Table ronde « (Re)voir les classiques »

Mercredi 1er février, à l’occasion de la Semaine du Cinéma de Sciences Po, 5 intervenants prestigieux se sont réunis pour réfléchir à la question : qu’est ce qui fait un film classique ? 

Ce sont Judith-Lou Lévy (productrice et fondatrice de la maison de production Les films du bal), Simon Riaux (critique de cinéma et participant du podcast Réalisé sans trucage sur Spotify), Pierre François (Directeur de recherche au CNRS et professeur de sociologie à Sciences Po), Héloïse van Appelghem (professeure de cinématographie à la Sorbonne) et Elisha Karmitz (directeur de MK2) qui ont réfléchi à cette question à l’occasion de la table ronde « (Re)voir les classiques » organisée dans le cadre de la Semaine du Cinéma. 

« Le classique existe dans l’œil de celui qui regarde »

Quand on affirme qu’un film est un classique, on pense qu’il s’agit d’un fait commun : ce film est un classique et tout le monde le sait. Pourtant je n’ai pas vu le film que mon ami qualifie de classique, et il n’a jamais entendu parler de ce film incontournable pour moi. 

Nous en avons convenu lors de la table ronde : la notion de « classique » est difficile à définir. « Le classique existe dans l’œil de celui qui regarde » pour Pierre François. Un film devient donc un classique grâce à celui qui le regarde et aux professionnels qui s’y réfèrent. Il n’existe pas de critères ou de caractéristiques objectives qui font d’un film un classique.

Simon Riaux, le dit aussi : la définition d’un film classique est mouvante car elle dépend de l’avis du public. Nous pouvons alors seulement nous accorder sur une définition vague : un film classique est un film qui marque l’histoire du cinéma.

Ainsi, chacun a une liste de « films classiques à voir absolument » relativement différente. D’ailleurs notre liste de classiques ne serait-elle pas plutôt une liste des films que nous avons aimé ou qui nous ont marqués ? Personne ne qualifierait de « classique » un film qu’il a détesté, et ce peu importe son importance dans l’histoire du cinéma. Qui peut alors objectivement déclarer quel film est un classique et quel film ne l’est pas ? La dessus, Simon Riaux nous met en garde : le cinéma, en plus d’être un art, est une industrie. La qualification de « classique » peut alors être utilisée comme argument marketing.

Un “classique” peut-il être oublié ? 

Ces dernières années, certains films pourtant considérés comme classiques par le plus grand nombre ont pu faire débat. Autant en emporte le vent de Victor Fleming (1939), adapté du roman de Margaret Mitchell, avait notamment été retiré de certaines plateformes de streaming en 2020 du fait d’une vision raciste qui y est dépeinte. Nous pouvons alors nous demander : puisqu’un film est classique selon l’avis du public, et que les coutumes et manières de penser de ce public changent avec le temps, est ce qu’un film classique peut un jour perdre son statut, être oublié ? 

Pour Simon Riaux, un classique pourrait bien finir par être oublié. C’est d’ailleurs déjà arrivé dans le monde de la littérature : un art premier au cinéma, et qui nous apporte donc plus de recul sur cette question. M. Riaux nous donne alors l’exemple de Chapelain. Ce célèbre écrivain du XVIIe siècle fut cité et pris pour référence par de nombreux intellectuels de l’époque, mais est pourtant peu cité comme référence aujourd’hui. C’est probablement le passage du temps qui a fini par jeter Chapelain aux oubliettes : ce qui pourrait finir par arriver à certains de nos films classiques. 

Mais alors quid des films, tels que Autant en emporte le vent, qui font débat pour des questions d’éthique ? Un film peut-il être disqualifié pour des raisons morales ? Malgré le débat, le film Victor Fleming est resté un classique pour un grand nombre de personnes. D’ailleurs, même s’il venait à être définitivement banni des plateformes de streaming, il faudrait attendre encore des décennies pour savoir s’il sera finalement oublié. La question reste donc sans réponse. 

Une nouvelle crise du cinéma

Enfin, durant la table ronde, le sujet de la crise que rencontre actuellement le cinéma a été abordé. Pour Elisha Karmitz, le cinéma fait face à une crise similaire à celle dépeinte dans certains films, notamment Singing in the rain (Stanley Donen, Gene Kelly, 1952), The Artist (Michel Hazanavicius, 2011), et plus récemment Babylon (Damien Chazelle, 2023). Le secteur du cinéma serait en train de se réinventer en utilisant les nouvelles technologies, tout comme il s’est réinventé dans les années 1930 avec l’arrivée des films parlants. Cette idée paraît plutôt optimiste : le cinéma ne serait donc pas en train de mourir mais en train d’évoluer vers quelque chose de nouveau. Malheureusement, comme dans les années 1930, certains ont beaucoup à perdre dans cette transformation. 

Enfin, Judith-Lou Lévy, nous explique que le grand enjeu du cinéma est finalement une lutte perpétuelle contre l’oubli. Enjeu magnifiquement exprimé dans un monologue du personnage Elinor St. John dans le film Babylon : “[…] dans 100 ans, quand toi et moi serons morts depuis longtemps, à chaque fois que quelqu’un lancera un de tes films, tu vivras à nouveau”. 

Les films « classiques » seraient alors les films qui seraient parvenu à gagner ce combat pour s’ancrer dans le débat public, les mémoires, et la culture.