Conférence de Haïm Korsia à Sciences Po : d’un antijudaïsme clérical à une fraternité retrouvée
Les murs du 27 rue Saint Guillaume portent une affiche promotionnelle ornée d’un visage bien connu dans l’actualité, celui du Grand rabbin de France, Haïm Korsia. Peu après la polémique de la bougie de Hanouka allumée à l’Elysée, il est l’invité d’honneur d’une conférence qui réunit l’aumônerie de Sciences Po (CSG, centre Saint Guillaume) et l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF) autour du thème de l’antijudaïsme chrétien.
Remplissant l’amphithéâtre Simone Weil, le représentant de la communauté juive a su réaffirmer le puissant lien entre ces deux religions, qui ont longtemps semblé antinomiques. À tort selon lui, qui affirme que les deux groupes religieux sont et seront toujours intrinsèquement liés.
Une conférence sous le signe du discours interreligieux
La conférence s’ouvre sur un court discours du président du CSG, Maxime Zbiden, qui n’hésite pas à dire sa joie face au partenariat avec l’UEJF autour d’un sujet qui lui semble capital. L’occasion pour lui également de réaffirmer la position ferme du CSG face à l’antisémitisme : « Nous disons non à l’antisémitisme et non à l’antijudaïsme de l’Eglise. »
Après un discours aux mots forts et inspirants, la parole est donnée à Salomé Delarive, présidente de l’UEJF Sciences Po. Alors qu’elle présente le parcours de l’intervenant, celui-ci l’arrête directement : « je ne suis pas là pour chercher un boulot », lui réplique-t-il très ironiquement, provoquant le rire général et un sourire amusé de la présidente de l’UEJF Sciences Po.
Le ton est lancé : accumulant les blagues, et les anecdotes qui détendent l’atmosphère, Haïm Korsia n’hésite pas à user d’un ton léger tout en exposant ses convictions puissantes. C’est ainsi que celui qui mêle humour, religion et histoire des relations entre juifs et chrétiens, retrace l’évolution de l’antijudaïsme dans l’Eglise.
Pour lui, l’antijudaïsme et l’antisémitisme ont beaucoup changé à travers le temps au sein du monde chrétien. D’abord basés sur l’accusation de peuple déicide, expression visant à pointer l’ensemble du peuple juif comme responsable de la mort de Jésus, l’Eglise s’en est imprégnée en menant des conciles aux conclusions antisémites. Ceux-ci ont notamment abouti à l’interdiction de pratiquer certaines fonctions, parfois même l’interdiction des mariages mixtes entre juifs et chrétiens, et bien d’autres discriminations anti-juives et antisémites.
La Première Guerre mondiale aurait marqué un changement crucial dans le rapport des chrétiens aux juifs (et inversement). Pour Haïm Korsia, la Grande Guerre a marqué la rencontre entre tous les hommes Français engagés, dont des juifs et des chrétiens. Très attaché au monde littéraire, Monsieur Korsia évoque une pièce de théâtre la maison du bon Dieu, dans laquelle un curé, un pasteur, un rabbin et un imam se retrouvent après la guerre autour d’une réflexion commune : et si cette fraternité que nous avons ressentie pendant la guerre, on la vivait tous les jours ?
Ces paroles de Haim Korsia résonnent particulièrement, d’autant que l’évènement est un partenariat entre deux entités religieuses à Sciences Po, un partenariat qui semble être bien plus qu’une formalité mais bien un signe d’amitié. Les deux associations ont d’ailleurs affirmé que cette conférence n’était que le début d’une longue série.
De la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui : des liens inaliénables entre juifs et chrétiens.
La Seconde Guerre mondiale a, malgré elle, tracé au feutre indélébile la suite du chemin de cette fraternité interreligieuse, de nombreux chrétiens ayant caché des juifs menacés de déportation. Cette coexistence et cette fraternité ne se sont pas arrêtées en 1945 et sont plus que jamais d’actualité. Le Grand Rabbin mentionne un propos, fort et poignant, prononcé par Jean Paul II, ancien Pape, à l’attention des juifs, lors d’une visite à la synagogue de Rome : « vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière, on pourrait dire nos frères aînés », message d’amour et d’espoir puissant, renouant les liens, quoique parfois fragilisés mais toujours présents, entre juifs et chrétiens.
Pour conclure son propos, l’invité a tenu à dire quelques mots sur l’antisémitisme actuel, et la vertigineuse hausse de près de 1000% des actes antisémites depuis le 7 octobre 2023. Il tenait à rappeler l’importance de l’indignation dans les luttes antiracistes : ne jamais s’habituer, voilà son mot d’ordre. S’habituer, pour lui, c’est déjà abandonner et arrêter la lutte, pourtant si importante pour la cohabitation et la paix.
Le temps accordé aux questions du public a ensuite permis de revenir sur la place des religions en France mais aussi sur la laïcité. Monsieur Korsia a tenu à réaffirmer le droit essentiel à l’athéisme tout en évoquant les dangers que peut provoquer l’interprétation athée de la laïcité. En plus d’avoir le droit d’être athée, droit qui lui tient à cœur, il affirme la nécessité d’un autre droit qui le prend aux tripes : celui de pratiquer librement sa religion.Cette conférence de Haïm Korsia a alors su et pu illustrer la force et la nécessité du discours interreligieux. Porteur d’espoir, de luttes acharnées, doté d’un sens de l’humour qui surprend de prime abord mais rend le propos fort agréable à écouter, Haïm Korsia fait résonner une voix que l’on entend trop peu : celle de la paix dans les relations interreligieuses. Sa dernière phrase résume, lors de sa réponse à la dernière question posée, son combat, le combat d’une vie : « ne laissez jamais personne définir qui vous êtes ».