Petit traité de débat sciencepiste
Cet article est entièrement apolitique, son rédacteur n’est qu’amour et ne saurait faire l’objet de poursuites de quelque nature que ce soit. Bises.
Tu n’oses pas entrer dans l’arène, ou tu y es déjà et, tel un gladiateur, tu attends la sentence du pouce. Nous te parlons, bien évidemment, du like qui rend fiévreux des débats déjà houleux. Force est de constater que les groupes de promotion de Sciences Po – et tout particulièrement celui de notre jeune mais prolifique promo 2021, digne petite sœur de la 2020 – sont riches en joutes verbales. Pratiquées sur le clavier, elles atteignent des sommets d’intensité. La Péniche a pensé à toi jeune Maximus et, après avis d’experts en pxtalikisme, analyse des meilleures punchlines ainsi qu’étude approfondie des « graou » et autres « wahou », t’offre un petit briefing. N’hésite pas à poser ton like.
1. A l’encontre de ton détracteur, moult invectives tu utiliseras
Parce qu’en France, on ne négocie pas avec les terroristes, et tu es tellement terrorisé en lisant ce que cet ignare ose écrire que tu le ranges sans hésiter dans cette catégorie. Cet interlocuteur virtuel, et la mélasse qui lui tient lieu de cerveau, ne méritent que ton mépris et ta haine. Et lorsqu’il n’est plus possible de recourir aux formes traditionnelles de dialogue, tu n’hésites pas à qualifier l’hérétique de tous les noms. Dans ta face, raclure de saumon-avocat.
( Nota bene : Toutes tes insultes seront pardonnées si tu es du côté de la bien-pensance. Dans la vie, il faut savoir choisir son camp. )
2. Des pavés tu écriras
Le pavé est une arme ô combien efficace. Personne n’a le courage de le lire en entier pour vérifier qu’il ne contient pas d’inepties, mais sa longueur laisse penser que son auteur est un génie, capable d’écrire un essai en douze tomes sur à peu près n’importe quel sujet. D’ailleurs, le pavé « virtuel » ne blesse pas ton opposant, avantage que ne possède pas l’autre type de pavé, celui qu’on arrachait sur le boulevard Saint-Michel en mai 68. Il ne faut blesser les autres qu’à leur amour-propre. Tu es peut-être virulent, mais tu es civilisé.
3. Soucieux de détendre l’atmosphère, des petites blagues tu feras
Ça, c’est surtout si tu es un lâche qui n’ose pas donner son opinion sur le sujet débattu, de peur de susciter l’ire de tes congénères. Si tel est le cas, tu n’hésites pas à faire de l’humour, façon Pierre Desproges ou Jean-Marie Bigard (selon tes préférences). Au moins, une petite blague, ça n’est pas méchant, ça fait rire ceux qui sont crispés jusqu’à la moelle à force de s’échanger des insultes, et en plus ça te rapporte plein de likes. Testé et approuvé par votre serviteur.
4. Les likes tu collecteras
Ils sont les symboles les plus évidents de la reconnaissance sociale ( illusoire ) que te vouent tes camarades d’amphi. Alors tu rougiras lorsque tu verras leur nombre augmenter. Généralement, ça veut dire que soit tu as été particulièrement drôle, soit tu as été particulièrement intelligent, soit que tu as été particulièrement cassant. Dans tous les cas, tu as assouvi la soif de panem et circenses du peuple science-piste. Félicitations.
5. Les termes compliqués tu privilégieras
Plus il y en a, plus ton langage abscons et sibyllin pourfendra ton détracteur. Au même titre que les logorrhées verbales citées antérieurement, sébile de tes likes, ils te parent d’une intelligence factice. Mais comme n’est pas Guillaume Tusseau qui veut, il est probable que tu les emploieras à mauvais escient. Ne t’en fais pas, personne ne le remarquera. D’ailleurs, si tu agrémentes ta prose de quelques petites citations en latin bien senties, c’est le jackpot. Nullum crimen, nulla poena sine lege, nul ne comprendra vraiment où tu veux en venir (et tu quoque) mais tous t’adoreront. Tu pourras ainsi savoir ce que ça fait d’être Emmanuel Macron, en restant assis.
