M. Mbougar Sarr: plaidoyer pour une « vraie bibliothèque de Babel »

Le jeudi 16 février se tenait le passage de relais entre titulaires de la chaire d’écrivain en résidence de Sciences Po, de Nathacha Appanah à Mohamed Mbougar Sarr. Lors de cet événement, l’écrivain sénégalais a plaidé pour une littérature universelle et une guerre des canons.

« La guerre des canons doit avoir lieu : pour une vraie bibliothèque de Babel ». C’est par cette formule énigmatique que Mohamed Mbougar Sarr a ouvert son propos jeudi 16 février, en l’amphithéâtre Jacques Chapsal. Prix Goncourt 2021 pour son roman La plus secrète mémoire des hommesil prenait le relais de Nathacha Appanah en tant que titulaire de la chaire d’écrivain en résidence de Sciences Po.  

Créée par le Centre d’Écriture et de Rhétorique de Sciences Po, la chaire d’écrivain a pour objectif de développer les capacités d’écriture et de parole des étudiants, ainsi que de promouvoir la création littéraire. Occupée par un écrivain en langue française et renouvelée chaque semestre depuis septembre 2018, Mohamed Mbougar Sarr en est le neuvième titulaire. 

Que trouve-t-on dans la bibliothèque de Babel ?

Dès les premières secondes, Mohamed Mbougar Sarr le confie : il est hanté par des obsessions littéraires. La bibliothèque de Babel en fait partie. La bibliothèque de Babel, c’est cette nouvelle de Jorge Luis Borges, dans laquelle le romancier dépeint l’Univers sous les traits d’une immense bibliothèque. Goethe, rappelle Mohamed Mbougar Sarr, évoquait déjà une « littérature universelle », au sein de laquelle se croiseraient toutes les langues, comme elles le faisaient dans la tour de Babel décrite dans la Genèse.

Mais, dans sa littérature universelle, Goethe « incluait-il les poèmes maliens au même titre que les chefs-d’œuvre du romantisme allemand ? » s’interroge l’écrivain. Ne dit-on pas que l’œuvre de Toni Morrison ne saurait être universelle, puisqu’elle parle « seulement des Afro-Américains » ? N’a-t-on pas entendu des critiques se demander qui est le Tolstoï des Papous (NDLR : les Papous sont une population autochtone de Nouvelle-Guinée), sans jamais penser que « le Tolstoï des Papous, c’est simplement Tolstoï lui-même ? », ironise-t-il.

C’est pourquoi « la guerre des canons » doit avoir lieu. Dans la bibliothèque de Babel actuelle, il manque certaines œuvres, tandis que d’autres prennent trop de place, estime le nouvel écrivain en résidence. Pas question d’en retirer toutefois : ce serait nuire à l’idéal de la bibliothèque universelle, dans laquelle toutes les œuvres méritent leur place. 

Contre l’assignation identitaire et littéraire  

La génération de Léopold Sédar Senghor devait prouver qu’elle « avait une culture », qu’elle méritait sa place aux côtés de la littérature occidentale. Ce n’est plus le cas de celle de Mohamed Mbougar Sarr, Sénégalais tout comme Senghor, qui s’est vu décerner en 2021 le plus prestigieux prix littéraire hexagonal. Cependant, s’il ne la renie pas, Mohamed Mbougar Sarr ne souhaite pas être réduit à son identité. Nul besoin de la « réifier », comme le soulignait justement Mathias Vicherat lors de son mot introductif. 

Tout comme Kamel Daoud, l’un de ses prédécesseurs à la chaire d’écrivain en résidence, l’écrivain sénégalais voudrait parfois « être un écrivain japonais ». D’origine algérienne, Kamel Daoud, ni fier ni honteux de son identité, ne voulait plus s’y voir assigné. C’est peut-être pour cela que Mohamed Mbougar Sarr s’est tourné vers la fiction. Quand bien même on tenterait constamment d’établir des liens biographiques entre l’écrivain et les histoires qu’il imagine, « la fiction, c’est le meilleur moyen d’être un autre », rappelle Nathacha Appanah.

Fiction, identité, universalité, autant de thèmes que les étudiants de Sciences Po exploreront à l’occasion des deux ateliers d’écriture qu’animera Mohamed Mbougar Sarr tous les lundis pour ce semestre de printemps. En attendant, prenons-le au mot, et faisons de « chacune de nos bibliothèques » une véritable bibliothèque de Babel.