Blanche est la neige
Une proportion ridicule des Français est déjà allée skier. Ridicule numériquement, autour de 10%, et qui l’est d’autant plus tant les braillements de la minorité gueularde se font entendre au sommet des pistes rouges. « Ski », « poudreuse », « tire-fesses » : dès que l’hiver pointe le bout de son nez, ceux-là n’ont plus que ces mots à la bouche. Le ski, par ses tarifs et ses barrières à l’entrée, demeure une sphère à part au sein des vacances types de la classe moyenne qui s’offre un bungalow sur l’Atlantique début août, une virée à Londres pour visiter les studios d’Harry Potter en octobre et la belle Méditerranée quand le soleil de Pâques se lève. Mais le ski ? Pourquoi tant de bruits, pourquoi tant de plaisirs pour les initiés et tant de réticences, objectives ou non, pour les novices ? Portrait des fameuses semaines de ski, en famille ou entre amis, qui font tant de boucans dès le 10 décembre.
Jour 1 : TGV, Petit Casino et fantasmes
Comment atterrir dans les stations quelquefois exigües d’où partent les télésièges ? Le voyage conserve le charme des trajets un peu laborieux qui semblent vous entraîner au bout du monde. L’option voiture n’est pas la plus judicieuse car elle ne vous dissuade pas de prendre avec vous casquette, socquette, chemise ou jogging qui n’ont strictement aucun intérêt une fois sur les pistes. Le risque est aussi très grand d’échouer dans un gymnase à Saint Jean de Maurienne, votre Clio complètement submergée par la poudreuse tant fantasmée, et incapable d’aller plus loin. Le train apparaît donc comme une option plus adaptée. Exorbitante mais convenable, on découvrira bien vite de toute façon que glisser sur les pistes implique d’avoir de quoi mettre du beurre dans les épinards, voire plus. La fin du périple s’effectue traditionnellement en bus, bus qui passe toutes les heures impaires et qu’il n’est donc pas très pertinent de rater. Le chauffeur à l’accent savoyard fier et assumé a placé votre valise au fin fond du coffre, ce qui vous oblige à vous contorsionner devant les regards curieux dès que vous arrivez dans la station qui vous est destinée. Les vacances peuvent commencer.
Préparer un séjour au ski est beaucoup moins anodin qu’une semaine à la plage. Au lieu de balancer négligemment des tongs et un maillot de bain à fleurs dans une valise, il faut cette fois se munir d’une ribambelle d’accessoires à la vocation plus ou moins convergente : ne pas avoir froid. Ainsi justifie-t-on la présence dans sa valise d’une polaire rouge poivron, de moufles, de chaussettes remontant jusqu’aux ischios-jambiers, de cache-cou bleu électrique et d’un manteau aux couleurs hasardeuses. Une fois toutes ces affaires déballées de la valise et bourrées dans un placard incontestablement « un peu juste », il faut s’équiper sérieusement. Le plus précieux équipement réside en une simple carte qui parait être une carte de fidélité Petit Casino ou une carte de mutuelle mais qui abrite votre forfait, sésame ouvrant la voie vers les remontées mécaniques pendant toute la semaine. On constate vite que cela coûte plus cher que la carte Petit Casino, mais il faut bien se soumettre aux lois du marché puisque peu d’individus sont tentés par l’ascension des pistes en raquette ou en ski de fond.
Même embarras financier au moment où il faut payer la location des skis. Les stations de skis sont les lieux où l’on peut trouver le plus de magasins Sport 2000 au mètre carré. Ceux-ci ont bien compris que les skieurs ont la flemme de trimballer leurs deux mètres de skis entre Olympiades et Gare de Lyon puis dans le TGV n°6743 à direction de Bourg Saint Maurice. Profitant de cette fainéantise caractéristique, les Sport 2000 et compagnie augmentent les prix sans trop de remords et justifient les tarifs par une expertise apparemment impressionnante : un test vous est adressé, s’enquérant de votre état physique, votre niveau de ski, votre âge, et votre style « agressif » ou « neutre ». Ne me demandez pas pourquoi je réponds toujours « neutre ». Une fois le questionnaire digne de Psychologie Magazine rempli, un type tourne des vis et vous offre vos skis avec la satisfaction du travail bien fait.
Même si le sens des priorités a pris le dessus, il faut quand même bien se nourrir. Le Petit Casino du coin (tiens, j’ai pas une carte Petit Casino moi ?) fait parfaitement l’affaire, et donne l’occasion de se nourrir comme chaque année des petites boîtes de céréales Kellog’s, de crozets au sarrasin pour faire typique, d’énormes blocs de beaufort inécoulables. On achète de quoi faire une raclette alors qu’on prévoyait une fondue. Pour éviter tout dépaysement, on juge quand même bon de garnir son panier de bouteille de coca de 2L, d’Activia saveur nature, de burgers prêts en deux minutes au micro-onde. Au moment de passer en caisse, le prix peut surprendre le bon père de famille habitué du Leclerc de Melun. C’est bien cette plaquette de beurre qui coûte 6€32 ? En sortant du petit magasin, terrassé par l’intransigeance du capitalisme d’altitude, vous pouvez fantasmer à votre guise devant les pistes blanches qui s’élèvent devant vous, et redouter la soirée et la nuit qui vous séparent encore de votre première journée de ski.
Semaine express et majestueuse
Toutes ces étapes passées, et il le faut bien, le plaisir peut donc enfin commencer. Il faut savoir que la semaine au ski est un voyage riche en « mais ». Mais il a fait -15° en haut des pistes. Mais le télésiège s’est arrêté systématiquement là où le vent était le plus vigoureux. Mais il n’y avait pas un gramme de neige et on avait l’impression de skier au milieu d’un paysage de juillet. Mais il y avait des avalanches qui menaçaient de se renverser sur nos têtes à tout bout de champ. Pourtant, la semaine, une fois qu’elle a démarré, peut s’avérer tellement belle qu’elle relègue tous les « mais » bien loin dans les esprits. Le coup d’œil que l’on jette en se levant le matin, quand le ciel tout bleu illumine la montagne toute blanche, et que l’on s’imagine tout le bonheur à venir. Le premier télésiège de la journée, quand on est en forme, bien au chaud et que votre masque n’a pas encore glissé derrière votre casque pour ne protéger plus qu’une parcelle négligeable de votre nuque. Les pistes bien damées, sur lesquelles on peut se laisser couler sans réfléchir à rien.
La vitesse sur une piste bleue en fin de vie qu’on prend sans ralentir et sans craindre la collision avec un Monténégrin qui passe sa première étoile. La dernière piste à 17 heures, celle qu’on prend tranquillement pour temporiser et pour être les derniers de la journée à glisser sur la neige. Le bol de chocolat chaud ensuite, avec le plan des pistes sous les yeux pour se rappeler les plaisirs de la journée et préparer déjà ceux qui suivront. Ainsi se répètent les jours, sensiblement identiques dans le bien-être et la joie. L’heure vient chaque fois trop vite de plier bagage. Il faut revivre toutes les galères du samedi précédent dans le sens inverse. Remise des skis, remise de l’appareil à raclette à la boutique où on l’a emprunté, route vers Paris. D’autant plus triste que tout a perdu la saveur du voyage aller, la promesse et l’attrait des pistes rouges qui brillaient au soleil pendant qu’on était en train de s’agiter pour chercher une deuxième barre de 4G. Le charme a disparu, pour ne refaire surface que dans douze longs mois.