LE MAG – BNR, c’était mieux avant.

À parler de rap, d’aucuns me diront « ouais le rap, c’était mieux avant ». Loin d’être ma question préférée, je n’abandonne toujours pas ma chaire de musiques électroniques pour celle du rap. Néanmoins, il me semblait judicieux de débuter de la sorte ce léger article à propos du jeune SCNTST, et de son LP récemment sorti, Puffer.
SCNTST est un membre de Boys Noize Records, qui, clairement (d’où le lien avec le rap), était mieux avant. BNR c’est ce genre de musique allemande, puissante et à la touche acidulée. Né en 1993, élevé dans un cadre musical originellement hip-hop et rock, ce « jeune prodige » entame très rapidement un virage techno à l’aune de ses 17 ans. Si je mets des guillemets à jeune prodige, c’est car de mon point de vue, Bryan Müller n’est autre qu’un de ces caméléons à la production extrêmement mature en dépit de son jeune âge, ce qui lui offre ce qualificatif gracieux, mais dont le talent ne s’étant pas encore pleinement exprimé, un tel qualificatif vaut probablement un nouveau temps de réflexion.
Pour autant, il demeure que son parcours est un sans faute. Un premier album, Self Therapy, en 2013, très bien accueilli par la critique, des dizaines et des dizaines de releases –dont une partie a été supprimée à son initiative-, et enfin, un dernier album, Puffer.

Du contexte ? Je t’en mettrai du contexte.

Remettons cela dans son contexte. Car à parler de cet album, une remise en perspective du rapport de SCNTST à son maître actuel, Boys Noize, se doit d’être faite.
Boys Noize, c’est ce genre d’artiste adulé par le public adolescent. Il représente son propre style, en même temps qu’un label capable des meilleures sorties comme des pires. De mon point de vue, il participe activement à la mise en place de l’éclectisme des goûts musicaux en termes de musiques électroniques. En quelque sorte, et ça a été mon cas, il nous montre la voie, de par des productions exigeantes, travaillées, et surtout dansantes, adaptables à l’ambiance de boîte comme celle de festival.

Il est l’auteur de productions fantastiques de simplicité et d’impact, comme Shine Shine, mais semble pourtant avoir perdu de son aura dernièrement. Tout d’abord, il cherche une légitimité toute autre dans le milieu des musiques électroniques, notamment par sa collaboration avec le pianiste et producteur québécois Chilly Gonzales, sur leur album Octave Minds. Mais parallèlement, nous pouvons le retrouver sur le Holy Chip, en compagnie de ténors de l’EDM dite « mainstream », voire d’incroyables beach parties à Miami, en agréable compagnie. En gros, il est devenu une sorte de jet-setter talentueux, n’ayant pas clairement exprimé son choix entre une production exigeante et innovante, et un parti pris plus business –n’oublions pas néanmoins qu’il est patron de label.

BNR2 De gauche à droite, Boys Noize et SCNTST au MIXMAG Lab, pour leur mix à 4 mains.

Quel impact sur la production de SCNTST ? J’aimerais dire aucun, que le gamin a su dépasser ce stade, et n’écoute plus son mentor. Il n’en est rien, et tout génie qu’il puisse être, Bryan (appelons-le Bryan) est membre de BNR, et participe à tous ces évènements. Ainsi, nous le retrouvons aux commandes des Miami Noize, sorte de compilations type summer break américain, de même qu’aux platines pour remixer le grand classique techno qu’est 010x de Benjamin Damage. Il signa également un remix pour Etienne de Crécy (lui, par contre, c’était clairement mieux avant).
https://www.youtube.com/watch?v=vbt888j0Jpk (010x – Benjamin Damage)

C’est dire qu’il cherche probablement encore son inspiration, voire le réel tournant qui le mènera à préférer un style parmi tant d’autres. Ainsi, entre techno trafiquée à la Jon Hopkins et EDM à la sauce du chef Aphex Twin, SCNTST est un artiste probablement encore dans phase caméléon, qu’il maîtrise néanmoins à merveille.
Bienvenu dans Puffer.

