Être reporter de guerre aujourd’hui : un nouveau regard sur cette profession de l’humilité

Le 16 septembre des journalistes, dont de jeunes diplômés ainsi que des professeurs de Sciences Po, se sont réunis au sein de l’école de journalisme afin d’échanger sur leur expérience de reporter de guerre en Ukraine. 

“La principale victime d’une guerre, c’est toujours la vérité».

Rudyard Kipling (1865-1936), écrivain britannique.

Les propos des intervenants de cette conférence ont témoigné des difficultés particulières du paysage informationnel des conflits auxquels les journalistes sont confrontés, que ces intervenants ont qualifié de “bouleversement de la vie en rédaction”. 

Tout au long de cette séance, Anthony Lebbos (Service Politique, BFMTV), Ksénia Bolchakova (Documentariste, TF1), Valentin Boissais (France Bleue, RTL), et Franck Mathevon (Radio France) ont commenté les ruses, la détermination, et l’état d’esprit nécessaires afin d’exercer le métier de journaliste dans un environnement aussi hostile que l’Ukraine actuelle. 

Guerre hybride, environnement informationnel complexe.

Pour les journalistes les plus jeunes, A.Lebbos et V. Boissais, une des difficultés majeures était le manque de formation reçu en amont du départ  sur le terrain. Boissais avouait que, ayant été envoyé en Ukraine “au lendemain” du conflit, l’adrénaline était la seule chose qui le maintenait. Les plus expérimentés d’entre eux, dont K. Bolchakova et F. Mathevon, quant à eux, ont commenté le décalage entre les journalistes restant aux quartiers généraux à Paris et les reporters de terrain. Les deux se sont accordés pour dire qu’il est essentiel de se fier à l’expertise de ces derniers, qui font vivre les rédactions dans des situations de conflit. 

Le reporter de guerre devient de plus en plus important dans un contexte de désinformation et de propagande des deux côtés belligérants, et leur rôle primordial, de présence sur le terrain, a été souligné à plusieurs reprises pendant la séance. Face aux campagnes de désinformation massives menées par le gouvernement russe, K. Bolchakova a ainsi souligné l’importance de la maxime journalistique connue de “croiser ses sources”, tandis que F. Mathevon a encouragé les jeunes journalistes à “se méfier de soi-même”. 

Portrait humanisé d’un reporter de guerre

Ce qui frappait, pendant tout ce discours, c’était l’allure de ces jeunes professionnels hardis, confiants. Dans cette petite salle de classe, débordante de spectateurs, leurs paroles retentissaient de sorte qu’on ne pouvait s’empêcher d’admirer leur courage. Mais ces journalistes (parmi lesquels certains ont vécu un baptême de feu cette année) ont souligné la nécessité de s’échapper de cette vision romantique des reporters de guerre. 

F. Mathevon a rejeté de manière nette, le concept même d’un reporter de guerre, arguant que le terme “n’a aucun sens”. Pour lui, les reporters de guerre sont des journalistes comme les autres. Il nie toute sorte de hiérarchie entre les types de reporters. En effet, l’humour de K. Bolchakova, qui parlait de l’alcool et d’autres manières de décompresser, a illustré les propos de Franck Mathevon en présentant un visage davantage humanisé et concret du travail de journaliste dans une zone de conflit. 

Un difficile retour en France. 

Néanmoins, les journalistes ne sont pas tenus de dépeindre les réalités mornes de la guerre. Ils commentent des réalités telles que la lassitude croissante du public face à la guerre en Ukraine, la concurrence entre les rédactions dans : la recherche et la publication des informations les plus choquantes, le durcissement des procédures d’obtention d’un visa en Russie (rendant les activités journalistiques presque impossible) et les patrons ne pouvant risquer d’autoriser certaines activités dans des zones sensibles – entre autres. Mais, par-dessus tout, cette conférence était ombragée par la mort d’un confrère de A. Lebbos, Frédéric Leclerc-Imhoff, qui est décédé en juin 2022 pendant qu’il faisait des reportages dans la région de Severodonetsk en Ukraine. Suite à cette perte, A. Lebbos, ému, exprime son refus de retourner en Ukraine. Mais dans le même temps, le journaliste expliquait se sentir inutile voire coupable à ne plus se rendre directement sur le terrain.

C’est à juste titre donc que ces journalistes se sont tous prononcés en faveur d’un suivi psychologique à leur retour en France. K. Bolchakova exprimait aussi que, dans la mesure du possible, elle s’impose 48h de “tampon” entre son travail sur le terrain et son retour à la maison, afin de faciliter sa réintégration à la vie “normale” en France. 

Une guerre qui pourrait s’oublier

Ce que l’on doit tirer de cette conférence, ce n’est pas une admiration romantique pour le personnage du reporter de guerre, mais plutôt un respect pour le travail qu’ils exercent, et un renouvellement de nos intérêts pour la situation en Ukraine. Ces reporters sont les témoins d’un conflit qui se poursuit, et que l’on doit continuer à suivre, au risque de laisser tomber les journalistes et les victimes du conflit dans l’oubli.

Crédit Image : @Marjan Blan