L’Europe a-t-elle raison d’avoir peur ?

La seconde table ronde des rencontres des Gracques, avait pour titre « L’Europe face à ses peurs ». Elle réunissait cinq intervenants ce samedi 21 novembre au Palais d’Iéna. Alors que l’Europe affronte une défiance sans précédant face aux populismes, les intervenants, tous pro-européens, ont débattu sur les crises qui provoquent ces peurs, et comment y répondre.

« Nous ne sommes pas là pour parler de politiques concrètes ». Difficile de ne pas donner raison à Ana Palacio, ancienne ministre des affaires étrangères espagnoles, lorsqu’elle répond à un étudiant qui dénonce ce manque dans le débat. Pendant près d’une heure et demie, les crises sont pointées du doigt et les faiblesses de l’Europe exposées. Mais si peu de propositions concrètes, de solutions à proprement parler…

Ana Palacio aux côtés de Pascal Blanchard © Yann Schreiber

L’Europe va mal

Tout au long des échanges revient la question de l’avenir de l’Europe, dont il faut « revoir le futur ». On parle de « bâtir une identité européenne », de « redonner confiance »… On rappelle aussi l’histoire de l’Europe, Jean Monet, et l’Europe des petits pas. Mais l’absence d’éléments politiques concrets, visibles, est criant dans les prises de paroles.

On ne saurait cependant reprocher aux intervenants leur analyse de la situation.

Pour Guillem Gervilla, le président des Jeunes Réformistes Républicains – un mouvement social-démocrate –, l’Europe est à « un tournant de son histoire » car elle est confrontée à de nombreuses crises : le chômage, le problème sécuritaire, le problème identitaire et la crise des séparatismes.

Guillem Gervilla à droite sur la photo © Yann Schreiber

Du côté de Franco Bassanini, ancien ministre italien, les crises que vit l’Europe et qui menacent le modèle européen bousculent les certitudes. Il explique que la globalisation est vécue comme une peur, celle du déclassement et de la baisse du niveau de vie. L’Europe « n’a pas donné de réponse », regrette-t-il. Face à la montée des populismes, on reste coi.

Le thème des migrants est également bien sûr au cœur du débat, de même que les attaques terroristes. « Ceux qui fuient la Syrie fuient Daesh », insiste Pervenche Bérès, députée européenne socialiste, mettant en parallèle les migrants et les victimes du 13 novembre à Paris. Tous victimes de la même organisation terroriste.

À ce propos, Schengen revient comme un élément central. Franco Bassanini le compte comme un des succès de l’Europe avec le marché commun et l’unité monétaire. Expliquant par ailleurs que le refoulement doit être une tâche européenne, un « complément nécessaire de Schengen ».

Les intervenants s’accordent sur la nécessité de réformer les accords de Schengen. Pour François Heisbourg, conseiller spécial à la fondation pour la recherche stratégique, il s’agit de « fédéraliser la défense des frontières extérieures », de renforcer Frontex (NDLR : l’agence européenne de ces frontières européenne) et de « mettre le turbo sur Dublin ».

L’accord de Dublin II, celui même tant décrié depuis quelques mois, qui exige que les demandes d’asile en Europe doivent être faites dans le pays d’arrivée. « Schengen mérite d’être défendu », souligne le chercheur.

 

Que faire ?

Selon Franco Bassanini, les migrants peuvent constituer la réponse à l’une des peurs de l’Europe : le vieillissement de sa population. Deux millions de personnes supplémentaires par an permettraient ainsi de garder à un niveau constant la population active européenne.

Quant au terrorisme, il occupe l’espace et le débat en s’insérant dans la discussion sur les peurs de l’Europe. Il se différencie des autres crises car sa nature est de provoquer…la terreur. « Le terrorisme est un acte de communication », déclare-t-il. Son but premier est de faire peur. Ce n’est pas une conséquence indirecte.

Pervenche Bérès et François Heisbourg © Yann Schreiber

François Heisbourg regrette l’intolérance que ces peurs amènent. Cela « transforme » la crise des réfugiés en une crise de rejet, sécuritaire. Pour celui qui est également Président de l’International Institute of Strategic Studies, Daesh veut nous faire perdre nos valeurs par l’institution de lois liberticides, mais aussi par la « bataille sémantique ».

En parlant de guerre, on attribue la qualité de guerriers à nos ennemis. Or pour lui, parler de guerriers – qu’il connote positivement – c’est déjà perdre cette bataille des mots. Avec « l’Europe face à ces peurs », le plus frappant reste que ce titre ait été choisi bien avant les attentats du vendredi 13 novembre.