Exclusivité Taïwan Express – On vous dit tout
Alors que les affectations sont tombées et que les 2A commencent déjà à rêver de Joyeux Tropiques au rythme d’un bon vieux « Voyage, Voyage, plus loin que la nuit et le jour… », nos 3A entament la fin d’une époque. Après six mois en terre inconnue, quels regards, quels bilans, quelle immersion sont à retenir de cette année passée si loin de La Péniche ? Paul Laurent, actuellement à Taïwan, nous livre une analyse riche et pointue de la situation politique, économique et culturelle du pays, entre héritages Ming, confucianisme et Iphones…
Que fais-tu à Taïwan? Qu’as-tu appris jusqu’ici sur sa place économique, son rôle au niveau international, sa culture ?
En fait ici, je suis des cours intensifs de chinois le matin et effectue un stage l’après-midi à la chambre de commerce française de Taiwan (CCIFT) et suis en charge de la rédaction d’un guide pour les CCE (les conseillers du commerce extérieur de la France, nommés par le PM sur proposition du ministre du commerce extérieur de mémoire) « affaires ou ne pas faire ». L’objectif du guide est d’aider les entrepreneurs français qui sont venus tenter leurs chances à Taipei à s’implanter et réussir à Taïwan.
En effet, on remarque assez vite que si les échanges culturels et linguistiques entre la France et Taïwan sont fantastiques, les relations économiques restent insuffisantes. Cela s’explique en partie par une classe politique qui ne conçoit pas la possibilité de faire des affaires à la fois avec la Chine et Taiwan ; que ce soit l’affaire des frégates de Taïwan dans les années 1990, l’affaire du referendum en 2004 condamné par Chirac, on a toujours craint de froisser Pékin, alors que concrètement, et c’est ce que les allemands et les britanniques font très bien, on peut jouer sur les deux tableaux. On représente 0,97% de parts de marché, et la plupart de nos entreprises ont totalement abandonné Taipei quand la Chine a émergé.
En fait, et c’est la chose la plus importe, Taïwan apparaît comme une porte ouverte sur la Chine. Si les relations ont été très compliqué entre les deux côtés du détroit pendant de longues années, depuis 2008, la donne a changé. Les accords ECFA et le retour du Kuomingtang au pouvoir ont permis de renforcer la coopération économique entre la Chine et Taiwan. En 2012, Taiwan est devenue avec Hong Kong la seule place offshore de clearing du renminbi, ce qui facilite grandement les transactions et les investissements.
Les frontières s’ouvrent progressivement (vols directs) et le tourisme de masse se développe : les bus débordent de touristes chinois venus admirer les œuvres d’art des dynasties chinoises que Tchang Kai Chek, dans sa fuite face aux communistes, n’a pas omis de mettre dans ses valises… Notamment un chou en jadéite qui est l’équivalent de la Joconde chez nous !
Comment perçois-tu alors ces rapports compliqués entre la Chine et Taïwan ?
Derrière les barrières, les normes, les réglementations, des relations très fortes perdurent. Taïwan s’affirme comme le premier investisseur en Chine, avant les Etats-Unis !
En règle générale, l’aspect politique reste un sujet sensible. Taiwan a une histoire très particulière et est marquée par une diversité culturelle énorme. Qu’on pense aux Portugais ou aux Hollandais qui ont fait de l’île une place centrale de leur route commerciale, aux Japonais qui ont « civilisé » l’île, aux Ming et aux communistes qui ont fait Taiwan leur lieu de refuge, le pays s’est bati en intégrant et en mélangeant des peuples très différents ! Le rapport du pays à son histoire est très particulier ; la population reste indéniablement coupée en deux, entre le nord, plus chinois et le sud plus taiwanais. Le président actuel, Ma Ying Jiu du Kuomingtang, a opéré un rapprochement sensible avec la Chine, avec des mesures symboliques : Nankin redevient la capitale historique de la République de Chine, la domination japonaise est appelée « occupation » japonaise (alors que le traité de 1895 établit que la Chine cède clairement Taiwan ad vitam aeternam au Japon et que du coup on ne peut pas parler d’occupation à proprement parler, d’autant plus, quand on sait le peu d’intérêt que les chinois avait pour l’île à ce moment là), un jeu sur la sémantique qui pose de vrai problème en terme de mémoire.
Et toi, petit Européen perdu dans ce fouillis asiatique, comment vis-tu ton intégration et ton immersion culturelle ?
En général, les Taïwanais sont adorables. Vraiment. Un sens de l’hospitalité, une humilité, une ouverture d’esprit… Après, les facs sont assez internationales et il est facile de perdre de vue les richesses culturelles que le pays a à offrir. Mais dans mon quartier, il y a une majorité de locaux, et on me surnomme souvent le « waiguoren », l’étranger. Nonobstant, il est difficile de saisir tous les codes culturels, religieux, spirituels issus du confucianisme, du taoïsme, du bouddhisme et qui sont très présents au quotidien : par exemple, il n’y a pas de quatrième étage, car quatre en chinois se prononce « si », comme la mort. On ne peut pas offrir de parapluie, d’horloges, de chaussures, pour des raisons d’homonymie dont ils sont friands. Tu ne peux pas planter ta baguette dans ton bol de riz sinon ça veut dire que tu souhaites la mort de la personne en face de toi. Tout est Fengshui, du coup dans mon appart j’ai un aquarium vide en face de ma porte, gros non-sens mais bon c’est leur façon de faire. Mais si on raffole des ces petites anecdotes, comme de doubler par la droite et de klaxonner librement et démesurément, force est de constater que, comme partout, la tradition s’effrite parfois au profit d’un bon vieux Candy Crush…