Alexandre Lacroix : un philosophe à l’école du sophisme
Ecrivain, philosophe, professeur, rédacteur en chef : Alexandre Lacroix s’est lui aussi assis sur les bancs de l’amphi Boutmy et il nous le raconte ici. Nous connaissons avant tout Alexandre Lacroix en temps que rédacteur en chef du célèbre Philosophie Magazine. Dès lors, on peut légitimement se demander : Pourquoi Sciences Po ?
A.L : J’ai eu un parcours erratique après le bac. J’ai d’abord fait une année de Mathématiques, puis une année d’économie et de philosophie simultanément à Paris I. Au moment du Bac je n’étais pas du tout dans l’idée de faire une prépa, j’avais une sorte de révolte par rapport au système scolaire. Je ne m’orientais pas vers les concours. Une fois à la fac, j’ai eu du mal à me repérer. J’ai eu de bons résultats en économie, mais je refusais de m’inscrire dans les filières sélectives, à un moment, j’ai eu peur de devenir économiste. J’avais envie de retrouver des études généralistes. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu faire Sciences Po. J’ai voulu retrouver une pluralité de disciplines, ne pas être bloqué dans une seule. J’avais envie d’écrire et je ne voulais pas étudier ma passion pour la littérature pour qu’elle reste une passion. Je voyais les études comme une chose à faire en plus pour accumuler des savoirs sur le monde dans plusieurs directions et non une seule : je ne me voyais pas devenir spécialiste d’une seule chose. Développer mon goût pour la littérature, l’écriture était mon projet principal, mais pas mon projet d’études.
D.A : Que vous a apporté Sciences Po ? Quels souvenirs en gardez vous ?
A.L : Ce qui m’attirait le plus c’était l’histoire. J’ai eu de très bon cours d’histoire contemporaine, pour moi c’était ça l’apport. Je continuais d’étudier la philosophie à Paris I. La deuxième chose qui m’a beaucoup intéressé à Sciences Po est beaucoup plus formelle : c’est la formation pour la prise de parole en public. Le monde universitaire ne prépare pas du tout à ça. C’est pourtant un gain considérable dans la vie active, car si on est capable de prendre la parole en public : de le faire à bon escient, on se fait réellement entendre. Les souvenirs. Quand je suis arrivé à Sciences Po il y a une chose importante pour moi qui venait de l’université c’est que dès la première année les gens étaient très très bons élèves et du coup ils ne profitaient pas vraiment de ce qui était offert, ils étaient obsédés par la note, par le résultat. Quand on a fait la fac et qu’on est au delà de ce bachotage, on peut profiter de tous les enseignements d’ouverture etc… qui ne servent à rien du point de vue de la note. C’est pas mal de venir de la fac et d’avoir du recul par rapport à la performance scolaire. À l’époque il y avait 30% d’écrémage, on ne pouvait pas redoubler. Le passage par la fac fait qu’on aborde les choses différemment, sans ce rapport anxieux au savoir.
D.A : Que pensez vous justement de cette façon de traiter le savoir qu’on raille à Sciences Po en parlant régulièrement de « pipo » ?
A.L : Dans le domaine du savoir, il faut vraiment apprendre à tirer parti des contraintes. Il faut se focaliser sur un livre, un article qui va nous marquer. Ce serait complètement illusoire de vouloir prendre une vue exhaustive. Je me souviens avoir eu un examen final d’histoire sur « L’évolution de la culture européenne entre 1880 et 1939 » en 4h, c’est juste du délire. On ne peut pas traiter la question. Mieux vaut parler des choses que l’on connait bien.
D.A :Vous parlez de passion pour la littérature et avez même publié votre premier livre durant votre dernière année à Sciences Po
A.L : Les vacances scolaires sont longues. Non seulement j’avais une semaine idéale qui me permettait d’écrire trois jours par semaine du matin au soir, mais j’ai passé une grande partie de mon été entre la deuxième et la troisième année à écrire. Du coup, j’avais un manuscrit prêt et fini à la fin de l’été. Il a été pris chez Grasset qui n’est pas très loin de Sciences Po. J’ai déposé mon manuscrit le mercredi matin et le lendemain j’avais des nouvelles de l’éditeur qui voulait qu’on se voie au plus vite. Le mercredi matin j’ai appris que Grasset était intéressé. Il s’est écoulé presqu’un an avant que le livre ne soit publié.
