Une Génération(s) de retard ?

En septembre dernier, Génération(s), premier journal de l’UNEF, a fait une entrée remarquée dans le paysage journalistique de l’IEP. Tirage important, thèmes approfondis, point de vue militant, ce bi-mensuel veut s’imposer durablement dans notre jungle étudiante. Mais à l’ère du 2.0, pourquoi avoir pris le pari risqué d’un journal papier? À peine sorti de sa coquille, ce nouveau-né invite à revisiter les diverses expériences de ce format à Sciences Po. Quel constat peut-on aujourd’hui tirer de l’état et des perspectives de la presse étudiante papier ?

Le format papier apprécié

319316_10151261057282564_1172473233_n.jpgAu placard les tracts militants imprécis et les dossiers indigestes du blog de l’UNEF! Avec le journal Génération(s), l’UNEF a trouvé un format déjà plus adapté pour rentrer en contact avec les étudiants. Pour chaque numéro d’environ douze pages, les lecteurs sont informés sur un thème général approfondi sur 4 pages. Selon le rédacteur en chef Redwan Rezzak-Mulero, « Avec ce format papier à la fois complet et accessible, les lecteurs peuvent ainsi se sentir bien renseignés et sont donc mieux sensibilisés sur les grands enjeux ». Les retours pour cette première publication ont été plutôt positifs, auprès des masters notamment, qui se sont sentis concernés par le « Décryptage » sur les Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES). L’équipe qui avait au départ prévu 1200 exemplaires, a dû alors élargir l’impression à 3200 exemplaires.

Le modèle papier est-il économiquement viable?

Cette initiative de l’UNEF est-elle pour autant financièrement raisonnable, alors que le syndicat ne peut pas prétendre à une aide financière de la part de l’administration? Pour le premier numéro, 120 euros ont été mobilisés. Sachant qu’il a été choisi de partir sur un rythme de publication d’un numéro tous les deux mois, il a été décidé de commencer avec une impression en noir et blanc pour pouvoir tenir financièrement sur la durée. La rédaction tient à assurer ces 5 tirages annuels afin d’avoir le temps de rédiger des dossiers solides mais surtout de garder le fil des actualités étudiantes. « On a serieusement pensé à le faire en ligne, ceci dit, on a considéré que la version papier avait l’avantage d’assurer un lectorat plus large et qu’elle permettait de garder un vrai contact avec les etudiants, de voir leurs réactions ».

Mais si l’on se penche sur les expériences passées en matière de journal papier on s’aperçoit vite que ce format n’est pas forcément le plus viable. Si certains se contentent de leur quotas de photocopies tandis que d’autres passent par un projet collectif, pour pouvoir compter sur une aide financière de l’administration, ce sont parfois les étudiants eux-mêmes qui doivent mobiliser leurs propres ressources pour rentrer dans leurs frais, en complétant dans la mesure du possible avec de la publicité. Il y a aussi les formules payantes qui sont risquées mais qui peuvent être une source de rentabilité.

Le contenu : premièrement garantie de succès

Qu’est-ce-que les étudiants attendent prioritairement d’un journal ? Un format attractif ou des articles de qualité? N’est-ce pas avant tout le contenu qui détermine la pérennité des journaux étudiants? Si on prend le cas de Générations(s), on voit que la teneur en information est primordiale. L’UNEF semble s’être particulièrement attaché à informer l’ensemble des étudiants de Sciences Po sur des sujets les concernant directement, en essayant de ne pas afficher une figure militante trop caricaturale qu’on leur reproche souvent avec leurs tracts. Pour cela l’équipe rédactionnelle se compose d’une dizaine de personnes, pas exclusivement des militants, et tourne régulièrement en fonction des sujets abordés afin de fournir des informations concernant le plus possible les étudiants.

Car oui, les sciences-pistes sont exigeants et ne se satisfont pas de de la première feuille de chou venue! Le succès revient en effet aux journaux qui ont su jouer sur un contenu solide. C’est notamment avec une teneur humoristique et satirique que les journaux papiers se sont affirmés à Sciences Po, en témoigne le célèbre Indépendant de la rue Saint-Guillaume des années 1980 qui continue encore aujourd’hui de susciter l’intérêt (certains numéros auraient été volés à la bibliothèque !). Puis de 2005 à 2010 le journal satirique InVodkaVeritas a affiché un très grand succès avec son contenu provocateur. Dans un autre registre, The Paris Globalist crée en 2005 par un groupe d’étudiants internationaux, fournit un contenu pointu sur les relations internationales. Trois fois par un an, un magazine d’affaires internationales est publié par les étudiants de Sciences Po à hauteur de 2500 exemplaires à destination des étudiants de l’école mais aussi des spécialistes.

Le journalisme étudiant de Sciences Po a-t-il été seulement traversée par des réussites ?


Si l’on parle en termes de réussite, il faut évidemment évoquer la revue érotique L’Imparfaite. Dès la première publication en 2010, les retours ont été très bons à Sciences Po comme dans la presse. C’est surement parce que le magazine a su allier un contenu ambitieux, en abordant la sexualité sous le prisme des sciences sociales, avec un support esthétiquement réussi. Et surtout, L’Imparfaite affiche aujourd’hui des records de rentabilité (avec un numéro à 13,50€ !).

