Tribune : Tout va bien aller
Faits alarmants. La consultation AEAP (Association de l’École d’Affaires Publiques) sur la situation des étudiant.es de Sciences Po a dévoilé il y a quelques jours des chiffres assez inquiétants sur la santé mentale des sciencespistes. 4 étudiant.es sur 10 auraient des symptômes de la dépression, et 6 sur 10 auraient des symptômes de l’anxiété. Des données qui ont fait réagir certains médias et certain.es internautes qui se sont empressé.es de minimiser et moquer les élèves. Minoritaires, ces messages s’inscrivent dans une tendance de minimisation des santés mentales détériorées par la situation sanitaire et sociale. Certaines personnes bien intentionnées s’empressent aussi de prêcher la positivité absolue, et de surtout « ne pas se plaindre pour rien », « un toit sur la tête c’est déjà beaucoup, pourquoi toujours être négatifs ? POSITIVONS » « faut pas se laisser abattre » « ce n’est pas la guerre non plus » « rahlala ça sert à rien de déprimer, faut se bouger et voir le côté positif de la vie, elle est belle !».
Ce genre de message, qui se veulent motivants ou emplis de positifs, ne le sont pas tant que ça et, finalement, agacent.
Je suis pour voir le positif, bien évidemment, mais jamais je ne serai pour minimiser le malheur des autres.
En ce moment, il y a des gens tous seuls et pour qui c’est la première fois, parfois dans moins de 20m2. En tant qu’étudiant.es, nous sommes nombreux.ses à voir le futur s’assombrir et se compliquer : plus de travail pour compléter ses revenus, difficultés à trouver des stages, plus d’échanges à l’étranger, surcharge de travail, flou, projets avortés ; en bref, des rêves qui s’éteignent.
Je ne veux absolument pas comparer le malheur et la précarité immenses que connaissent des personnes avec la lassitude d’autres, jamais. Je ne veux pas non plus dire qu’il ne faut pas être positif, absolument pas. Loin de là, je voudrais que tout le monde soit heureux, relativise, voie que l’on est un peu tous dans le même panier et qu’on a la même lassitude, la même tristesse. Sauf que je ne veux pas qu’on oublie qu’il y a parfois de réelles souffrances derrière des râleries anodines.
Certains vont bien et c’est parfait. Ils sont ultra positifs, ils répandent le bonheur et il n’y a rien de plus beau. Certains ne vont pas bien, ils ont un coup de mou et ils ne doivent pas être culpabilisés.
Être positif c’est aussi être empathique pour les gens qui semblent aller mal, alors qu’il y a pire. Être positif et répandre la positivité c’est écouter, ne pas fermer ses oreilles sous prétexte que quelqu’un souffre plus ailleurs. Être positif c’est accepter, au fond, le négatif.
Oui, en ce moment, les actualités sont anxiogènes et plus que jamais les petites choses anodines qui ne vont pas semblent décuplées et notre malheur semble nous engloutir, comme s’il n’y avait pas de lumière, pas de paillettes. Oui, parfois c’est ça et il faut aussi apprendre à voir le soleil au milieu des nuages, car il brille fort, souvent. Mais parfois c’est plus, parfois, le petit nuage qui semble anodin cache une tempête dévastatrice.
En effet, déprimer, « ne pas se bouger » ce n’est pas un choix, c’est une maladie.
La dépression et l’anxiété existent et on n’a pas besoin d’être dans une très grande précarité pour y être sujet… Et dire à ces gens : « pas besoin de se plaindre », c’est violent. Ces personnes sont à écouter et à soutenir, même si on ne comprend pas pourquoi elles ne vont pas bien.
J’ai vécu avec des gens dont les blessures sont internes et invisibles, pour qui tout semble beau mais, en fait, tout est gris. Les souffrances invisibles sont violentes, les maladies invisibles sont compliquées. Personne n’oserait dire à une personne qui a la jambe cassée de courir un marathon. Alors quand c’est le cœur qui va mal, on fait la même chose : on est patient.
Écoutez ce qui ne va pas et acceptez que les autres aillent mal.
Souvent, savoir qu’on est écouté.e aide à relativiser. Si ce n’est pas grand-chose, ça fait toujours du bien. Des tristesses accumulées et gardées pour soi créent des tonnerres, et animent des colères inexpliquées et ça, c’est frustrant.
Et parfois, c’est plus. Parfois ce sont les premiers signes de la dépression. Parfois ce sont les signes d’une trop grande anxiété. Parfois, c’est le quotidien d’une personne hypersensible, pour qui le cœur fait un grand huit.
Alors, courage à toutes celles et tous ceux qui ne vont pas bien en ce moment. Courage aussi à celles et ceux pour qui ça va. Il y a toujours un peu de lumière. Si vous faites partie des 4 personnes sur 10, ou si votre quotidien est tout gris, surtout parlez à des gens compétents. Ne restez pas seul.es dans votre malheur, à culpabiliser parce que « tout va bien ».
Positivez à votre façon, toujours.