LE MAG – La semaine cinéphile du Mag’

Les derniers samourais

47 Ronin, de Carl Erik Rinsch

En plein Japon féodal, 47 rônins décident de venger leur maître Asano, perfidement réduit au seppuku ou hara-kiri par Kira, le seigneur rival du coin. Pour mener à bien leur vengeance, ils vont faire appel à Kai (Keanu Reeves), un sang-mêlé épris de la fille d’Asano qui va se révéler un combattant hors pair.

Source: Allociné
Source: Allociné

Soyons honnêtes. Ce film, qui a pour base l’historique révolte des 47 rônins,  constitue un viol flagrant de la culture japonaise, une bouillie américaine sans nom. Evidemment, le Japon est plus subtilement approché que dans Wolverine, le combat de l’Immortel (ce qui n’est pas en soi gage de réussite). Toutefois, le film est un enchaînement de non-sens et de stéréotypes: des dizaines de cerisiers à fleurs dans tous les plans d’ensemble, une sorcière sexy pouvant se transformer en joli renardeau ou en immense dragon cracheur de feu, des démons avec un look de Voldemort bouddhiste (si si je suis très sérieux), des créatures complètement WTF qu’on jurerait avoir déjà vu dans Avatar et bien sûr, non-sens ultime, la présence de Keanu Reeves!

Que sait-on de lui, personnage fictif, absent de l’intrigue historique ? Rien, ou presque. D’une manière générale, un tel non-développement des personnages et des dialogues dignes de l’école primaire ne sont pas l’expression ultime du génie, mais là, ce vide devient fascinant par son intensité. Avec une émotivité proche d’une biscotte Pasquier rappelant Ryan Gosling dans Drive, Keanu Reeves nous laisse de marbre tout au long du film. Aussi, immense déception, le deuxième personnage par sa taille sur l’affiche du film (mais oui ce mannequin entièrement tatoué en squelette qui revient te hanter dans tes pires cauchemars), fait une apparition remarqué de…15 secondes, ponctuée par deux phrases intenses se résumant à une construction grammaticale nommée question-réponse. Oups.

Plus largement, malgré de jolis panoramas, des décors soignés et des chevelures soyeuses comme celle de Legolas, ce film est un échec. La vision de la société japonaise, dénichée par le réalisateur dans un kinder surprise, est pleine de non-dits pourtant essentiels à la compréhension de l’intrigue (pas une seule fois le fameux article du bushido invoqué n’est explicité).

Le fantastique est acceptable, même dans un cadre pseudo-historique, lorsqu’il cohérent avec son univers, ce qui n’est pas le cas ici. Finalement, 47 Ronin est un film décevant, par son infidélité culturelle et historique, son manque de logique interne, ses interprétations fades et des dialogues sans profondeur

Je doute qu’il reste longtemps à l’affiche, étant donné le flop. Profitez donc de cette occasion, limitée dans le temps, pour ne pas aller le voir.

Note: 2/5 (pour la sorcière sexy)

Alexandre Larroque-Suchorzewski

 

 

The One Million Dollar Man

Nebraska, de Alexander Payne

Un vieux monsieur longe la route, cheveux blancs hirsutes, bringuebalant et légèrement délabré. Persuadé d’avoir gagné un million de dollars, Woody (Bruce Dern) est en route pour Lincoln, Nebraska, pour réclamer son gain. « Bon pour la maison de retraite ! » : sa femme et son fils aîné sont unanimes. Un peu par pitié – mais surtout pour échapper à son destin tristement statique de vendeur de grands écrans dans la pathétique Billings, ville du Montana – David (Will Forte), le cadet, décide de suivre son père. Rien de nouveau donc, côté scénario du moins, pour Alexander Payne: rapports familiaux conflictuels, mis en scène de façon cruelle et ironique.

Source : Allociné
Source : Allociné

Nebraska est un film d’atmosphère, d’ailleurs A.P n’en fait pas un mystère: scénario linéaire, refusant tout élément d’intrigue – on l’a compris depuis le début, le million fantasmé n’est qu’une grotesque arnaque ! -. Un « road-movie » au ralenti, au rythme de son personnage principale, où les plans statiques des grandes plaines de l’Amérique (très, très) profonde se succèdent – sublimée par l’utilisation, quoi qu’un peu artificielle, du noir et blanc -. Derrière cette trame franchement ronronnante, Bruce Dern crève pudiquement l’écran, avec tout ce que la formule a d’oxymorique. Toujours à la ramasse, avec la tête d’un vieux papy gentil mais le discours lapidaire d’un vieillard aigri, Bruce Dern incarne à la perfection son rôle, pour lequel il sera récompensé à Cannes (Prix d’interprétation). Il ne dit mot, toujours cadré au bord de l’écran, franchement perdu. Cette mise en scène d’un anti-héros moderne, d’une candeur troublante malgré tout, tranche avec le caractère haut-en-couleurs de sa femme, qui jure à tout bout de champs, malgré ses soixante-dix-ans passés, et décrit son passé fulgureux de séductrice – il n’y a qu’à la voir lever sa jupe devant la tombe d’un ancien prétendant ! –.

Le réalisateur avait déjà pris un malin plaisir à déconstruire deux fantasmes dans The Descendants en filmant George Clooney en chemise à fleurs dans une Hawaï maussade, loin du cliché des surfeurs sous les cocotiers, ici c’est le rêve américain qui en prend un coup !

Note: 3,5/5

Judith Lienhard