Revue Ciné: semaine n°1

La rubrique cinéma du magazine fait peau neuve ! Afin d’être au plus près de l’actualité cinématographique et de rendre son format plus plaisant, LaPéniche publiera dorénavant chaque lundi un compte-rendu des sorties notables de la semaine passée, assorties des coups de cœur des rédacteurs. Et pour faciliter la lecture des différentes critiques, une typologie, évidemment nautique, mettra en lumière l’appréciation des auteurs.

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Vent en poupe

Le Fossé, de Wang Bing

A la fois saisissant de réalisme et empreint de pudeur, Le Fossé retrace l’histoire pas si cachée que cela du totalitarisme maoïste et de ses fameux camps de travail. En 1964, à Jiabiangou, où sont internés “déviants” et “enfoirés de droite”, brebis galeuses de l’idéologie du Parti, la vie relève davantage de la survie. Soumis aux épreuves du froid et de la famine, les hommes crèvent un à un et aucune journée ne commence sans l’habituel comptage des morts. Le quotidien, lent, interminable, des ces hommes désoeuvrés (le manque de provisions alimentaires dans le camp les “dispensent” de creuser le fossé), contribue au malaise du spectateur, ressenti notamment devant certaines scènes “chocs”.

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Wang Bing, en traduisant à l’écran des centaines d’heures de témoignages qu’il a lui-même recueillis, montre un appareil idéologique froid et insensible, imperturbable même par les pleurs d’une femme souhaitant voir la dépouille de son mari. La déshumanisation, pourtant omniprésente, est nuancée par une certaine solidarité entre les internés et l’on voit se tisser des minces mais nobles relations. La poésie sobre du film, sans fioritures, le fait passer du statut de “simple” création engagée à celui d’une véritable oeuvre d’art. Le Fossé ne cherche pourtant pas à embellir une réalité sordide (il n’y a aucune bande originale, par exemple), mais la beauté des paysages, contrastant avec la gravité du sujet, fait son travail.

Ariane Kupferman-Sutthavong

A voile et à vapeur

Bye Bye Blondie, de Virginie Despentes

A mille bornes du sulfureux Baise-Moi, se trouve Bye Bye Blondie, un conte de fée moderne, sorte d’interprétation lesbienne de Cendrillon. Le premier amour, adolescent, est ici un amour avec un grand A; un peu plus et il serait écrit en lettres roses sur les marges d’un cahier, mais ce n’est pas le genre de Despentes… La réalisatrice nous embarque dans une comédie romantique déjantée, qui n’échappe hélas pas aux clichés du genre.

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Une star de télé sur le déclin (qui, pour faire original, sera remplacée dans son émission par une bimbo écervelée) et une punkette artiste fauchée se retrouvent après vingt ans de séparation. Pourront-elles raviver leur flamme et braver les différences sociales qui s’opposent à elles? Le suspense est insoutenable.

Plaisant mais fade, Bye Bye Blondie réussit néanmoins l’exploit de nous montrer Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart éclipsées par les jeunes comédiennes Soko et Clara Ponsot, époustouflantes dans leurs prestations. Furies adolescentes, elles accrochent le regard du spectateur de bout en bout, et sont le véritable point focal de ce film. Finalement, seules ces jeunes actrices, la narration déconstruite et sa bande originale entraînante différencient Bye Bye Blondie du téléfilm du lundi soir. Il paraît que l’ambition de Despentes était de réaliser un film familial; dans ce cas, tant mieux pour elle, c’est dans le genre assez réussi.

Ariane Kupferman-Sutthavong

Mer d’huile

Les Adieux à la reine, de Benoît Jacquot

La tendance doit-être à marcher sur la Bastille car c’est bien le 14 juillet 1789 que s’ouvre cette fiction historique où le réalisateur Benoît Jacquot nous entraîne loin du faste, dans un Versailles sclérosé, étouffé sous ses dorures, ses rumeurs et son étiquette. Non pas le Versailles de la galerie des glaces mais celui des portes de service où les domestiques s’entassent, dans la moiteur anxieuse d’une veille de révolution.

Le spectateur suit dans ses pérégrinations la jeune Sidonie Laborde, lectrice dévouée et amoureuse timide de Marie-Antoinette, interprétée par une Diane Kruger qui se révèle souveraine majestueuse et femme accablée. En effet, l’amour ardent et insatisfait qu’elle éprouve pour sa maîtresse Gabrielle de Polignac se trouve d’autant plus en danger lorsque les nobles fuient le palais. La chute est proche et le drame latent, mais Marie-Antoinette, qui n’a rien de la saveur frivole qu’on trouve dans l’œuvre de Sofia Coppola, ne peut penser à autre chose que son amour déçu.

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Contre toute attente, cette fresque d’une heure quarante qui pourrait bouillir de passion se révèle d’une lenteur oppressante. Seul le roi Louis XVI porte un souffle de grandeur dans ce qui est montré de son action politique et la fin du film apporte un peu de l’action qui a manqué tout du long.

Si cette œuvre a du génie, c’est dans la formidable tension qu’elle installe. L’esthétique est soignée, les acteurs remarquables et la suggestion efficace. Mais au-delà de l’emballage le contenu se révèle plutôt lassant et le film se perd dans des détails indigestes, et peine ainsi à valoriser ce qui ferait toute sa force : l’agitation dans l’angoisse, la passion dans la chute.

Pierre-Yves Anglès