Qui est Sebastião Salgado, photographe exposé au 27 ?
Le 29 mai 2017, notre école s’est vue recevoir un présent bien particulier : deux massives photographies prises par le (très) engagé artiste brésilien Sebastião Salgado. La première, qui date de 1986, représente une foule de mineurs plongés dans la boue d’une mine d’or à ciel ouvert. La seconde, datant de 2016, est une vue panoramique de la forêt amazonienne. Retour sur son parcours, ses engagements, et ce qu’ils peuvent nous apprendre sur les deux pièces d’art qui font maintenant partie du décor de notre Maison.
Brillant élève promis à tout sauf à une carrière de photographe – il obtient en 1971 une maîtrise d’économétrie et d’économie de la prestigieuse université de Sao Paulo – Sebastião Salgado met brièvement ses connaissances au service de l’Organisation Internationale du Café avant de changer radicalement de trajectoire. En effet, il choisit de se lancer dans la photographie à peine deux ans plus tard. Un choix qu’il ne regrettera jamais : la subtile association de sa sensibilité d’artiste à sa lucidité d’économiste ne tarde pas à lui attirer les distinctions les plus honorables (particulièrement en France, où il a effectué une partie de ses études). Du Infinity Award du photojournalisme (1986) à sa nomination de chevalier de la Légion d’honneur par le ministère français de l’environnement (2016), Salgado obtient aussi -entre autres- le prix Hasselbad (1989), la médaille du centenaire de la Royal Photographic Society (1993), ou encore le privilège d’intégrer l’Académie des Beaux-Arts (2016).
Un aperçu des souffrances humaines
Ce qui explique ce brusque passage du domaine relativement académique et rationnel de l’économie à celui de l’art en 1973, c’est d’abord l’envie inextinguible de Salgado de dénoncer et d’abolir les frontières ethniques, sociales et culturelles (ayant sillonné le planisphère, il les a senties, ces fractures) qui divisent une race humaine qu’il estime pourtant une et indivisible. C’est cette vision profondément humaniste qui structure l’une de ses séries les plus renommées, La Main de l’homme (projet mené de 1986 à 1992), dont est issue la première photo offerte à SciencesPo.
Celle-ci porte plus précisément sur La Mine d’or de Serra Pelada, l’une des plus grandes du Brésil et du monde, et vise à éveiller la compassion chez le spectateur confronté de plein fouet à l’image de cette tragédie humaine dont les milliers de mineurs enfoncés dans la boue sont les tristes acteurs. La « main de l’homme », c’est non seulement celle du petit travailleur qui oeuvre à la production des produits prêts à être livrés en masse à notre société de consommation, mais aussi celle du propriétaire qui impose à ses ouvriers des conditions de travail intenables (Salgado a fréquenté les milieux communistes). Notez que cette exhortation à l’empathie se retrouve aussi dans la série Exodes (2002), qui nous ouvre une fenêtre sur les souffrances qui jalonnent le quotidien des migrants et des réfugiés.
Artiste et activiste environnemental
Si, pour Sebastião Salgado, le monde idéal se construit donc sur la base de relations apaisées entre les individus où les privilégiés finissent par voir en les plus démunis des égaux avec qui la vie s’est simplement montrée moins clémente, une société assainie repose aussi, à ses yeux, sur un rapport harmonieux entre les humains et la nature. Élevé à Aimorès, une ville regorgeant -du moins, à l’époque- de richesses végétales inestimables, Sebastião Salgado a grandi aux côtés d’arbres centenaires et a appris à les aimer dès sa plus tendre enfance. Désespérés par la déforestation massive subie par leur pays ces dernières années, lui et sa femme sont un jour de l’année 1990 pris d’une idée folle et qu’ils commencent pourtant presque aussitôt à mettre en oeuvre: tout replanter.
Dès lors, le combat d’une vie est engagé et ne s’arrêtera jamais. Du reboisement de près de 700ha des leurs terres natales à la création de l’ONG « Instituto Terra » en avril 1998, lequel a trouvé des financements pour planter près de 4 millions d’arbres et propose également des programmes d’éducation à l’environnement, les deux époux font preuve d’un activisme acharné en faveur de la préservation de l’écosystème brésilien. Cet enjeu environnemental est l’objet de la deuxième oeuvre qui nous est offerte par Salgado et qui est un travail très récent, réalisé en 2016. Il s’agit d’une vue panoramique de la forêt Amazonienne que l’on sait mise en danger par le productivisme intensif, comme l’a souligné le photographe qui a affirmé lors de son accrochage que « La capacité de destruction de l’homme est immense ».
Grâce à ces deux photographies monumentales, Salgado veut responsabiliser les étudiants de l’école « économique et sociologique » qu’est SciencesPo sur les dangers d’une société qui ne se préoccuperait plus de préserver ni les droits de tous les individus qui la composent, ni l’environnement naturel dans lequel elle s’établit.
Si vous souhaitez en apprendre davantage sur ce photographe qui, comme Baudelaire, magnifie par son art ce qu’il y a de pire en ce monde, n’hésitez pas à regarder le très beau documentaire de Juliano Ribeiro Salgado (son fils) et Tim Wenders, The Salt of the Earth (2014).