Le remix pour Etienne de Crécy

Le compromis

Cet album, c’est un compromis. Aucun parti n’est pris dans l’équilibre général de la composition. Néanmoins, tout est parfaitement calibré, les morceaux s’enchaînent et l’heure d’écoute réclamée ne semble pas suffisante afin d’explorer les méandres mentaux, tortueux et toutefois pétillants de house de l’ensemble. Certains morceaux, comme Generated ou encore Mondquelle (Reviewed) sont résolument plus techno, dansants, adaptés au rythme d’un dancefloor. D’autre part, des titres comme Sers, Zuge voire UV Houzz sont plus cosmiques, et j’oserai même avancer le terme « planants ».
Ainsi, on peut scinder l’album en deux : une partie Ambient/techno, sombre et aux vibrations lourdes. La seconde partie se caractérise par son alliage entre une touche de Selected Ambient Works Vol. II (encore du maître Aphex Twin), et un côté UK house pailletée comme un artiste tel que Lone saurait le faire.

Commençons par l’aspect techno de cet album. Inutile d’insister, SCNTST, en dépit de son jeune âge, dispose d’un sens poussé, d’un instinct presque animal en ce qui concerne la techno. En témoigne certains de ses tracks, ainsi que la qualité de certains de ses remix comme j’ai pu en citer précédemment. Pour autant, on sent une volonté du producteur de ne pas verser dans le plus pur style de la techno. Il tient en cela plus du Jon Hopkins, voire du Rone, en ce qu’il insuffle à la fois une certaine violence à ses compositions, tout en s’assurant de porter l’auditeur à approcher les musiques électroniques, et particulièrement la techno, sous un autre angle. Pour ceux qui ne connaitraient pas, Rone est un producteur français très en vogue dernièrement, alors que Jon Hopkins est anglais, et produit une musique techno plus saturée, mais non moins travaillée.

Au fond, si cet album est, comme j’ai pu l’affirmer, un compromis évident, il n’en demeure pas moins que SCNTST souhaite ici marquer un gros point en tant que merveilleux innovateur. Comme son patron et mentor Boys Noize, dont il n’a heureusement pas les côtés dilettantes, le jeune homme se cherche encore, mais prend le parti clair de l’innovation et du renouvellement. SCNTST avance à la frontière de ce qui peut être considéré comme l’avant garde des musiques électroniques.

En cela, il réussit avec brio le ciselage entre d’une part une touche techno ambient, légère et dont le tintement produit une impression de calme devenant rapidement étonnamment familière, attirante ; et d’autre part, une house contoyant plutôt les plafonds célestes qui nous sont familiers. Je ne parle pas ici métaphoriquement : chaque titre est lié, pour moi très personnellement, à une sensation, à une image. Des compositions comme Flight ou UV Houzz atteste de cette capacité qu’à un jeune homme de 22 ans à nous emporter hors de toute contingence matérielle ou académique. Par conséquent, SCNTST signe ici des productions cosmiques, mais n’envisage pas de côté techno, car il lui préfère une version plus dansante lorsque l’occasion se présente.
Il en va de la puissante capacité à susciter des émotions, mais également à faire de son LP une marque tant dans l’histoire du label BNR que dans le propre panthéon du jeune producteur.

Somme toute, Puffer est l’album de la croisée des chemins pour le jeune Bryan. Plus d’hésitation entre techno syncopée, EDM ou house syncopée, il est temps, comme nous tous, de se choisir un avenir. Or, au vu de l’annonce implicite faite par l’album, j’oserai avancer que notre artiste n’est pas l’homme droit et fort que nous attendons, et continuera, pour le plus grand plaisir de nos oreilles, de nous emmener dans ses expérimentations les plus folles, dans autant de domaines que son imagination pourra le lui permettre. Car après tout, n’est-ce pas le vrai caractère du génie que d’être au devant de la frontière des possibles ? Si le cosmique ne fait plus assez rêver, il en revient à des artistes comme SCNTST – ou Jeff Mills pour ne citer qu’un exemple – de nous le faire approcher sous un nouvel angle.