Harry Potter, une « oeuvre d’art » politique à Sciences Po (1 / 2)
On n’avait pas autant entendu parler de SciencesPo dans les médias depuis la mort d’Albus Dumbl… de Richard Descoings ! Le cours proposé aux étudiants de deuxième année par François Comba intitulé « Harry Potter de J. K. Rowling, approche littéraire, psychanalytique et politique » a piqué la curiosité des médias français, que ce soit Le Figaro, Le Nouvel Obs ou même Grazia. La Péniche a donc enfourché son plus beau Nimbus2000 pour aller interviewer M. Comba, professeur d’Histoire, afin de comprendre les tenants et aboutissants politiques de l’oeuvre littéraire la plus lue au monde depuis deux mille ans, Bible et Petit Livre Rouge exclus. Quels messages et quelles références politiques se cachent derrière la mythique cicatrice du sorcier à lunettes et Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom-Mais-Qu’on-Appelle-Voldemort-Parce-Que-Bon-Faut-Pas-Déconner-C’est-Quand-Même-Un-Petit-Peu-Plus-Pratique ?
Qu’est-ce qui vous a amené à proposer ce cours, pourquoi Harry Potter mérite-t-il d’être étudié à Sciences Po ?
Harry Potter mérite d’être étudié car c’est une oeuvre d’art. C’est un livre très élaboré, très riche, qui fait tout à la fois réfléchir et rêver. Il s’adresse à chacun de nous sur des questions d’aptitude à l’émotion, de morale. C’est un livre qui propose des leçons de vie et qui aborde également la nécessaire réforme de nos sociétés.
J.K. Rowling est en effet en quête de deux orientations principales. La première, assez ancienne, est une critique des élites « héritées » de l’aristocratie britannique. Elle dénonce l’influence de ce groupe social, son lobbying, au travers des Malfoy qui entretiennent des relations complaisantes avec le ministre Cornelius Fudge. J.K. Rowling fait également preuve d’une réelle hostilité en direction de l’administration, qui est très effrayante : Fudge est la lâcheté incarnée, Ombrage est d’une mauvaise foi inouïe, Percey est obsédé par sa carrière et Barty Croupton fait preuve d’une réelle inhumanité. Les dirigeants politiques sont assez inquiétants dans Harry Potter.
Par ailleurs, les médias sont très critiqués. Les médias ne font pas leur boulot en prenant pour argent comptant ce que leurs sources disent d’autant que les journalistes sont de réels idéologues, qui ont des interviews déjà écrites au préalable (cf. plume à papote de Skeeter). Les médias indépendants ne sont pas plus fiables que la solennelle et ampoulée Gazette du Sorcier : le Chicaneur est un Gorafi qui s’ignore et Sorcières Hebdo est un mauvais canard. Seule la radio « Potterveille » déroge à la règle : mais dans la radio clandestine de l’Ordre ( qui fait songer à « Radio Londres »), les journalistes sont tous amateurs !
Une question et déjà un point Godwin ! Continuons sur cette lancée : l’historien Ian Kershaw dit que c’est « la communauté charismatique de quelques fidèles qui a permis de transmettre le « culte du Führer » vers des secteurs plus larges de l’électorat ». Or, on retrouve chez les Mangemorts cette forme de communauté charismatique. Vous qui avez écrit une psychanalyse de Voldemort, pensez-vous que la comparaison Hitler / Voldemort tienne la route ?
Certes, Voldemort est un dictateur sans scrupules qui dispose d’un groupe fanatisé en admiration devant son leader. Mais il ne faut pas oublier que Hitler est arrivé au pouvoir par les urnes, à visage découvert. Voldemort ne réunit pas 13 millions de voix lors d’une élection présidentielle comme ce fut le cas en 1932. Le nazisme était au cœur de la société, ce n’est pas une chose qui se cache dans les ténèbres avec un seigneur. D’ailleurs, Voldemort ne veut pas s’installer au pouvoir, il place Pius Thicknesse à sa place. Il redoute le fait d’exercer le pouvoir politique : dans le tome VII, il est clairement dit qu’il craint la rébellion de la communauté des sorciers s’il venait à devenir ministre de la Magie. Au fond, le fait que Voldemort ne fasse pas uniquement référence à Hitler lui permet de garder une sorte d’actualité perpétuelle.
Les Mangemorts ne renvoient pas qu’aux militants nazis d’ailleurs, il n’y a pas qu’une dénonciation du nazisme. Dans le tome IV par exemple, il y a une ambiance très « Ku Klux Klan » avec le lynchage des résidents du camping lors de la Coupe du Monde de Quidditch. Les opérations terroristes évoquées au début du tome VI font elles écho à Al-Qaida.
Est-ce qu’on peut avoir une interprétation politique des quatre maisons de l’école Poudlard ? Chaque maison a son drapeau, un symbole, une équipe sportive, une histoire, des ancêtres fondateurs, une forte conscience collective : est-ce que l’attachement à la « maison » dans Harry Potter n’est pas un nationalisme déguisé ?
Ce n’est pas incohérent d’associer en termes politiques les maisons à des formes de patries. J.K. Rowling dénonce à travers le visage aimable du sport, de la compétition entre maisons, le visage du nationalisme : la passion du foot, c’est la haine de l’autre, de l’adversaire. Il y a une ambiance très nationaliste dans les matchs de Quidditch.
Mais il ne faut pas trop insister là-dessus, notamment parce que la définition et les critères des maisons ne sont pas très bien définis. J.K. Rowling n’a notamment pas prêté attention à approfondir l’héraldique : le blason de Serdaigle représente un aigle bronzé, or, le bronze ne représente rien en héraldique. Par ailleurs, la valeur « loyauté » transite au cours de la saga : dans le volume II, elle est associée à Poufsouffle puis dans le volume IV, elle se déplace vers Gryffondor. Et puis il y a des incohérences, des choix étranges, le Choixpeau magique est loin d’être infaillible : Cho Chang est à Serdaigle alors que la cérébralité n’est pas sa caractéristique majeure. La présence de Queudver à Gryffondor est également absurde. D’ailleurs, les maisons de Poudlard s’inspirent des maisons d’Eton College, qui existe depuis le XVème siècle, et dans lequel on retrouve ces maisons ainsi que les Captains of Houses (préfets de maison) : or, dans cet établissement, la répartition des élèves par maison se fait au hasard….
En fait, les maisons font surtout penser au concept des fonctions tripartites indo-européennes développé par Georges Dumézil puis Georges Duby. Gryffondor, c’est le courage, la chevalerie, les bellatores. Serdaigle, c’est la cérébralité, c’est le clergé, ce sont les oratores. Poufsouffle, c’est la paysannerie laborieuse, c’est le travail, les laboratores. Et puis s’ajoute à cette tripartition classique la maison Serpentard, ceux qui sont sortis de la société pour rejoindre le diable, les sorciers qui vivent à l’écart du village. Salazar, le fondateur de la maison, est en effet celui qui a quitté l’école, qui s’est exclu de la société, qui est banni. Serpentard forme un « hors société » qui vise à reprendre le dessus en prenant justement la société d’assaut.
To be continued…
5 Comments
Joe
Par rapport aux liens avec le nazisme, il faut absolument se concentrer sur Grindelwald: sa chute face à Dumbledore a lieu en 1945.
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Seube Jean
Le fait que Queudver soit à Griffondor n’est pas absurde, puisque le choixpeau magique tient aussi compte du choix personnel pour telle ou telle maison.
Adrian
Sympathique article, bravo 🙂
emma.lejeune
Tu es vraiment mon rédacteur préféré !
Chacun de tes articles fait mouche : chapeau