Toutes les aventures n’ont pourtant pas connu les mêmes réussites. En 2007, InVodkaVeritas commente allègrement dans la rubrique « Les pires évènements de la vie étudiante » la sortie du nouveau magasine Sciences Politan : « (…) le fond c’est justement ce qui manque à Sciences Politan, ce qui est manifestement pas le cas de fond (blague !) ». InVodkaVeritas se moque de ce journal payant (2,50€) et prétentieux en papier glacé. Les artifices esthétiques de mise en page tenteraient de compenser un contenu ennuyeux et élitiste avec par exemple un article sur la journée shopping type d’un étudiant à St Germain des Près. De 1997 à 2008, le BDA s’est également aventuré dans la publication d’une revue culturelle vendue à 1€. Seulement avec son format trop audacieux, Art Maniak aurait épuisé les ressources financières de l’association.

Toutes ces tentatives désarticulées de journaux papier à Sciences Po révèlent bien une presse amateur en crise, dans l’incapacité de trouver un modèle économique viable. Aujourd’hui, le meilleur format de presse étudiante reste le web site, largement privilégié par les associations étudiantes pour son moindre coût. Le journal de La Péniche qui tend à se pérenniser est le premier à être passé à ce format en 2006, avec l’ambition d’apporter une information accessible aux étudiants sur un portail internet actif.

Un pari risqué pour l’UNEF

Tandis que déjà, le second numéro de Génération(s) est gaiement distribué en Péniche, les étudiants semblent accepter machinalement un numéro comme ils récupéreraient un tract militant classique. Est-il évident que les étudiants aient envie de se plonger dans la lecture d’un journal syndical ? Il faut garder à l’esprit que Générations(s) reste un journal engagé. Cela demande aux lecteurs l’effort d’une lecture critique, face à des articles plus ou moins objectifs. D’ailleurs, si le rédacteur en chef de Génération (s) insiste particulièrement sur le contenu approfondi du journal, il ajoute pourtant que « ce travail d’information sur le long terme, doit permettre aux lecteurs d’y gagner en conviction ». Il revient maintenant à l’UNEF de savoir susciter l’intérêt de tous les étudiants sans sombrer dans le prosélytisme primaire, notamment en cette période d’élections du CROUS! Tout cela, en parvenant bien sûr à assurer la pérennité financière du journal. Mais pour l’instant, c’est bien parti.

10 Comments

  • Wait...

    Mais merci, bien sur que le journalisme d’opinion existe, encore heureux. Mais la on parle de publication militante. Dans les gazettes et newsletters des partis politiques il y a aussi des textes joliment écrits, est-ce que cela en fait pour autant du journalisme? Non. La gazette de l’Unef qui se fait appeler journal n’en est pas plus. Même si je reconnais et apprécie l’effort de l’Unef pour mettre en avant son action, il est bien osé de parler de journalisme à propos de ce feuillet.

  • ... for it

    @Wait… : faut-il te rappeler que la presse écrite a commencé et a prospéré comme une presse partisane ? Suivant ton propos, on en tirerait donc la leçon que jusqu’à l’après-WWII la France n’a pas connu de journalisme… L’erreur c’est de croire que les journaux « indépendants » ne sont pas eux-mêmes les vecteurs d’opinions politiques et d’idéologie, pas l’inverse. Au moins, avec Générations, on sait à quoi s’en tenir, chacun est toujours libre de se faire son opinion après lecture – d’articles très bien documentés et intelligents, par ailleurs !

  • IVV revient

    « 

    Dans ce cas là, le petit magazine de présentation de Sciences Po réalisé par la direction de la communication, contenant des interviews et des textes, c’est du journalisme? »

    Si on considère lapeniche.net comme du journalisme, alors oui, le petite magazine de la direction l’est aussi. Certes, le journal de la direction de la com de sciences po empiète allègrement sur le créneau de la peniche.net pourrez vous me répondre…

    Ah et au fait lapeniche.net, vous avez entendu parler de l’AG des personnels de pipo et de leur lettre ouverte demandant la démission des têtes de sciences po? on se permet de vous souffler l’info, il parait que cette rubrique s’appelle « actualité de sciences po », ca pourrait peut-être rentrer dedans !

  • Wait...

    Donc selon toi nr, il suffit d’écrire un texte de bonne qualité et de nommer ce texte « article » pour faire du journalisme?

    Dans ce cas là, le petit magazine de présentation de Sciences Po réalisé par la direction de la communication, contenant des interviews et des textes, c’est du journalisme?

  • nr

    Si on refuse de croire que les journalistes ont des opinions… Effectivement celle de Génération(s) est au moins assumée. Ca n’en retire rien à la qualité du contenu, comme le souligne l’article !

  • Wait...

    Peut-on vraiment parler de journalisme à propos d’une publication militante, au partisanisme revendiqué qui plus est?

  • Antoine de Cabanes

    Très bon article, bien documenté ! Par contre c’est dommage que quand on parle de la presse étudiante à sciences po, on oublie Rive Gauche, le journal du Front de Gauche Sciences Po qui sort tous les mois ou tous les deux mois depuis plus d’un an et est aujourd’hui le seul journal politique de Sciences Po …