Alain Juppé, le retour gagnant ?

La primaire de la droite et du centre, en vue de l’élection présidentielle de 2017, bat son plein. Les programmes se font plus précis, les attaques plus personnelles. Les candidats, officialisés par la haute autorité, sont au nombre de sept : Nicolas Sarkozy, François Fillon, Jean-Frédéric Poisson, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-François Copé et Alain Juppé. C’est à ce dernier que nous nous intéresserons. Homme du consensus pour certains, de « la droite molle » pour d’autres, le favori de ces primaires doit, malgré son apparente popularité, surmonter de multiples obstacles. La Péniche fait un point sur le programme du candidat, tout en analysant l’état de sa candidature.

 

Alain Juppé à Sciences Po
Alain Juppé à Sciences Po

 

Un libéralisme économique assumé

Chacun l’aura compris, le diable se cache donc dans les détails. Cela tient au degré d’ajustement de ces réformes. Lorsque François Fillon promet de réduire les dépenses publiques de 110 milliards d’euros, Alain Juppé place lui barre à 85 milliards d’euros. Tout est une question de degré, finalement.

 

« L’identité heureuse » comme bannière, l’Europe comme étendard 

À rebours d’un Nicolas Sarkozy, également candidat à la primaire, qui promeut une vision de l’identité figée, Alain Juppé entend défendre l’intégration contre l’assimilation. Concept obscur, en apparence, l’identité heureuse qu’il défend se définit comme « ouverte sur son voisinage et sur le monde » selon un discours prononcé à Strasbourg le 13 septembre dernier. Et de déclarer pour expliciter davantage sa vision de l’identité : « Que serait la France sans Marie Curie venue de Varsovie, Apollinaire, né sujet polonais de l’empire russe, Picasso qui vit le jour en Espagne, Ionesco, enfant de Roumanie ou François Cheng, arrivé à Paris à la fin de l’adolescence après avoir grandi en Chine ». La rupture est donc profonde avec la conception de l’identité défendue par Nicolas Sarkozy. Résolument européen, Alain Juppé en appelle à une « Europe debout ». Il dénonce les « démagogues nationalistes », tout en appelant à une relance du projet européen pour faire face aux « trois crises » qui frappent aujourd’hui le Vieux Continent. En somme, au moment où la parole politique s’essouffle, devenant le commentaire de la marche du monde sans avoir de réelle prise sur elle, le prochain président de la République aura pour première nécessité de réconcilier la France, devrions-nous dire les France qui se regardent aujourd’hui en chiens de faience. Gageons qu’Alain Juppé s’inscrive dans cette optique.

 

Une candidature à double tranchant 

La position actuelle d’Alain Juppé est singulière. Largement favori dans les sondages nationaux, talonné dans les intentions de vote des sympathisants Les Républicains, Alain Juppé semble tout de même faire la course en tête avec 37% des voix au premier tour, selon un sondage réalisé par le Cevipof (Sciences Po), en collaboration avec Le Monde et Ipsos-Sopra, et 56% des voix au second tour – grace à des reports de voix très favorables. Cependant, le maire de Bordeaux est tout à fait minoritaire au sein de l’appareil du parti – la majorité des militants et des cadres Les Républicains étant acquis à Nicolas Sarkozy. Il devra donc composer avec une base militante qui lui est, par moment, plutôt hostile, l’accusant de chasser sur les terres de la gauche. Cette configuration inédite lui permet, néanmoins, d’engranger, les voix des militants centristes – que lui dispute aussi Emmanuel Macron. Au fond, l’exercice de la primaire, qui n’est étranger à la culture politique de la droite, voit se redéfinir les alliances et les postures. Le gaullisme semble rendre là son dernier souffle. 

 

Finalement, celui qui enfant avait pour ambition de devenir « Pape » entend aujourd’hui accéder à la fonction suprême de notre République laïque. Paradoxale ironie pour un homme politique que l’on croyait enterré depuis 2004, année de son exil au Canada. D’une spiritualité à une autre, il n’y a décidément qu’un pas. Enfin, pas sûr que la grâce divine ne lui soit d’un grand secours dans cette course effrénée qu’est l’élection présidentielle. Mais l’avenir ne se lit pas dans les cieux, se plaît-on à répéter.