Le témoignage de Vivian Maier

Vivian Maier est née le 1er février 1926 à New York. Cette bien simple présentation dissimule le talent d’une photographe majeure du XXe siècle dont l’œuvre est restée dissimulée jusqu’en 2007, deux ans avant sa mort. Ses prises de vue en disent davantage de la personnalité de celle qui, nourrice tout au long de sa vie, s’est toujours sentie proche des plus pauvres, en opposition aux plus aisés qu’elle prenait en photo dans des positions de surprise teintées d’agacement. Cela dit, ses photos, prises entre 1950 et 1999 dressent plus largement le portrait d’une société américaine renaissante, entre bouleversements et transformations, dont on devine les subtilités dans les nombreux clichés pris à New York et Chicago.

D’un point de vue technique, nous pouvons identifier sur la photographie n° 1 diverses lignes de fuite, au niveau des rails ou du trottoir, qui convergent vers le centre de l’image. Elles divisent le cliché et mettent en valeur ses différents aspects. Se dressent ainsi sur la droite de l’image de nombreux gratte-ciels qui façonnent déjà la skyline new-yorkaise et l’idée que se fait le monde de la nouvelle superpuissance. Les passagers du métro patientent et observent l’effervescence d’une rue commerçante dont ils sont symboliquement séparés par une ligne de véhicules en stationnement. Accolées au trottoir où se pressent les passants, différentes enseignes se succèdent : restaurants, matériel de pêche et bureau de crédits traduisent une dynamique d’investissement et de consommation. Celle-ci est d’autant plus présente dans la photo n° 2. La consommation s’empare de l’espace public, du paysage et devient peu à peu omniprésente. 

Cette amélioration du niveau de vie, témoin le plus flagrant de cette entrée dans la période des Trentes Glorieuses, n’est pas exempte d’inégalités, diverses. 

Celles-ci sont évidemment sociales et se devinent à travers les prises de vue de Vivian Maier. En effet, se précise sa méthode : une empathie à l’égard des personnes pauvres, démunies comme en témoigne le cliché n° 3 tandis qu’elle n’hésite pas à bousculer les sujets plus aisés dont le mépris se lit sur les visages interloqués comme l’illustre celui de la femme de l’image n° 4. Ces inégalités sont d’autant plus frappantes quand les sujets arborent des peaux d’animaux (5) alors que d’autres apparaissent plus démunis (6).

Loin d’être seulement sociales, les inégalités sont aussi raciales comme le met en évidence une photographie prise en 1954, année de l’arrêt Brown v. Board du juge Earl Warren mettant un terme à la doctrine « séparés mais égaux ». Il ouvre la voie à une dé-ségrégation institutionnelle, aussi empiriquement incomplète soit-elle, faisant des États-Unis un exemple en termes de droits et libertés fondamentaux aux yeux du monde. Le cliché en question (7) semble avoir été pris à l’improviste comme le suggère l’air dérangé du garçon blanc assis alors qu’un garçon noir lui cire les chaussures. De cette manière, en plus de rendre compte des inégalités raciales et d’un racisme ambiant encore présent, il s’agit de témoigner des difficultés que rencontraient encore certaines familles dont les enfants devaient se résoudre à travailler.

Pour Vivian Maier, qui a travaillé toute sa vie auprès des enfants, ces derniers constituent un sujet à part entière loin de se réduire aux diverses inégalités aussi prégnantes soient-elles. En effet, ces derniers sont pris en photo à de multiples reprises (8 ; 9). Seuls ou en grand nombre, ils révèlent le baby-boom que connaissent les États-Unis dans une ère de liberté et d’insouciance car il s’agit aussi de panser les plaies de la guerre en passant le flambeau aux générations futures. C’est ce que met symboliquement en lumière la prise de vue n° 10 datant du 8 novembre 1955. Une femme agée y laisse ce que l’on devine être ses petits-enfants, emprunts d’innocence et étrangers à la violence de la guerre, gravir l’échelle qui les mène au toboggan. 

Ainsi Vivian Maier capture-t-elle dans les années 50 l’image d’une société américaine renaissante, pleine d’espoir et qui se veut prospère à un moment où la rivalité avec l’URSS se renforce et où apparaître comme une vitrine de modernité et de liberté devient un enjeu. Cela dit, derrière ces images d’une société dynamique se dissimulent des inégalités durables qui traduisent le caractère imparfait de l’American way of life. Une grande partie de la population est ainsi reléguée hors d’une modernité enviée dans le monde.

L’œuvre de Vivian Maier va bien au-delà de l’après-guerre et met en lumière les progrès technologiques à travers le passage de la photographie monochrome à celle couleur dès 1965. Cette transition constitue un moyen de porter attention à des détails nouveaux et de mettre les jeux de couleur à contribution des message transmis. En outre, la société américaine n’est pas la seule qu’elle capture et le Canada ou la France, entre autres, figurent dans sa collection tout comme les pays qu’elle a visités lors de son tour du monde.

Le succès posthume de la photographe laisse planer le doute sur ses intentions véritables. S’agissait-il de dénoncer les injustices comme le spectateur peut le supposer ou bien plutôt d’immortaliser les transformations de son époque ? Ce sur quoi nous pouvons en revanche nous accorder est le talent avec lequel elle est parvenue à capturer des détails, des contradictions qui constituent autant de pistes de réflexion qu’il nous convient d’explorer.

Pour observer ses photographies et en savoir plus, le site officiel : https://www.vivianmaier.com.

Exposition : Musée de la Photographie Charles Nègre à Nice du 19 octobre 2024 au 16 mars 2025.

Les liens vers les photographies mentionnées :

1 : « Street Photography 1 », Blog Vivian Maier Photographer. En ligne : https://www.vivianmaier.com/gallery/street-1/#slide-7 [consulté le 4 janvier 2025].

2 : « Street Photography 1 », Blog Vivian Maier Photographer. En ligne : https://www.vivianmaier.com/gallery/street-1/#slide-14 [consulté le 4 janvier 2025].

3 : « Street Photography 2 », Blog Vivian Maier Photographer. En ligne : https://www.vivianmaier.com/gallery/street-2/#slide-3 [consulté le 4 janvier 2025].

4 : « Street Photography 2 », Blog Vivian Maier Photographer. En ligne : https://www.vivianmaier.com/gallery/street-2/#slide-2 [consulté le 4 janvier 2025].

5 : « Street Photography 5 », Blog Vivian Maier Photographer. En ligne : https://www.vivianmaier.com/gallery/street-5/#slide-11 [consulté le 4 janvier 2025].

6 : « Street Photography 2 », Blog Vivian Maier Photographer. En ligne : https://www.vivianmaier.com/gallery/street-2/#slide-39 [consulté le 4 janvier 2025].

7 : « Street Photography 2 », Blog Vivian Maier Photographer. En ligne : https://www.vivianmaier.com/gallery/street-2/#slide-12 [consulté le 5 janvier 2025].

8 : « Street Photography 2 », Blog Vivian Maier Photographer. En ligne : https://www.vivianmaier.com/gallery/street-2/#slide-38 [consulté le 5 janvier 2025].

9 : « Street Photography 2 », Blog Vivian Maier Photographer. En ligne : https://www.vivianmaier.com/gallery/street-2/#slide-48 [consulté le 5 janvier 2025].

10 : « Street Photography 4 », Blog Vivian Maier Photographer. En ligne : https://www.vivianmaier.com/gallery/street-4/#slide-45 [consulté le 7 janvier 2025].