Venezuela : quel avenir pour le chavisme sans Chavez ?
Avant de me lancer dans quelconque considération, analyse ou suggestion, j’aimerais me présenter brièvement. Âgé de 22 ans et de nationalités portugaise et vénézuélienne, je réalise actuellement la 3ème année de formation initiale de Sciences Po Paris, à l’étranger, plus particulièrement à Caracas –Venezuela-. J’ai jusqu’à présent effectué les deux premières années du Collège Universitaire au sein Campus « euro-latino-américain » de Sciences Po, à Poitiers. A part en France et au Venezuela, j’ai également vécu en Argentine et notamment au Brésil.
C’est dans ce contexte, que je souhaite apporter une contribution dans ce qui est l’analyse de l’actualité sociopolitique de mon pays, le Venezuela. Toutefois je tiens à souligner qu’il sera question avant tout ici d’un article d’opinion, qui ne constitue que mon point de vue personnel. Ceci étant dit…
Il faut savoir que Chavez est au premier plan de la scène politique vénézuélienne depuis déjà plus de vingt ans. Militaire de formation, Hugo Chavez, se fait peu à peu connaitre du grand public ; sa première véritable apparition étant en 1992, après avoir orchestré, dans la capitale, une tentative déchue de coup d’état contre le président de l’époque, Carlos Andrés Pérez. Suite à cet évènement, il a été emprisonné à la pénitentiaire de Yare. Après avoir été amnistié, deux ans après, par le président Caldera, il s’est progressivement transformé en un véritable « caudillo », extrêmement populaire et unique en son genre. En 1999, après avoir remporté les élections présidentielles, il prend le pouvoir et il ne le lâchera que quatorze ans plus tard. Chavez est le véritable résultat d’une conjoncture, d’un contexte. Il est question d’une profonde crise des partis traditionnels, d’une situation économique défavorable mais aussi d’un peuple qui se sent de plus en plus éloigné de ses représentants et de la politique en général.
Tout au long de ces quatorze années, le « comandante » a réussi à couvrir progressivement tous les Pouvoirs de l’Etat, un par un ; personnalisant l’exercice du pouvoir d’une forme telle qu’il laisse derrière lui les structures d’un Etat construit à son image et ressemblance. Par ailleurs, il a su impulser la réélection indéfinie et profiter des plus hauts prix pétroliers pour financer sa révolution bolivarienne. Indubitablement, Hugo Chávez Frias est un personnage qui entre dans l’histoire, mais les conséquences de sa participation étant diverses et controversées…
En terme général, les quatorze années du gouvernent chaviste ont su répondre providentiellement à un contexte. La résurgence de la thématique sociale, même si dans une vision « courtermiste », et, d’un point de vue plus symbolique, la recrudescence politique d’une classe oubliée, constituent sans aucun doute des apports clairs de la gestion de Chavez. Néanmoins, il existe également un héritage beaucoup plus ambigu… De fait, du point de vue économique, le Venezuela possède un des plus grands déficits fiscaux au monde, le plus fort taux d’inflation, le pire ajustement du taux de change, la plus forte hausse d’endettement, et une des plus importantes chutes de la capacité productive, ceci même dans le secteur clef du pétrole. De plus, pendant l’ère Chavez le pays est tombé et arrivé aux derniers postes des listes mesurant la compétitivité internationale et l’attrait des investisseurs étrangers. Par ailleurs, le Venezuela fait aujourd’hui partie des pays les plus corrompus au monde. Il a une balance commerciale totalement déséquilibrée, avec de fortes importations et une production nationale très basse et possède un taux d’emploi en forte chute.
