pas la voir seulement comme un objet cultuel : c’est un monument historique et on pourra y organiser des concerts”, souligne l’adjoint à la culture.
Une gestion municipale désidéologisée
Finalement, à Hénin-Beaumont, la vie politique semble être devenue un long fleuve tranquille : la mairie FN se sait observée plus que n’importe quelle autre commune en France et n’ayant pas le droit à l’erreur, elle veille à mener une politique particulièrement pragmatique.
Octave Nitkowski nous explique que la politique de Steeve Briois est même à certains égards une “politique de l’apaisement.“ Vis-à-vis de la communauté musulmane notamment, le nouveau maire semble ménager les susceptibilités : “Steeve Briois poursuit sans relâche cette stratégie d’ouverture permanente à la population musulmane. Hénin-Beaumont, contrairement à d’autres communes frontistes, n’a pas vu éclater de polémique à propos du porc ou des « doubles-menus » dans les cantines scolaires” expliquait-il ainsi dans une tribune pour le Huffington Post.
Apaisement, politique pragmatique, gestion de bon père de famille, volonté de désidéologiser la gestion des dossiers municipaux… Le maire d’Hénin-Beaumont mène finalement une politique d’élu de terrain divers droite assez commune, avec un bilan positif selon les habitants, loin du statut exceptionnel et hors du commun que les médias ont accordé à la ville. Les médias qui s’étonnent de l’absence de « marqueur FN » sur la politique menée oublient que les compétences municipales n’offrent que de faibles marges de manœuvre à Steeve Briois et son équipe, et que les attributions du maire semblent pousser de manière structurelle à la désidéologisation.
Pourtant, pour être un bon maire, suffit-il de réagir au quotidien aux demandes de ses administrés ? Est-il nécessaire qu’un maire porte également des valeurs et une vision, au-delà de la seule gestion de la ville, ou l’exigence de cette vision est-elle seulement réservée aux élus nationaux ? D’ailleurs, être maire, est-ce encore faire de la politique ? La réponse dépend indubitablement de la taille de la ville. Mais toutes ces questions soulevées par cette enquête dans le bassin minier restent ouvertes.
Il ne faut pas non plus omettre que la priorité, pour beaucoup d’habitants d’Hénin-Beaumont, est de sortir de la misère sociale, de trouver un emploi ou de faire face aux dépenses quotidiennes . Quel est le pouvoir d’une municipalité pour répondre à ces problèmes ?
Hénin-Beaumont, au cœur de la stratégie nationale
Ne pas faire de vagues : cette préoccupation du Front National est d’autant plus prégnante qu’Hénin-Beaumont est au cœur de la stratégie de conquête du pouvoir de Marine Le Pen.
Selon Octave Nitkowski, “Briois veut faire tâche d’huile sur les communes environnantes. Il veut exporter son modèle de présence sur le terrain, et s’implanter petit à tous les échelons : département, région, pour que Marine Le Pen conquière à terme l’Elysée. Dans la tête de Briois, Hénin-Beaumont est un déclencheur. Mais ça prendra du temps pour tisser une toile de militants à même de s’implanter localement. D’autant qu’il n’y aura pas le facteur Dalongeville partout : à Hénin, ce qui a fait passer le FN de 45 à 51%, c’est Dalongeville. Donc ce sera un travail de longue haleine pour conquérir la région. Briois, ça fait vingt ans qu’il est en campagne permanente !“
Que le FN fasse d’Hénin-Beaumont sa capitale nationale d’où il essaimera petit à petit en Nord-Pas-de-Calais-Picardie puis en France, c’est un objectif du FN dont la réalisation reste de l’ordre de la spéculation. En revanche, c’est prendre peu de risques que d’affirmer qu’à Hénin-Beaumont, Steeve Briois et son équipe ont très certainement trouvé un bastion pour les décennies à venir. Aujourd’hui, aucune figure ne semble faire le poids face à la domination du Front national. A moins que…
One Comment
Raison
Magnifique article ! Du fond, du vrai, du sciences po, de la politique, du Menlenchon, de la sociologie, de l’économie, sublime