A Paris, les ruches prennent leur envol

Elles sont comme Dieu dans la Création : présentes partout, visibles nulle part. Il faut, pour les trouver, se rendre sur les toits des immeubles ou dans les renfoncements des jardins municipaux. Partout, cependant, le constat reste le même. À Paris, les ruches ont la cote.

Des toits de l’Opéra au Parc Montsouris

Ces dernières années, les installations destinées à héberger les colonies d’abeilles ont essaimé dans la capitale française. S’il n’existe pas de recensement exact à l’heure actuelle, les associations apicoles estiment que leur nombre est compris entre 1000 et 2000 à Paris. En guise de logements atypiques pour la Reine et ses sujettes, on peut citer le toit de l’Opéra Garnier, le jardin du Luxembourg ou encore le potager communautaire de la Butte-Bergeyre, sur les hauteurs du XIXème arrondissement. L’essor de la ruche à Paris n’a rien d’anodin, comme nous l’a expliqué Pierre Merlet, étudiant à Sciences Po en charge des ruches nouvellement installées au sein du parc Montsouris.

Cette année, dix ruches ont été installées dans le Parc Montsouris ( XIVe arrondissement ).

Lorsque l’on demande à l’interrogé d’où viennent les germes de sa passion pour l’apiculture, il esquisse un sourire et nous ramène en 2015. « Au lycée, je commençais à m’intéresser à la permaculture, mais je n’avais pas de jardin suffisamment grand pour allier la pratique à la théorie. Du coup, j’ai ‘ imposé ‘ des ruches à mes parents ! » Et l’étudiant en master Innovation et Transformation Numérique d’insister sur la patience requise pour développer ce nouveau centre d’intérêt : « J’ai fait une formation de six mois, mais si l’on veut tout cerner, il faut acquérir de l’expérience, se confronter à différents types de saisons et d’écosystèmes. »

L’apiculture, une affaire de patience

Passée l’étape initiatique, Pierre met de côté l’apiculture pour quelques temps, bicursus à Sciences Po oblige. En parallèle de ses études, l’étudiant s’investit néanmoins au sein de l’association Sciences Potiron. C’est par le biais de cette dernière qu’intervient le déclic : « Un jour, ils cherchaient des apiculteurs bio pour faire une vente flash. » nous affirme-t-il. Désireux de recourir aux circuits courts, Pierre se met à la recherche d’artisans installés en région parisienne. « J’ai rencontré Cyril Way, qui s’occupe de ruches près de Dourdan. » Cyril Way, apiculteur en pluriactif, s’occupe des Ruchers du Dourdannais, au Sud de Paris. Le courant passe et Cyril propose à Pierre de travailler à ses côtés.

Pour ce dernier, c’est le début d’une série d’allers-retours dans l’Essonne et une première mise en pratique de ses enseignements apicoles. Au printemps 2018, alors que l’étudiant est en train de se rompre aux principes de l’apiculture, la Ville de Paris lance un appel à projets dont l’objectif est de peupler de ruches ses jardins publics. L’offre tombe à pic. Accompagnés d’Eric Leblond, apiculteur en milieu urbain, Pierre et Cyril tentent leur chance. Leur dossier est accepté, et ils remportent le droit d’installer leurs ruches dans le Parc Montsouris, au beau milieu du 14ème arrondissement parisien. Fort de son expérience et des soutiens engrangés, le trio peut se lancer dans une audacieuse aventure d’apiculture urbaine.

Les espaces urbains, « havres de paix » pour les abeilles

Installer des ruches dans Paris, est-ce un pari pour l’avenir ? Oui, à en croire Pierre. « Si tout se passe bien, on a la concession pour cinq ans, renouvelables cinq années supplémentaires » déclare-t-il. Cela tombe bien : l’apiculture étant étroitement liée aux variations climatiques, sa science ne s’apprivoise qu’au fil des années. L’irrégularité des cycles saisonniers donne lieu à des récoltes inégales et fait émerger divers aléas pour les apiculteurs. À titre d’exemple, en raison du mauvais temps persistant durant le printemps 2019, nombre d’élevages durent faire une croix sur la traditionnelle récolte de mai. « On a fait une première récolte de 120 kilos en juillet » se réjouit cependant Pierre, heureux de voir son projet parisien s’élancer du bon pied.

À Paris, les abeilles peuvent bénéficier de floraisons régulières.

En 2020, d’autres récoltes devraient suivre. Alors qu’urbanité et biodiversité paraissent rarement conciliables dans l’imaginaire collectif, Pierre affirme en effet que « les zones urbaines sont des havres de paix pour les abeilles ». La capitale française et ses trois millions d’habitants ne feraient pas exception à la règle. Elle ferait même figure d’élève modèle, puisque l’une des mesures du plan Biodiversité adopté en 2018 par le Conseil de Paris prévoyait le bannissement des pesticides dans les jardins publics de la métropole. Les abeilles étant particulièrement vulnérables face à ces agents toxiques, elles seraient donc davantage en sécurité à Paris que dans certaines zones rurales où les épandages sont fréquents.

Paris, nouvelle capitale des pollinisatrices ? 

Selon Pierre, la ville possèderait par ailleurs un autre atout : « À Paris, du fait de la diversité des végétaux, les floraisons sont très étalées tout au long de l’année. En d’autres termes, cela signifie que les abeilles ont toujours des plantes à butiner. » Ces deux particularités propres à la capitale en font un environnement privilégié pour la pratique de l’apiculture. Au point de faire poindre la menace d’une surpopulation, comme le souligne Pierre lorsqu’il fait référence à la densité de pollinisatrices au kilomètre carré : « À la campagne, tu ne verras jamais deux mille ruches dans un rayon de dix kilomètres. À Paris, c’est le cas. » Permettre aux abeilles de cohabiter sans accrocs : tel sera l’un des principaux enjeux pour l’avenir à Paris.

« L’idée, c’est de s’implanter localement dans le quartier pour faire de ces ruches un lieu de rencontre» déclare Pierre Merlet.

En attendant, les ruches du parc Montsouris se préparent pour l’hivernage. Mais n’ayez crainte : l’étudiant interviewé nous a assuré que d’autres initiatives devraient fleurir avec le printemps. « L’idée, c’est de s’implanter localement dans le quartier pour faire de ces ruches un lieu de rencontre. On aimerait notamment créer un espace de jardinage pédagogique à proximité des ruches, en faisant participer les écoles de quartier » dit Pierre. Et le responsable du projet d’ajouter : « On aimerait aussi faire des formations sur le plus long terme. » Chacun, du néophyte au passionné, pourrait donc y trouver son compte. Et tout porte à croire que les initiatives vertes comme celle-ci devraient, durant les années à venir, se sentir pousser des ailes.

Pour les plus gourmand.e.s d’entre vous, le miel du Parc Montsouris est disponible à la vente. Une vente flash sera par ailleurs organisée prochainement par Sciences Potiron. Plus d’informations sur le site Internet du projet : https://www.ruchers-du-dourdannais.fr/vente-directe-sur-paris/

Crédits photo : Les Ruches du Parc Montsouris