Dossier | Liban: réflexions et témoignages d’un pays brisé (1/2)

Le vendredi 9 octobre 2020, un incendie et une explosion ont eu lieu dans un entrepôt de carburant, à Beyrouth, tuant 4 personnes et en blessant 30 autres, rapportait la Croix-Rouge Libanaise. Cet événement fait écho au drame du 4 août dernier, lorsque dans le port de la même ville, deux explosions ont bouleversé le pays en blessant 6 000 personnes et en ôtant la vie à plus de 180 personnes.

Ces trois explosions surviennent au Liban dans un contexte de crise économique, sociale et politique depuis octobre 2019: Europe 1 rappelle les tensions entre le peuple et un gouvernement corrompu et rapporte qu’au mois de juillet 2020, 45% de la population vivaient sous le seuil de pauvreté.

Dans le premier volet de ce dossier, La Péniche revient sur la situation économique et sociale actuelle du Liban à travers la table ronde organisée par Sciences Po TV et Sciences Po pour le Liban.

Table ronde de Sciences Po pour le Liban et Sciences Po TV : le Liban, entre crises et reconstruction

L’association du campus de Menton créée après les premières explosions du mois d’août, Sciences Po pour le Liban, a réalisé une table ronde avec le média Sciences Po TV le 6 octobre 2020 dans le but de discuter et débattre autour du thème de l’avenir du Liban : dans un contexte de crise politique, sociale et sanitaire, comment reconstruire le Liban ?

Pour répondre à cette question, les associations ont fait appel à quatre invités, avec tout d’abord Catherine Otayek, ancienne étudiante libanaise à Sciences Po et membre de l’association humanitaire et non gouvernementale libanaise, Offrejoie. Était aussi présent Robert Fadel, homme politique et d’affaires né à Tripoli (Libye), diplômé de l’ENA. Second énarque de la soirée, Karim Emile Bitar, professeur de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth faisait aussi partie de la table ronde. Rémy Buisine, journaliste français pour Brut, vient clore la liste des invités.

Une situation matérielle et sanitaire préoccupante

Au cours de la table ronde, les invités ont discuté de plusieurs sujets dont la reconstruction matérielle et la situation sanitaire à Beyrouth.

Catherine Otayek qui était sur place avec l’association Offrejoie après les explosions, décrit des rues débordantes de volontaires, mobilisés par eux-même, pour distribuer de la nourriture par exemple. En effet Rémy Buisine, qui était également sur les lieux, évoque une solidarité spontanée entre les habitants, faute d’aide par les autorités locales, plutôt présentes pour assurer la sécurité à travers l’armée. Le journaliste a de plus remarqué la structuration progressive de l’aide humanitaire et sanitaire qui s’est formée dès le lendemain des explosions. L’association Offrejoie fait justement partie des organisations à avoir agi le plus vite, présente sur les lieux le lendemain du drame, et ayant débuté le lancement de chantiers deux jours après les explosions. Afin de reconstruire les quartiers détruits par les déflagrations, l’association a aussi fait appel à des volontaires libanais: en 48 heures, 6 000 personnes avaient posé leurs candidatures. Néanmoins, depuis début septembre, les effectifs de volontaires sont de plus en plus réduits, témoignant d’une baisse de l’intérêt porté au pays. En effet, Rémy Buisine explique que l’attention médiatique a été en effervescence pendant quelques jours seulement après l’explosion, mais que dans un second temps, l’attention s’est perdue tandis que le pays du cèdre nécessitait toujours de l’aide pour se reconstruire.

Sur le sujet de la reconstruction, Catherine Otayek partage l’opinion de Rémy Buisine : la reconstruction entière des dégâts des explosions durera au moins 6 mois et la situation au Liban nécessite une aide sur le long terme, malgré l’appui international conséquent. En effet, près de 30 pays ont apporté 257 millions d’euros d’aide pour reconstruire le pays. Néanmoins, il règne au Liban un climat de tension et d’insécurité de la population. Le peuple libanais contestait et conteste toujours la corruption du gouvernement et l’aide extérieure apportée au Liban fait face à des soupçons de détournement par le gouvernement.

Quel avenir politique pour le Liban ?

À la crise sanitaire engendrée par les explosions du 4 août à Beyrouth s’ajoute ainsi une crise politique d’envergure qui divise le pays depuis octobre 2019. Lors de la table ronde, Robert Fadel et Karim Emile Bitar ont alors échangé sur la reconstruction politique du pays.

Selon Karim Emile Bitar, le Liban se trouve dans une impasse politique, dans une “crise gouvernementale” dont la population ressent une insécurité grandissante. Pour Robert Fadel, le pays nécessite alors une reconstruction politique face à une situation politique inédite dans le pays. Pour reconstruire politiquement le pays, Robert Fadel  pense que la contestation du peuple doit se transformer en force politique d’alternance afin d’aboutir à un seul fond de coordination contre un État trop faible et presque inexistant. Karim Emile Bitar rejoint l’homme politique: si le Hezbollah (parti politique libanais se revendiquant de l’islamisme chiite) est si puissant au Liban, c’est parce qu’il pense que l’État libanais ne remplit pas ses fonctions.

À la fin de la table ronde sur la reconstruction matérielle, sociale et politique du Liban, nous retiendrons que selon les deux hommes politiques, Catherine Otayek et Rémy Buisine, le peuple libanais est un peuple qui se montre solidaire et volontaire  contre un gouvernement qu’il juge inefficace et corrompu. Dans le second volet de ce dossier, Ralph Diab, étudiant libanais sur le campus de Paris, nous confirmera ces pensées.