Sandrine Rousseau : « Pour 2022, c’est foutu. Par contre, il y a 2027. »
Le mercredi 2 février, Sandrine Rousseau, finaliste de la primaire des Verts et militante écoféministe, était l’invitée d’une conférence organisée par Sciences Po Environnement et Politiqu’Elles. Intitulée « Écologie et féminisme, incarnations et perspectives », la conférence revenait non seulement sur son combat écoféministe, mais aussi sur la primaire écologiste et les moments forts de sa campagne.
Si les combats féministes et écologiques étaient initialement séparés aux yeux de Sandrine Rousseau, elle explique au début de la conférence avoir progressivement pris conscience du système de prédation des corps, de la Nature et plus particulièrement des femmes. Seulement, après l’échec de sa candidature à la primaire écologiste pour 2022, le courant écoféministe a-t-il un réel avenir au sein de la politique ?
Aux racines de l’écoféminisme
Pour répondre à cette question, l’invitée a décidé de revenir aux racines de l’écoféminisme. La chasse aux sorcières en est un moment charnière. Alors que les femmes risquaient les pires tortures sur simple dénonciation, cette persécution a permis de moyenner un compromis résultant en la mise au foyer des femmes. Selon la femme politique, l’arrêt de la chasse aux sorcières, « arme de discipline massive », a joué un rôle clé dans l’organisation sociale des ménages et des couples, y compris jusqu’à ce jour. Ainsi, dès le dix-neuvième siècle, le corps des femmes est réifié, rabaissé et transformé en objet de reproduction. Les femmes sont renvoyées au versant de la Nature et sont décrites comme manquant de rationalité et de la capacité à diriger, qui serait supposément propre aux hommes.
Parallèlement à la prédation sur le corps des femmes se met en place une réification de la Nature. Selon Sandrine Rousseau, c’est ce qui permet de faire rentrer la Nature dans la sphère marchande : « Cette réification a une utilité : si ça devient un objet, alors on peut se l’approprier ». Elle poursuit, « On rationalise le monde : les femmes rentrent au foyer, la Nature devient un objet marchand, on organise la conquête des espaces coloniaux et on utilise les corps des esclaves, tout ça dans le but de créer un système économique qui génère du profit». Ce biais initial aux origines du système économique, qui est dénoncé par les militantes écoféministes, apparaît inséparable de notre système actuel.
Une campagne inédite
Comme Sandrine Rousseau l’explique, la dénonciation de la prédation et de sa pensée systémique, qui est à l’origine du système économique dans lequel nous sommes, fonde désormais sa pensée et son action politique. Toutefois, alors que le courant écoféministe est souvent perçu comme un mouvement activiste et apolitique, l’avènement d’un écoféminisme politique n’est-il qu’un fantasme ? Quelle a été son expérience d’une campagne politique écoféministe ?
En quelques mots, Sandrine Rousseau décrit cette campagne comme quelque chose d’inédit, s’éloignant des normes politiques actuelles. Elle explique, « c’étaient des gens qu’on ne voit pas d’habitude au sein de la sphère politique, qui ont peur de sa violence et s’écartent de ces milieux-là pour s’en protéger. » Si une campagne écoféministe entraîne un éloignement des normes politiques, a-t-elle réellement vocation à prendre le pouvoir ou à s’institutionnaliser dans un parti ? Sandrine Rousseau confie s’interroger sur la façon de poursuivre son combat : « Je me confronte actuellement au fonctionnement du mouvement politique traditionnel, et j’ai du mal à voir comment on peut s’y inscrire. »
« C’étaient des gens qu’on ne voit pas d’habitude au sein de la sphère politique, qui ont peur de sa violence et s’écartent de ces milieux-là pour s’en protéger. »
La finaliste de la primaire des Verts affirme tout de même avoir mis en lumière un écoféminisme extrêmement puissant, à même de transformer notre société et la politique. Bien qu’elle ait perdu la primaire, les mots qu’elle a évoqués restent dans le débat : homme déconstruit, écoféminisme, prédation… « Ces mots là, c’est un peu comme si j’avais jeté des sorts finalement, et qu’ils suivaient leurs vies indépendamment de moi. Je crois vraiment que ce qu’on a fait était très puissant. »
Les coulisses de la primaire écologiste
Première candidate à se réclamer de l’écoféminisme en politique française, Sandrine Rousseau a été largement médiatisée, devenant ainsi la cible de nombreuses vagues de cyberharcèlement. Outre les 280 articles sur la notion d’« homme déconstruit » et une procédure judiciaire ouverte concernant cette fameuse prise de parole, elle explique avoir reçu de multiples menaces de viol. « Je crois que c’est la première fois que quelqu’un posait dans le débat le fait que la prédation n’est pas une affaire de femmes, mais qu’il y a aussi des comportements masculins et virilistes à changer », dit-elle au cours de la conférence.
« Valérie Pécresse est allée dès le lendemain chez Ciotti. Moi, c’est un peu tout l’inverse qui s’est passé. »
L’écologiste revient également sur sa défaite face à Yannick Jadot lors de la primaire organisée fin septembre. Alors que Sandrine Rousseau crée la surprise en arrivant en seconde place au premier tour, un système de phoning (appels téléphoniques pour démarcher) s’est mis en place au sein du parti Europe Écologie Les Verts pendant l’entre-deux tours, afin de convaincre de voter pour Yannick Jadot. Pour Sandrine Rousseau, il était impossible de reprendre des relations normales après ça. L’intégration dans l’équipe de campagne du vainqueur a également été particulière, notamment en raison du score très serré : « Valérie Pécresse est allée dès le lendemain chez Ciotti. Moi, c’est un peu tout l’inverse qui s’est passé. » Alors que l’équipe de campagne de Sandrine Rousseau était constitué de personnes précarisées et néophytes en politique, celle de Yannick Jadot était différente. Durant la conférence, elle qualifie la période de difficile, beaucoup de personnes n’ayant pas pu trouver leur place au sein de l’équipe du vainqueur de la primaire : « J’ai entendu beaucoup de mots… ‘L’équipe de Sandrine il n’y a que des fous et des folles, on ne sait pas ce qu’on va en faire’. »
Le ‘Je’ viriliste de 2022
Après quelques débats houleux au sujet du nucléaire, Sandrine Rousseau achève sa prise de parole en évoquant le futur de l’éco-féminisme. A-t-il des chances de survivre au sein de la campagne présidentielle pour 2022 ? Pour l’écologiste, il n’y a aucune chance : « Arriver à l’écoféminisme, c’est avoir travaillé sur les rapports de domination et de prédation, au-delà d’un programme. On voit déjà que le ‘Je’ viriliste revient avec Jadot, Mélenchon, Roussel… »
Pour autant, les perspectives restent ouvertes pour amener, de nouveau, l’écoféminisme sur la scène politique. Faut-il créer un parti écoféministe ? Réinventer la politique au nom de l’écoféminisme ? Continuer le militantisme « gratuit et fatigant » ? « Pour 2022, c’est foutu. Par contre, il y a 2027 », dit-elle en souriant. Elle termine, « On a besoin de vous. Et puis franchement, une position dominante dans une société, on en fait le deuil assez vite. »
Crédits photo : Arthur Collin, Sciences Po Environnement