Le bateau capricieux

Jeudi 14 AVRIL.

Un besoin de perspective. 

Je sors ma longue vue.
Je vois tout noir.
Comme un aveugle.

Qui a éteint la lumière? 

Il fait déjà nuit?
Où sont les étoiles?

Encore oublié d’enlever le cache.
Je veux regarder loin trop vite.
Je me précipite toujours et je soupire. 

Avec la rage d’un lion j’arrache
Ce vilain gardien de ma vision.

Sans voir comment prévoir?
Comme le marin je déploie les voiles 

-Et j’attends, derrière mon gouvernail.

J’attends que les voiles se gonflent. 

J’attends encore et toujours. 

J’attends de sentir ma prise. 

J’attends d’être maître.

Me sentir commandant et puissant.

Mon ventre gargouille, 

Lui aussi est impatient.

J’envie l’avenir, le passé, le présent. 

Comme un enfant capricieux
Je ne sais profiter de l’instant.
Il est toujours dépassé,

Comme un vieux jouet.

Si le passé est cette sucette.
Au goût réconfortant et sucré,
Je le mets dans ma bouche,
J’en suis bientôt écoeurée.
Le passé, prescrit en micro-dosé.
La sucette trop souvent,
C’est dégueulasse.
Trop plein de mélancolie et de souvenir.

Le sucre m’emplit la bouche,
Je crache à plein poumons,
Miel trop dense – étouffant.

Le présent,
Ce jouet de bois du fond de cale. 

Anticipé, déjà désuet,
Odeur de pourri, de chien mouillé
Il sent le rance.
Je le balance
Par dessus bord.
Je le regarde amusée se faire piéger, 

Dans la gueule d’un requin.

Le futur,
Ce fruit pas mur. 

La pomme trop verte,

La fraise un peu blanche,
La poire qui croque sous la dent
-Et vous rend malade.
Tu veux pas le jeter ce fruit,
Ce don de la nature.
Mais il a un goût de :
Gâchis.


Mauvaise pioche.
Ça aurait pu.
La prochaine fois.
Cette pomme d’Adam qui n’en avait pas l’air, 

D’une vraie vipère.

Dans la bouche elle me nargue,
Avec son non-goût.
J’aimerais qu’il démarre,
Ce bateau capricieux.
J’aimerais prendre le large,
Pour faire au mieux.

MARDI 8 MARS 2022, Romane Huillet

Crédit image : ©Romane Huillet