Sydney suffoque

Mardi dernier, 12 novembre, en faisant mon jogging dans les rues de mon quartier, je trouve que l’air n’est pas agréable à respirer. Je mets cette sensation sur le dos de mon cardio encore poussif, puis je réalise que le ciel a changé de couleur. Je courais en tournant le dos à cet impressionnant paysage et n’avais pas (encore) remarqué que le ciel de Sydney était bien sombre. Alors qu’il est d’ordinaire particulièrement clair, et tout à fait bleu avec l’été qui arrive, il était chargé de nuages oranges et bruns, témoins des incendies qui ravagent les environs de la ville depuis un mois. Mes amis me sermonnent, me trouvent folle d’être allée courir alors que l’air est plus pollué qu’à Beijing. 

Le lendemain, le ciel sydnéen est à nouveau bleu et les températures sont un peu redescendues, mais la situation n’en n’est pas moins critique. Sur les états du New South Wales (dont la capitale est Sidney) et du Queensland (Brisbane), on ne compte pas moins de 80 incendies, ou bush fires, leur nom local.

Plus au nord de Sydney, les habitants font face à des feux de plus en plus fréquents et violents depuis trois semaines. Julie Cole habite à Forster-Tuncurry ; elle nous raconte cette expérience inédite et comment elle a vu sa région transformée en une (presque) zone de guerre. 

En parcourant la route entre son village, Tuncurry, et John’s River, ville plus au nord où l’on déplore un mort, elle s’inquiète : “J’étais presque en pleurs en traversant ces endroits, parce que je pensais à la faune sauvage. Mais que vont-ils faire ?”. Sur la route on se rend compte que “le feu a tout réduit en cendres, et l’on peut voir des maisons dont on n’avait pas même réalisé qu’elles étaient là. De temps à autres, on croise une maison qui n’est plus qu’un tas de rien : du fer tordu, des briques cassées, du rien incandescent. Ensuite vous continuez et là, vous voyez des endroits où les pompiers ont été en mesure de sauver une maison”.

Les incendies progressent et sont à moins de 25 mètres de sa maison, mais Julie reste optimiste. Les réseaux sociaux et les applications comme la NSW Rural Fire ont été d’une grande aide pour maintenir les citoyens informés des dangers. Le voisinage se mobilise, notamment en coopérant avec les pompiers du mieux qu’ils peuvent.


Bien que les bush fires de sa région soient manifestement sous contrôle, les conditions ne vont pas s’améliorer cette semaine. Le Rural Fire Service a indiqué qu’aujourd’hui (mardi) serait encore difficile : de fortes chaleurs et un vent très fort facilitent la propagation d’incendies dans le bush.

Les vents sont si puissants qu’aujourd’hui encore Sydney se retrouve sous un nuage de fumées et l’air atteint des records de toxicité dans la plupart des quartiers. Ce mardi, Sydney est la 12e ville où l’air est le plus toxique au monde. Comme mardi dernier le Central Business District (CBD) est couvert d’un épais brouillard blanc. Les autorités locales recommandent d’être vigilant et d’éviter les activités physiques extérieures. Les hôpitaux, eux, comptent cinquante cas de difficultés respiratoires depuis ce matin.

La réponse politique

Face à ces événements d’une rare ampleur, Gladys Berejiklian, la Premier ministre de l’état du New South Wales, a décrété l’état d’urgence pour une semaine et le niveau d’alerte aux incendies est au plus haut. Des centaines d’écoles ont été fermées et l’armée doit apporter son soutien aux 3000 pompiers mobilisés.

Mais il n’est pas seulement question de solutions à court et moyen terme. Au cœur du débat politique sur les bush fires se trouve le changement climatique. Si les feux de forêt ne sont pas directement imputables au réchauffement climatique, la hausse des températures et la sécheresse créent des conditions favorables à la propagation rapide des feux. Il est à craindre que des feux d’une telle ampleur deviennent désormais la norme dans ces régions sèches.

Parler du climate change au parlement fait néanmoins débat en Nouvelles Galles du Sud : certains politiques affirment que l’urgence est ailleurs, dans les six vies perdues, les 530 maisons brûlées, les centaines de familles délogées et les difficultés auxquelles font face les agriculteurs.

Mais l’Australie n’en reste pas moins l’un des plus gros pollueurs par habitant du monde et le 8e émetteur de dioxyde de carbone par tête. Dans un pays où plus de 90% de l’énergie consommée a une origine fossile et dont les principales exportations sont le fer, le charbon et le gaz de pétrole, la question des émissions polluantes est majeure.

En témoigne la marche pour le climat du 20 septembre dernier : quelque 50 000 Sydneysiders ont critiqué les politiques climatiques australiennes. Les organisateurs y exigeaient l’abandon des nouvelles exploitations d’énergies fossiles — comme le projet de mine Adani, qui serait la plus grande mine de charbon australienne — et le passage à 100% d’énergie renouvelable d’ici 2030. Le parti vert lui aussi reproche au gouvernement des mesures insuffisantes face au changement climatique, rendu flagrant depuis quelques semaines. Richard Di Natale, chef du parti vert, promeut par exemple un Green New Deal, avec pour objectif de réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre d’ici 10 ans.

Memphis Bourne Blue, Louise Hébert