Europe, métamorphose inévitable
Conférence de Nicole Fontaine, présidente du Parlement Européen de 1999 à 2002, ministre française déléguée à l’industrie de 2002 à 2004.
Un véritable retour aux sources pour Nicole Fontaine, qui à l’invitation des Jeunes Européens du Havre, est venue donner une conférence dans sa ville natale jeudi 11 Avril. C’est en effet à une quinzaine de kilomètre du Havre que l’ancienne présidente du Parlement Européen est née. C’est donc avec émotion et un enthousiasme apparent qu’elle est intervenue au campus havrais de SciencesPo Paris sur le thème : “Etre Européen, hier, aujourd’hui et demain”.
Après deux interviews par les élèves de SciencesPo et radio Albatros, c’est en présence de membres de la communauté étudiante havraise que Mme. Fontaine a abordé le coeur de son sujet.
“Etre Européen en 2013, c’est un acte de foi”, tels sont les premiers propos de Mme Fontaine, et c’est selon cette logique qu’elle déroule son argumentation. “L’Europe apparait malmenée, il ne faut pas se résigner, mais c’est une réalité”. La fracture entre l’Europe et ses citoyens a émergé en France dans les années 1990, lors de l’adoption du traité de Maastricht par référendum avec un score très serré, qui a fait ressortir une certaine interrogation des citoyens à l’égard de l’Europe, alors que paradoxalement l’Union se concrétisait. Une Europe qui souffre aujourd’hui, on le sait bien, d’une image technocratique et lointaine auprès du citoyen lambda. Cette fracture a été aggravé par la mondialisation, selon Mme Fontaine, puisque l’Europe a subit la mondialisation sans la maitriser et sans être capable d’en tirer les bénéfices tout en protégeant les citoyens européens de ses affres. Niveau communication, la grande occasion manquée, tout du moins en France, a été de ne pas présenter l’élargissement de l’Union comme le magnifique projet politique qu’il était, et donc de laisser se développer “le syndrome du plombier polonais” sans se saisir de l’évènement pour une campagne de marketing pro-Europe. Ajoutant à cela l’absence de leader visible auprès des populations, la panne du couple franco-allemand et les divergences de visions concernant l’Europe qui donnent l’impression d’une perte de projet politique commun, le tableau dressé par l’ancienne présidente est au départ bien peu glorieux.
C’est ensuite que Nicole Fontaine identifie la cause du problème : la communication. l’Europe est formidable, mais ne le dit pas. “L’Europe est trop modeste”, dit-elle. L’Union n’a pas valorisé ses acquis, les formidables succès que sont la paix sur le continent, la cohésion sociale, la politique agricole commune ou le programme Erasmus, pour n’en citer que quelque uns. Ce manque de visibilité, est due aux gouvernements nationaux qui, selon notre intervenante, se sont servi de l’Europe en lui attribuant la responsabilité pour une bonne partie de leurs problèmes, tout en s’accaparant le mérite des progrès communs, dans une spirale démagogue et une égoïste insouciance. On attribue aujourd’hui la crise à l’Europe, mais elle est d’origine Américaine. On lui attribue la crise de l’Euro, mais le problème des dettes souveraines est due au non-respect des critères de Maastricht par les Etats membres. Au contraire, l’Europe est plus nécessaire que jamais, et la Grèce sans la solidarité de la zone monétaire serait dans une situation bien plus désastreuse aujourd’hui. Et quand l’ancienne Présidente du Parlement Européen nous dit qu’ “Aujourd’hui, l’Europe se trouve au milieu du gué, elle peut soit se dissoudre, soit se renforcer”, c’est que nous nous trouvons à un moment clé de l’histoire du continent.
Recentrage sur l’actualité, avec une mention des élections européennes de 2014, moment crucial pour la démocratie européenne. L’enjeu est tel, étant donné la situation charnière dans laquelle se trouve l’Europe, qu’il est urgent d’encourager au maximum la participation aux élections. Nicole Fontaine profite de l’occasion pour saluer les efforts des Jeunes Européens dans ce sens. L’éveil d’une conscience européenne au sein de la population va-t-il être assez important pour augmenter le taux de participation et donc apporter plus de légitimité démocratique aux institutions européenne? La question reste en suspens, et à cette incertitude s’ajoute le danger de voir des partis extrémistes eurosceptiques gagner en influence au sein du parlement. “Il ne faut pas négliger cette menace”, car cela pourrait dynamiter les efforts européens de l’intérieur, selon notre intervenante. Des efforts européens qui sont sur la bonne voie, puisque la crise nous impose plus d’intégration économique, ce qui nous entraine invariablement vers plus d’intégration politique.
L’enjeu aujourd’hui, c’est donc de populariser l’Europe, comme le font les Jeunes Européens, dont Nicole Fontaine a de nouveau salué et soutenu les initiatives. Même si l’article 9 du Traité de l’Union Européenne accorde la citoyenneté européenne a tout ressortissant des pays membre, “la citoyenneté ne se décrète pas”. Elle doit se forger dans les mentalités, sur le long terme, et résulte d’une prise de conscience d’appartenance à une communauté de valeurs partagées. Ces valeurs, on les trouve dans notre histoire commune, et elles valent bien plus qu’un simple marché commun. A cela Mme Fontaine ajoute qu’ “être Européen, c’est avoir conscience que les défis actuels ne peuvent trouver de solutions que dans un contexte supra-national”.
Le sentiment européen n’est donc pas automatique, mais résulte d’un processus intellectuel de prise de conscience, que l’Europe doit déclencher parmi la population, grâce a une politique de communication plus présente et avec l’aide d’associations motivées. Sans cela, l’Europe ne peut pas espérer avoir la légitimité nécessaire pour donner le cap aux états membres. Mais une fois ce support obtenu, plus d’intégration et plus de fédéralisme sera la suite logique et naturelle du projet. l’Europe sera alors apte à peser sur la scène internationale, à faire le poids face aux pays émergents avec une politique extérieure commune. Mais surtout, l’Europe pourra alors être fière d’être la concrétisation d’un formidable idéal politique, légitimant ainsi les valeurs qui ont motivé sa construction.
Par Julien Vincelot.