Finalement au cours des dernières semaines, le gouvernement a annoncé une dévaluation de 46% de la monnaie, ce qui accentue encore plus la dynamique inflationniste. Tout ceci constitue un panorama économique assez défavorable, et ce sans mentionner les petits cadeaux sous forme de barils de pétrole qui sont offerts tous les jours aux pays amis, comme Cuba ou la Bolivie par exemple, sachant que les problèmes internes sont d’une ampleur monumentale. Petite remarque, pour ceux qui se demanderaient pourquoi la plupart de ces données ne correspondent pas aux chiffres officiels, il y a une raison simple. Au Venezuela il existe un contrôle du régime de change, ce qui permet l’existence de deux valeurs du dollar (en tant que monnaie de référence), le dollar officiel et le dollar de marché (ou dollar parallèle). Le gouvernement fait ses calculs au prix qui lui convient le plus, ceci étant pour la plupart du temps un artifice qui sépare ces chiffres de la réalité.
Mais la sphère économique n’est pas la seule à avoir été influencée par l’ère Chavez. La criminalité au Venezuela s’est accentuée de forme exponentielle. Le rapport réalisé annuellement par le Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), a situé le Venezuela comme étant le troisième pays avec le plus important taux d’homicides au monde, après le Honduras et El Salvador. Pour chaque 100.000 habitants, entre 40 et 90 personnes sont assassinées dans le pays. La capitale, Caracas, est considérée une des villes les plus dangereuses au monde, surmontant les indices de villes comme Bagdad et pouvant facilement dépasser les 50 morts par jour. La constante pénurie de produits et marchandises, en particulier dans l’alimentaire, est un autre problème permanent. Ce problème d’efficacité organisationnel et logistique touche aussi des secteurs comme celui de l’énergie, puisque des coupures de courant sont quotidiennement réalisées dans la plupart des villes vénézuéliennes. En ce qui concerne la sphère politique et l’exercice du pouvoir, Chavez a accentué une dynamique paternaliste et personnaliste. Malgré les nombreuses élections réalisées dans le pays tout au long de ces quatorze années, le « comandante » a mis en œuvre de nombreuses actions et mesures allant à l’encontre de principes démocratiques d’un Etat de Droit, mais aussi à l’encontre, et ce, de forme souvent flagrante, de la propre Constitution nationale.
Dans cette perspective, avant d’attaquer directement le sujet du décès de Chavez et ses conséquences, rappelons quelques uns des derniers évènements de l’actualité nationale qui nous plongent un peu dans le contexte. Le 7 Octobre 2012 ont lieu des élections présidentielles, opposant le leader de la révolution bolivarienne à l’actuel représentant de la coalition de l’opposition (MUD), Henrique Capriles Radonski. Chavez sort vainqueur avec 55,07% des voies, contre 44,31% de l’opposition. Le 27 Novembre, le président voyage à Cuba pour continuer son traitement contre le cancer. Le 8 décembre, Chavez annonce à la nation la nécessité d’une nouvelle intervention chirurgicale à la Havane. Il délègue ses fonctions au vice-président Nicolas Maduro. A partir de ce moment une longue vague d’incertitude sur la santé du président gagne les vénézuéliens. Le 16 Décembre, de nouvelles élections, cette fois au niveau régional, ont lieu. Malgré le fort taux d’abstentionnisme, un résultat se dessine : le chavisme gagne vingt états contre seulement trois de l’opposition. Le 18 Février, après plus de deux mois à Cuba, on annonce le retour du président, qui sera interné dans l’hôpital militaire de Caracas, mais ce dernier ne fait aucune apparition publique et son état de santé demeure un mystère pour les vénézuéliens. Après une longue bataille de plus de deux ans contre un cancer, le 5 mars, Nicolas Maduro annonce au pays le décès du président Hugo Chavez. Suite aux obsèques du « Comandante », Nicolas Maduro prend la présidence du Venezuela en attendant les nouvelles élections qui auront lieu le prochain 14 avril.
