La Revue Ciné : Semaine n°12

Au programme cette semaine, la sirupeuse épopée équestre de Guillaume Canet, les dernières tribulations metaphysico-spatio-bordéliques des frères Wachowski, et Jean Dujardin dans une romance sur fond d’espionnage.

Faute de parcours (d’obstacles)

Jappeloup, de Christian Duguay

Séoul, 1988. Pierre Durand est sacré champion olympique de saut d’obstacles sur son cheval Jappeloup de Luze. 25 ans plus tard, le film du Québécois Christian Duguay nous propose une adaptation romancée de cette success story équestre.

Jappeloup

C’est donc un parcours tortueux que celui du cavalier Pierre Durand (Guillaume Canet), né dans un centre équestre, poussé par un père (Daniel Auteuil) qu’il ne veut surtout pas décevoir mais hésitant entre une vie d’avocat bordelais et se lancer dans l’inconnu d’une carrière de sportif professionnel. Son cheval, Jappeloup est jugé bien trop petit et caractériel pour le saut d’obstacles, mais conscient de sa détente exceptionnelle, le cavalier accepte de le prendre en main, et le dresse au saut d’obstacles. Ensemble, leur ascension sera fulgurante ils gagneront tout ou presque, des championnats locaux aux JO.

Le film est une nouvelle variation sur le mythe de Rocky, un couple d’anti-héros qui devient champion olympique à force de travail, d’échecs et de détermination. Pour autant, Duguay et Canet n’évoquent que très peu la relation entre le cavalier et le cheval, pourtant centrale dans une telle histoire, préférant les liens qui unissent Durand et son père. Même si le duo Canet-Auteuil fonctionne bien, c’est un aspect romancé, voulu par Canet et qui n’apporte pas vraiment d’intérêt au film. A l’inverse, le personnage de Marcel Rozier (Tchéky Karyo), l’entraineur contesté, aurait mérité d’être mieux exploité.

Les scènes de compétitions sont particulièrement réussies, au plus près de l’effort et rendant fidèlement l’ambiance d’un concours de saut et la pression qui y réside. L’accent est évidemment mis sur l’émotion et le grand spectacle, à grand renfort de musique très (trop ?) présente et de ralentis au moment des sauts. Canet qui fut tout près de devenir un cavalier professionnel lui-même a porté ce projet dont il est le scénariste, et son réel talent de cavalier est particulièrement appréciable, car d’autant plus crédible. Il est entouré de seconds rôles bien sentis comme Marina Hands, Lou de Laâge ou Daniel Auteuil sans oublier les apparitions clin d’oeil de Jean Rochefort ou Donal Sutherland.

Finalement, on reste un peu sur sa faim. Jappeloup est un film de qualité, les acteurs sont très bons et surtout, le destin de Pierre Durand et Jappeloup, assez hors-norme, mais comme tout n’est pas bon dans le cheval, en plus d’être un peu long, le film pêche un peu par excès de bon sentiments, visant à séduire le grand public.

Hadrien Bouvier

http://www.youtube.com/watch?v=M2fO9B9hg-k

Naufrage métaphysique

Cloud Atlas, des frères Wachowski

Imaginez six (qui a dit mauvais ?) films, concentrés et compilés en un seul. Les Wachowski auraient pu en faire une série, ils ont préféré en faire un film. Voilà pourquoi pendant deux heures quarante on se retrouve à jongler entre six histoires, chacune rattachée par un effet papillon un peu gadget à la précédente et la suivante. Peu de choses convainquent, les personnages se réduisent à des modèles de bonté dans une ambiance manichéenne assez lourde, la voix off est moralisatrice et pleine de bonne volonté, soit tranquillement insupportable. Toutes les époques sont stéréotypées : on passe de l’amitié entre esclave noir sur un cargo en 1848 au futur lointain sur une île qui fait franchement Lost, en passant par les lettres du compositeur homosexuel de 1936 et l’enquête d’une journaliste dans le San Francisco des années 70 (n’en jetez plus).

cloud_atlas

On admet cependant un coup de cœur pour le Néo-Seoul en 2155, seule partie du mille-feuille qui intéresse et convainc vraiment, en plus de proposer une jolie photographie, entre esthétique aseptisée, dirty et colorée, et ce même si on a parfois l’impression de voir un futur comme on l’imaginait dans les années 2000, soit un monde où toute forme est arrondie, où l’on porte tresses, combinaisons moulantes et bijoux de visages (cf : le clip A 20 ans de Lorie) (on a les références qu’on mérite). On aime aussi la sorte d’argot poétique du futur parlée « 106 hivers après l’automne ».

Le montage ne laisse aucun répit au spectateur, c’est peut-être paradoxalement pourquoi la sensation latente d’ennui ne nous quitte jamais. Ce mélange ininterrompu d’époques rattachées de façon hasardeuse nous empêche 1) de nous concentrer et 2) de nous intéresser. C’aurait été une série, ils auraient pu étoffer les scénarios de chacune des histoires, les rendant par-là moins prévisibles ; et faire gagner en densité les personnages. Nous, on aurait préféré.