D.A : Quand vous étiez étudiant à Sciences Po, envisagiez vous de faire de l’écriture une profession ou aviez vous autre chose en tête ?
A.L : Je n’ai pas commencé à écrire à Sciences Po, ça m’est venu très tôt. Pour autant, je ne pensais pas pouvoir en vivre, mais c’était ce que j’avais envie de faire. Pour moi, faire des études, c’était, en dehors de la passion de la chose qui réellement m’anime, acquérir des diplômes, acquérir des compétences pour « monnayer ma place dans l’espace social », tout en apprenant des choses intéressantes. Pour moi il y a toujours eu cette division entre une passion dont on ne peut pas vivre, et les études. Mais on peut prendre plaisir à étudier, c’est aussi ce qui alimente la passion.
D.A : Vous avez ensuite lancé Philosophie Magazine : comment l’idée vous est-elle venue ?
A.L : À Sciences Po j’avais fait un stage à l’Évènement du Jeudi qui était un hebdomadaire mourrant. Là j’a vu le spectacle d’une profession sinistrée : du fait du climat qui régnait dans le journal, des gens qui vivaient dans la terreur du Rédac Chef, qui picolaient au bureau… Bien que je rêvais d’être journaliste depuis longtemps je réalisai que je ne pouvais pas en faire mon métier : le stage m’avait dégouté. Comme mon premier roman avait un peu marché, je suis allé vivre à la campagne, pour écrire, pour lire, pendant sept ans. J’ai donné des cours à Sciences Po Paris, Sciences Po Lyon et j’ai fait des piges dans le journalisme indépendant… Je ne pensais pas revenir dans la vie active. J’ai participé à un journal qui s’appelle « L’Imbécile de Paris » où travaillait un financier qui avait investi dans le journal : Fabrice Gerschel. Il voulait financer son propre projet qui à l’époque paraissait fou : un journal de philosophie. Personne n’y croyait ! Un jour il m’a proposé de devenir le rédacteur en chef. On a donc commencé à travailler en mai 2005 et le premier numéro est sorti en juin 2006.
D.A: À propos de ce passage à la campagne, vous l’évoquez dans un certain nombre de textes de l’Imbécile de Paris. Sont-ils autobiographiques ? Je pense particulièrement à celui sur les toits de Paris: y racontez vous des péripéties d’étudiant à Sciences Po?
A.L : Oui, c’est vrai. J’aimais beaucoup monter sur les toits. Ce qui est très étonnant c’est le fait qu’après l’avoir mis en ligne sur mon site, un nombre de gens incroyable a réagi. Des gens qui montent sur les toits et cherchent des adresses ou encore des réalisateurs de cinéma cherchent à tourner des films sur les toits. Mais ce texte à été écrit il y a huit ou neuf ans !
D.A : Vous êtes aujourd’hui également professeur. Était-ce une vocation ? Quelle relation entretenez vous avec l’enseignement ?
A.L : Quand j’étais étudiant, déjà, je donnais des cours d’économie dans des centres de formation de la fonction publique territoriale. J’ai senti que j’aimais ça. Ensuite, comme j’avais publié un roman tout en étant étudiant à Sciences Po, j’ai eu la proposition de Richard Descoings d’enseigner l’année suivante. J’ai enseigné à 23 ans mais une matière où tout est permis. À l’époque c’était un cours de littérature et donc un projet pédagogique et non académique : un projet très libre. On amenait des textes et on les lisait, très orienté sur le 20ème siècle : Kerrouac, Mallarmé… J’ai bien aimé ça, sachant que c’était une matière de dialogue, de discussion, où on n’est pas dans un rapport à la note où c’est cela qui importe. J’ai peu à peu fait écrire mes étudiants, et maintenant, mon cours s’appelle « écriture créative ». À l’époque il n’y avait pas de différence entre les étudiants et moi, aujourd’hui, il y a un écart : finalement c’est très appréciable de se sentir vieillir.