6. Sur les partisans de l’UNI tu t’acharneras
Parce que Charles de Gaulle est mort et que tu n’as aucun respect pour ces satanés Charles-Henri qui habitent Neuilly-sur-Seine et qui plaident pour l’abolition de l’écriture mixte entre deux soirées à la Brünett. Mais n’ayant malheureusement pas la finesse d’esprit de Bertrand Périer, tu préfères leur faire sentir ton antipathie à leur égard en appliquant le conseil numéro 1 de cet article. Et puis après tout, s’ils voulaient être de droite, ils n’avaient qu’à aller à Assas. Au 27, tu supportes l’UNEF. Point barre.
7. Durant les grands événements de notre Histoire moderne, survolté tu seras
Qu’il s’agisse de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ou du Brexit
(en passant par la fougue de Jean-Frédéric Poisson lors du débat des primaires), tout devient sujet de discussion au sein du microcosme « intellectuel » qu’est le groupe de promotion science-piste. Donc, quand il se passera quelque chose d’important, tu donneras évidemment ton avis, comme te l’ordonne cette force supérieure qu’est la liberté d’expression. Et les rustres qui osent affirmer que ton avis ne suscite aucunement l’intérêt de la collectivité n’ont de toute façon jamais eu d’avis sur rien.
8. Du point tu abuseras
Ah, le point ! A lui seul, il mériterait un article, un essai, une statue même. Vous l’aurez compris, il ne s’agit ici pas du Point qui s’insurge contre « cet islam sans gêne », mais de celui qui est habituellement utilisé pour clore nos phrases. Mais sur Facebook, le sens du point est tout autre. Il devient l’arme nucléaire du débatteur. Le point, c’est le petit pixel qui ordonne à ton adversaire de fermer définitivement son clapet ad vitam aeternam (voir point 5). Finalement, c’est un genre de « parle à ma main » qui serait resté à la mode après 2007. Simple, mais terriblement efficace.
9. Bourdieu tu citeras
Puisque l’ami Pierre, paix à son âme, est le moyen ultime de prouver à la multitude que tu as de la culture et que tu ne dormais pas tant que ça durant tes amphis de sociologie. Citer un être érudit, c’est un superbe argument d’autorité qui ne laisse pas place à la moindre forme de contestation. On prend ici l’exemple de Bourdieu, mais ça marche aussi avec Sartre, Voltaire, Aron, Wittgenstein et autres Bernard Henri-Lévy. Bon, on n’est pas sûrs que ça marche avec Eric Zemmour. Mais à vérifier.
10. L’amour et la tolérance tu prêcheras
Le monde offre déjà un spectacle assez désolant comme ça, pas besoin que les science-pistes se mettent eux aussi à se taper les uns sur les autres. Tu rappelleras donc aux belligérants de ta promo que la violence et le harcèlement moral ne sauraient être des formes d’argumentation. D’ailleurs, on n’a jamais convaincu personne avec des insultes. Et Mion n’insulte jamais personne, lui. Et de toute façon, votre fiel vous sera bien plus utile le jour où cet élève en prépa B/L à Henri IV vous affirmera que Sciences Po, c’est « l’école des glandeurs ».
Voilà, ces dix petits conseils t’aideront à évoluer dans la jungle des groupes de promotion et à te faire accepter par la meute. Cependant, garde à l’esprit qu’il faut savoir rester civilisé, sur les réseaux sociaux comme dans la vraie vie. Les insultes, que tu les juges fondées ou qu’elles soient gratuites, ne sont pas moins douloureuses lorsqu’on les lit sur un écran, et ne sauraient avoir leur place dans nos promotions. Paix et amour. Que le sage Frédéric (Gros ou Mion, comme vous voulez) vous porte chance dans l’arène du pxtalikisme.