LE MAG – L’univers d’Iñárritu, entre contingence et amour du dépassement
par Juliet Copeland
Retour sur le phénomène Iñárritu
Amores perros d’Alejandro Gonzalez Iñárritu
Le cinéma d’Amérique latine est l’un des meilleurs au monde depuis le début du XXI° siècle. La nouvelle génération de cinéastes venus du Mexique, du Brésil, d’Argentine et du Pérou (pays où l’histoire du cinéma est intimement liée aux bouleversements politiques) est couronnée de prix et d’éloges. (cf. dernières cérémonies des Oscars).
On ne présente plus Gonzalez Iñárritu, premier réalisateur mexicain primé à Cannes : sa carrière a été lancée avec le viscéral et ambitieux Amores perros (2000) et son dernier-né Birdman a été porté aux nues. Entre temps, trois merveilles : 21 grammes, Babel et Biutiful.
Le saviez-vous? Avec Alfonso Cuaron et Guillermo del Toro, on les appelle les «trois amigos du cinéma»; ils ont fondé ensemble une société de production nommée Cha Cha Cha films.
Iñárritu n’aime QUE se surpasser : ses films sont une succession de défis qu’il s’impose à lui-même. Un film sans temporalité? En une seule séquence? Pour lui rien de pire que de rester dans sa «confort-zone».
Babel d’Alejandro Gonzalez Iñárritu
Des thèmes à foison
Chaque film d’ Iñárritu véhicule un message fort, quasi métaphysique ; et Dieu sait comment il arrive à y caser tous les thèmes du monde, ou presque !
«If god wants me to see blurry, I’ll see blurry» : variations virtuoses autour de la narration linéaire.
Dans Amours chiennes, trois intrigues ont pour seul dénominateur commun un accident de voiture. Crescendo dans 21 grammes, où les trois intrigues fusionnent après l’accident de voiture.
Autre innovation du film : toute narration chronologique a disparu au profit d’une temporalité multidimensionnelle : regarde t-on le début, le milieu, la fin de l’histoire? Plutôt les trois en même temps! Dans son étude de 21 grammes, James Romney suggère que le spectateur est omniscient à l’image de Dieu ; il est face à un film puzzle dont il doit résoudre l’énigme pour insuffler du sens à ce qu’il voit.
21 grammes d’Alejandro Gonzalez Iñárritu
Tout ceci pour souligner les correspondances entre les personnages et leur destinée, et surtout leur interconnection. Cette marque de fabrique d’ Iñárritu culmine dans Babel, où le montage parallèle permet une superbe imbrication des intrigues (grâce à l’effet papillon), des langues et des cultures (comme Cloud Atlas mais en mieux!).
C’est là que réside la pensée d’ Iñárritu: montrer comment les destins sont liés, sans que le moindre protagoniste n’en ait conscience. C’est le déchirement de nos vies humaines, connectées mais pour toujours désarticulées. Ainsi, si nous avons bien le sentiment d’être les acteurs de notre histoire (individuelle ou collective), nous n’avons pas toujours l’impression d’en être les auteurs, d’en maîtriser le cours.
Le pilier de l’oeuvre d’ Iñárritu est au fond le problème de la contingence. En effet, le sentiment de notre propre historicité peut nous donner le vertige lorsque nous arrivons à l’idée que tout ce qui nous définit pourrait être, au fond, contingent (c’est-à-dire non nécessaire, lié aux circonstances), et par conséquent absurde, sans raison. C’est pourquoi, pour Iñárritu, «Personne n’est bon ou mauvais. Nous flottons simplement dans un immense univers, ballottés au fil des circonstances».
Biutiful d’Alejandro Gonzalez Iñárritu
Si Biutiful à l’opposé se concentre linéairement sur les derniers jours d’Uxbal – rôle magistral sur mesure pour Javier Bardem, c’est pour, paradoxalement, mieux réaliser un «hymne à la vie» ; Biutiful est un portrait sublime, une oeuvre complète et – allons y – parfaite.
Quant à Birdman, c’est l’acmé de l’expérimentation, avec son illusion d’une seule séquence – une performance magistrale étant donné qu’il n’y a eu que 16 coupes dans tout le film ! Dès lors qu’ «on vit nos vies sans montage» selon Iñárritu (qui compare son expérience à celle d’un écrivain faisant fi de toute ponctuation), il s’agissait de montrer d’une traite la «réalité-prison» de Riggan Thomson, acteur déchu aliéné par son rôle de super-héros.
En résumé, s’ils sont moins tortueux que Lynch, moins spectaculaires que Nolan et moins tonitruants que Tarantino, les films d’Iñárritu demeurent des chefs d’oeuvre époustouflants de sincérité ; ils sont le miroir de nos contradictions, de nos souffrances et de nos échecs, mais aussi et surtout de nos moments de grâce…des diamants bruts en somme.
Birdman d’Alejandro Gonzalez Iñárritu
(Pour les aficionados, un western avec Leonardo di Caprio, The Revenant, est prévu fin 2015 !)
Retrouvez la chronique ciné de La Péniche ! Chaque semaine, La Péniche vous donne rendez-vous au café des Vieux Garçons pour la chronique ciné. Retrouvez nos chroniques cinés.
2 Comments
Jury de Festival
La palme du ridicule pour ce titre « L’univers d’Iñárritu, entre contingence et amour du dépassement », qui semble tout droit issu du générateur de cours bullshit de Sciences Po.
Juliet C.
Merci merci, ta formule n’est pas mal non plus !