Autour du modèle Sciences Po, la concurrence s’organise
Sciences Po Europe, IEP Saint-Germain en Laye : les nouveaux-nés du modèle Sciences Po.
Des bouquins d’Éric Cobast, toujours plus vendus, en passant par le site SOS Sciences Po fondé l’an passé et qui attire toujours plus de visites, sans oublier le groupe Aide & Conseils, qui prépare l’entrée à Sciences Po et qui totalise, le jour où j’écris cet article, plus de 4571 membres : le nombre d’aspirants sciencespistes, en dépit des scandales, de la hausse des frais d’inscriptions et de l’annulation du CRIT, ne faiblit pas. Une demande croissante à laquelle il faut répondre : c’est le pari que fait le Concours Commun avec Sciences Po Europe et son partenariat avec Dauphine.
Déjà en 2011, le magazine l’Étudiant jugeait plus opportun de comparer Sciences Po Paris avec Dauphine qu’avec les IEP de province, tant du fait du nombre d’étudiants qu’à la palette des débouchés à la sortie des deux établissements, qui ont d’ailleurs le même statut avantageux de « grand établissement ». Dauphine a franchi un pas supplémentaire en signant avec les 6 (et maintenant 7) IEP du concours commun, en juin dernier, un accord de coopération en matière de formation et de recherche.
Sciences Po Europe et l’alliance IEP-université
Tous les sciencespistes, à partir de la 2ème année, se rappellent certainement de la véritable annus horribilis qui a suivi le décès de Richard Descoings à l’IEP. Rapport de la Cour des Comptes, succession des administrateurs provisoires et soirées camping en amphi Boutmy : une année qui ne fut pas de tout repos, y compris dans les rapports qu’entretenaient Paris avec la province et l’université. Lors de la publication du rapport de la Cour des Comptes rendant publics les salaires assez démesurés de nos dirigeants, Laurent Batsch, président de Paris-Dauphine, avait dénoncé le « chèque » de 25 millions d’euros dont l’Etat pourvoyait Sciences Po chaque année, un chèque jugé exorbitant comparé aux moyens, importants mais nettement moindres, dont bénéficiait Dauphine. Le dirigeant de Sciences Po Lille avait également protesté, dans une tribune au Monde, du « favoritisme » financier accordé à Paris par l’Etat.
Une fois Frédéric Mion nommé en mars, les rapports semblaient devoir s’améliorer entre d’un côté Paris et de l’autre le duo Province/Dauphine. Mais en juin, coup de théâtre : voilà que les IEP du concours commun signent un accord avec Dauphine. En juillet, ils annoncent la formation de « Sciences Po Europe » . C’est pour faire face au « favoritisme » que les IEP de province ont lancé cette structure : une alliance plus grande entre les IEP du concours commun, notamment en matière de collecte de fonds, mais aussi sur le plan de la structure juridique.
Il s’agit bel et bien d’une sorte de « super IEP », en plein développement grâce à ce partenariat. Les étudiants des IEP – pardon, de Sciences Po Europe — auront désormais des passerelles privilégiées pour étudier en Master à Dauphine, et vice-versa. Ils pourront ainsi coupler une formation en sciences politiques à une formation économique dont l’excellence n’est plus à démontrer.
Sciences Po Saint-Germain en Laye : un nouvel IEP de Province
Dans le même temps, la structure du concours commun en elle même se développe avec la naissance du dernier-né des IEP, sûrement un prochain membre de Sciences Po Europe à long terme, à Saint-Germain en Laye.
Les plus radicaux ont pu voir au nom de « Sciences Po Grand Paris (ouest) », une tentative de copie pure et simple de notre belle marque déposée. Ces mêmes radicaux vous diront qu’il n’y a qu’un Sciences Po Paris, et que certains pourraient avoir l’outrecuidance de nous confondre avec ces wannabe sciencespistes. Bref, on a frôlé l’incident diplomatique. L’administratrice provisoire de l’IEP avait déjà expliqué au Figaro que l’institut s’inscrivait « dans la dynamique » du Grand Paris, une politique mise en place il y a déjà plusieurs années par le maire de la capitale et les collectivités locales.
Pour couper court à toute méprise, Paris a saisi l’UVSQ et le nom de Sciences Po Grand Paris sera abandonné au profit de celui, plus simple et nettement plus exotique, d’IEP de Saint-Germain en Laye.
A priori, pas de grande différence avec un IEP de province lambda. L’IEP de Saint-Germain dépend d’ores et déjà du concours commun, par un accord signé en novembre et compte accueillir d’ici 5 ans 800 élèves, se plaçant dans le peloton de queue des instituts de province, le plus petit étant Strasbourg avec ses 774 étudiants en 2011. Contrairement à ses semblables, Sciences-Po Grand Paris n’a pas encore prévu de masters « typiques », des passerelles étant prévues pour que ses étudiants puissent en faire dans les universités de Pontoise ou de Versailles Saint-Quentin avec lesquelles l’IEP travaille en étroite collaboration. Cependant, le dernier-né des IEP compte ouvrir un concours à bac+3 pour les entrées en master, le moment venu.