Dans tout ce contexte tortueux, d’innumérables irrégularités et de nombreux abus de la part du gouvernement ont été commis. Tout d’abord nous pouvons commencer par citer les abondants mensonges qui ont été soutenus de manière assez flagrante par le pouvoir central. Commençons par le sujet même de la mort du président, thème jusqu’aujourd’hui demeurant très énigmatique. Tout semble indiquer que le président Chavez n’est pas décédé le 5 mars, mais bien avant. Or le chavisme avait tout simplement besoin de s’organiser et de résoudre des problèmes internes avant de pouvoir annoncer publiquement la mort du « comandante ». Ce n’est pas un secret qu’au sein du chavisme il existe des divergences et des disputes de pouvoir, notamment entre Maduro – leader civil, ayant l’appui cubain, et ayant été désigné par Chavez lui-même pour prendre sa suite – et l’actuel président de l’Assemblée Nationale, Diosdado Cabello – militaire, contant avec l’appui des forces armées -. Le fait d’être aussi organisés et préparés en ce qui concerne la campagne politique représente un autre élément de doute par rapport aux représentants du pouvoir central : des chemises, des casquettes, des drapeaux, entre autres, ont été mis à disposition les jours mêmes qui ont suivis la mort du Président. A travers de nombreux discours, des manifestations publiques et d’abondantes cérémonies en mémoire au comandant en chef de la révolution bolivarienne, et, en abordant très clairement la tactique consistant à s’appuyer sur la figure du président défunt, la campagne chaviste parait avoir commencée bien avant les pronostiques.
Par ailleurs, le chronogramme du CNE (« Centro Nacional Electoral ») pour les élections du 14 Avril est apparu, de forme assez surprenante, très rapidement, étant donné qu’il s’agit d’un processus toujours assez long, comme ça a été le cas par exemple pour les dernières élections municipales. Finalement, il convient de rappeler qu’un corps non soumis à des processus chimiques spécifiques auparavant ne peut tout simplement pas se maintenir et se préserver de la manière qu’il a été le cas pour le président défunt, son corps ayant été exposé dans la chapelle de l’Académie Militaire pendant près de 10 jours. Ainsi, tout parait avoir été rigoureusement calculé. Les mensonges sont vraisemblablement nombreux, pouvant aller même au point de dépasser le ridicule, ce qui est notamment le cas pour les déclarations soutenant que le cancer d’Hugo Chavez a été d’une certaine façon induit ou introduit (« cancer inoculado ») par les adversaires du « comandante », par exemple.
Mais les irrégularités si particulières du contexte actuel ne s’arrêtent pas là. Il faut savoir qu’en pro d’une campagne politique, la figure du président Chavez est entrain de subir un fort processus de mythification et de dignification, quasi religieux, cherchant à le lier de forme profonde l’actuel candidat du chavisme avec le président défunt. Ce n’est pas par hasard que, par exemple, la campagne politique du pouvoir central portera le nom d’« Hugo Chavez » ; que les discours de Maduro font constamment référence au leader de la révolution bolivarienne et tournent autour de sa figure et de son importance symbolique ; qu’une image du « comandante » est toujours perçue au fond de n’importe quel évènement ou manifestation publique du chavisme ; que de nombreuses cérémonies apothéotiques sont déployée en mémoire du président ; qu’on nomme Chavez le « rédempteur du peuple » ; qu’on essaye de relier les images de Jésus-Christ, de Bolivar et de Chavez, en une seule ; et, finalement, que cette dynamique perverse et opportuniste d’utilisation de l’image du président défunt se cache derrière un discours violent et diviseur, qui pointe du doigt l’opposition, la faisant coupable de tous les maux du pays.