Julie Henches

Sac de noeuds

Mobius, d’Eric Rochant

Grégory Lioubov, un officier des services secrets russes est envoyé à Monaco afin de surveiller les agissements d’un puissant homme d’affaires. Dans le cadre de cette mission, son équipe recrute Alice, une surdouée de la finance. Soupçonnant sa trahison, Grégory va rompre la règle d’or et entrer en contact avec elle, son agent infiltré. Naît entre eux une passion impossible qui va inexorablement précipiter leur chute.

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Cette grosse production possède un casting glamour en diable et un sujet extrêmement attirant malgré une mise en scène sinueuse. Möbius, s’il n’est pas le grand film attendu – manque d’une véritable identité entre le film d’amour et le film d’espionnage- recèle malgré tout suffisamment de bonnes choses pour passer un excellent moment. Tout le début est notamment très réussi, permettant la mise en place d’une intrigue alambiquée mais passionnante et posant les bases d’un grand film d’espionnage, avec enquête, manipulation, planque, surveillance etc.

Puis au fil de la narration, la relation amoureuse se noue entre les deux protagonistes principaux, avec notamment une scène d’amour à la sensualité incroyable, malgré un côté irréaliste qui a tendance à légèrement agacer, mais par la fluidité de la mise en scène et par l’élégance des mouvements de caméra, les images transmettent une grâce et une classe peu communes. Le but premier de Möbius est en fait de raconter une histoire d’amour avec pour toile de fond un univers d’espionnage, et non pas l’inverse, la partie policière est ainsi parfois un brin tirée par les cheveux pour conserver une cohérence et un intérêt croissants.

On se perd entre circonvolutions et explications tarabiscotées dont on finit par se moquer un peu. Et malheureusement ça ne favorise pas l’empathie envers des personnages pas foncièrement sympathiques au premier abord. Malgré tout, on parvient à conserver notre intérêt pour le récit qui se déroule sous nos yeux et ce au-delà des incohérences de scénario ou des complications inhérentes à celui-ci, grâce à des comédiens très à leur aise et qui insufflent leur sincérité et leur pouvoir de séduction à leurs personnages. Jean Dujardin y trouve un rôle froid et distant qu’il sert à merveille par sa prestance (malgré de nombreuses scènes à parler en russe) et face à lui Cécile De France, délicate et sensible, est éclatante de sensualité.

Möbius, sans être le succès tonitruant annoncé, a quelques beaux atouts dans sa manche pour séduire et faire voyager, de Monaco à Moscou.

Anne-Charlotte Monneret

Notre Monde, de Thomas lacoste

« Notre monde » : voilà un titre bien mystérieux. De quel monde s’agit-il ? Ce film interroge avant même que nous l’ayons vu et interroge sans relâche. En effet, « notre monde » est un documentaire, une réflexion profonde sur nos sociétés.

Via les témoignages d’une trentaine de spécialistes éminents, Thomas Lacoste produit une œuvre au contenu intellectuel impressionnant. Le format austère est tout entier soumis au foisonnement des idées et ce documentaire n’élude aucun sujet.

notre monde

En dix « chapitres », il nous interroge sur l’éducation, la justice, les frontières, l’économie, la culture, ou encore l’Europe. Il s’agit de raisonner sur l’état de nos sociétés, les progrès qu’elles ont à mener, leurs défauts structurels ou encore la place de la démocratie, celle du citoyen.

Sur chaque thème, les intervenants reconsidèrent des faits que l’on oublie d’interroger. Ils sont philosophes, écrivains, magistrats, sociologues ou psychiatres. Ils s’attaquent aux questions qui fâchent et proposent des regards inédits, rigoureux et humains. Parmi les intervenants, on peut citer Robert Castel, pape des cours de SES, ou Pap Ndiaye, professeur à Sciences Po. Si ce documentaire milite pour replacer la penser au cœur de l’action politique, il reste pragmatique. Plus crédible, il en devient étonnement puissant.

Toutefois, comme on s’en doute, l’angle d’attaque est politiquement très marqué. Le progrès et l’idéalisme sont revendiqués comme des révolutions à mener. Bourdieu et Marx sont omniprésents. Le documentaire semble très manichéen et tombe dans une critique assez systématique. On peut aussi regretter « la théorie du complot » qui plane sans cesse. Lorsqu’il oublie de donner à penser pour flirter avec l’« harangue », le documentaire devient presque oppressant.

Ce documentaire de deux heures est comme un livre épais, peu digeste mais passionnant. Il est indubitablement innovant, et ce jusque dans son rapport au spectateur via une utilisation séduisante d’internet (www.notremonde-lefilm.com). Avec ce film, ne croyez pas aller voir un divertissement, mais vous trouverez assurément de quoi nourrir mille débats, et pourquoi pas des ambitions.

Pierre Yves-Anglès