Pourquoi ces différents projets ?
Scandales ou pas, hausses des frais de scolarité ou pas, le succès du modèle Sciences Po semble continuer d’augmenter. La création d’un nouvel IEP correspondrait donc à cette logique d’augmentation de l’offre face à une augmentation de la demande.
L’association Dauphine-Sciences Po Europe, donne une vraie envergure aux deux signataires de l’accord. Les étudiants des IEP et de Dauphine auront ainsi droit à un réseau commun de leurs préparations aux concours administratifs, un accès réciproque aux différents masters proposés soit par les IEP, soit par l’université et une coopération resserrée dans le domaine de la recherche. Sur ce dernier point, Dauphine espère rattraper Sciences Po qui jusque là avait une grande longueur d’avance, tant au niveau du nombre de chercheurs qu’à celui du nombre de publications dans des revues spécialisées. Les IEP, quant à eux, bénéficieront du prestige de Dauphine et de l’accès à ses spécialités.
Par ailleurs, en ce qui concerne le nouvel IEP, son emplacement permettrait aux milliers d’aspirants au concours issus de la banlieue parisienne (à peu près 40% des candidats), de ne pas bouger (trop loin) de chez eux. De plus, l’important public Saint-Germainois, concentré dans les 3 lycées de la ville, représente un pourcentage important des candidats à l’admission aux IEP.
Enfin, associer les IEP de province avec une université aussi prestigieuse que Dauphine est une décision qui a des relents de provocation envers Paris. Ainsi, Pierre Mathiot, le président de l’IEP de Lille a avoué au Monde que le « pied de nez » fait à Paris par cette alliance n’était pas involontaire. Un pied de nez qui peut sembler amplifié par la création d’un IEP dont le nom ressemblait à s’y méprendre à celui de Sciences Po Paris.
Une réelle concurrence ?
Il est encore trop tôt pour dire si Sciences Po Europe et son accord avec Paris-Dauphine constitue réellement un concurrent de poids pour Sciences Po Paris.
En ce qui concerne le niveau d’études, l’excellente réputation de Dauphine peut faire de l’ombre à Sciences Po.L’alliance offrirait en effet une formation très variée et très réputée, comparable à certaines grandes écoles de commerce. La question des partenariats internationaux qui sont pour l’instant un grand avantage pour Sciences Po Paris (400 universités partenaires dans le monde entier), se posera certainement, étant donné l’ambition européenne de Sciences Po Europe.
Qu’en sera-t-il de la qualité des professeurs, point clé de la réputation d’un établissement ? Si l’on sait que les plus grands noms du corps enseignant vivent en région parisienne, on peut comprendre l’avantage que tire le système des IEP à créer un établissement à Saint-Germain en Laye. En outre, les enseignants de Dauphine, tous extrêmement réputés, constituent un réel plus pour les IEP.
Enfin quant au niveau des étudiants, dans les deux projets, la sélection sera celle, draconienne, du concours commun, avec en moyenne 10% de reçus chaque année. L’élargissement du concours correspondant à l’élargissement du nombre de candidats, on peut supposer que ce chiffre ne devrait pas changer. Les étudiants sélectionnés à l’IEP de Saint-Germain auront donc à priori le même niveau que les étudiants reçus dans n’importe quel autre IEP — reste à savoir s’il sera bien coté dans le classement informel des IEP de Province.
Ainsi, la concurrence s’organise, même si ces projets sont encore très récents. On peut toutefois espérer que l’ambiance de rivalité qui règne entre Paris et la province finisse par devenir celle d’une coopération et du « dialogue » souhaité par Frédéric Mion à sa nomination, qu’il n’a pas semblé mettre réellement en pratique pour l’instant. En effet, le succès du modèle Sciences Po ne peut qu’être une source de réjouissance pour l’IEP parisien qui en est à l’origine et une alliance avec l’université est une opportunité intéressante que la province a su saisir. Après des décennies de rivalité et une année passée de presque combat, le moment semble venu pour Sciences Po Paris de se rapprocher des autres IEP et de l’université, afin d’avancer, pour une fois, en commun.
5 Comments
Alex Baptiste Joubert
Merci beaucoup pour cet article très bien écrit et très intéressant !
M.L.
Très bon article. Le qualité des articles de La Péniche s’est vraiment améliorée cette année.
Mao
Excellent article qui reflète la liberté de ton que se permet La Péniche, média indépendant, sous l’ère Mion. Un tel article aurait de mon temps été censuré par la direction Descoings qui ne tolérait pas que soit mentionnée l’existence d’autres supposés IEP.
Dzerjinski
Il m’est impossible de ne pas réagir devant cette diffamation honteuse de l’œuvre visionnaire accomplie par M. Descoings qui a su faire entrer le seul vrai IEP dans le XXIème siècle en conciliant développement innovant mais aussi respect des opinions et des libertés.
cam
qui totalise plus de 4571 membres : du coup 4572 ?