Finalement, un dernier point que j’aimerais mettre en lumière dans ce contexte est la constante violation à la Constitution nationale qui a eu lieu lors de ces derniers jours. Tout d’abord, il faut savoir que la Constitution vénézuélienne établit clairement que si un Président décède, avant sa prise de fonction (symbolisée par une prestation de serment devant l’Assemblée Nationale), ce qui est le cas ici, il revient au Président de l’Assemblée Nationale de prendre possession, en tant que «chargé de la Présidence de la République» et d’organiser des élections présidentielles dans les prochains 30 jours. Or, si le Président décède après sa prise de fonction, ce qui n’a pas eu lieu ici, il revient au vice-président les responsabilités énoncées ci-dessus. Ainsi, en théorie, il reviendrait donc au Président de l’Assemblée Nationale, Diosdado Cabello, et non pas à Nicolas Maduro, d’entamer la fonction de « chargé de la présidence », chose qui n’a pas été respectée, violant ainsi clairement le fil constitutionnel. Mais encore, d’après la Constitution, le vice-président, soit-il en fonction de « chargé de la présidence » ou pas, doit obligatoirement se détacher de sa fonction, pour pouvoir se lancer à la présidence et déployer un processus de compagne électorale. Ceci s’applique également pour un gouverneur, raison pour laquelle Henrique Capriles, candidat de l’opposition s’est détaché de sa fonction de gouverneur de l’Etat de Miranda. Or, le TSJ (Tribunal Supremo de Justicia) a mis au point un artifice juridique, transformant la fonction de Maduro, antérieurement intitulée vice- président « encargado de la Presidencia de la Republica » en « Presidente encargado » (mettant ainsi Maduro au même niveau qu’un président de mandat populaire) ; ce qui lui permet de maintenir son poste tout au long de la campagne. Nous voyons une nouvelle fois un abus clair de la Constitution. Finalement, les représentants d’institutions théoriquement et constitutionnellement neutres, comme le Ministre de la Défense, représentant de l’Armée Nationale, et la Présidente du CNE, représentant l’organisme électoral, (lequel, il faut le savoir, est formé de 5 recteurs, dont seulement un n’est pas chaviste) ont manifesté de différentes façons, plus ou moins discrètes, leur appui au candidat Maduro ; ce qui dénote une nouvelle fois le non respect à la « grundnorm » nationale.
A travers le discours de Capriles du dimanche 10 mars, une prononciation particulièrement symbolique puisque représentant pour la première fois une attaque plus frontale envers le pouvoir central, l’opposition semble avoir clairement changé de tactique. Sous un geste plutôt courageux, le représentant de la coalition opposante (MUD), Henrique Capriles, a annoncé sa candidature officielle, malgré le fait de devoir se séparer de son poste de gouverneur et malgré la forte possibilité de se « brûler politiquement », suite à un possible, voire probable, échec électoral, étant donné la lutte presque impossible qui s’annonce en faveur d’un candidat qui exploitera tout l’appareil de l’Etat en sa faveur. Néanmoins, Nicolas Maduro a de nombreux défauts et adversités qui sembleraient annoncer que l’opposition pourrait avoir, pour la première fois, une véritable chance de vaincre les élections. Il faut insister sur le fait que Maduro n’est pas Chavez. Maduro n’est pas une figure forte dans la politique nationale, n’ayant pas les même qualités conciliatrices au sein du chavisme ni le don charismatique qu’avait le « comandante ». Au contraire, jusqu’à présent, dans ses discours et interventions publiques, Maduro semblerait s’être montré plutôt hésitant, peu sûr, violent, nerveux, craintif et soutenant un discours diviseur et grotesquement rebelle, avec peu de contenu.
Ainsi, le processus de la révolution bolivarienne a accentué et incité une profonde fracture sociale qui est de plus en plus grave. Or, c’est sur ce point que je voudrais conclure. Indépendamment de l’opinion que l’on puisse avoir sur la gestion du chavisme et de son futur dans le pays, la population vénézuélienne doit comprendre qu’il est temps de laisser de côté les insultes, les discriminations, les ressentiments, les dénigrements et la haine, qui règnent dans le pays. On ne peut pas continuer à juger ainsi seulement par le fait d’être chaviste ou opposant. Le Venezuela est un pays divisé. Il faudrait construire une proposition de pays pour tous les vénézuéliens et non pas pour un secteur de la population, ni une majorité, ni une minorité, mais pour tous.
Par Eduardo Dias.
One Comment
Ludo
Certes, le Venezuela n’est pas sorti d’affaire. Mais même si je ne suis pas Venezuelien, ne peut-on pas dire que les choses vont mieux?
Une baisse de 50% des personnes sous le seuil de pauvreté, un spectaculaire accès au logement, à l’éducation… L’économie n’est pas la plus compétitive, mais les gens vont mieux.
Enfin, en ce qui concerne les divisions, nos sociétés inégalitaires, il faut le dire, en créent tous les jours. Doit-on accuser ceux qui les mettent en avant dans le domaine politique?