Etienne Wasmer : « la philosophie d’ensemble de la loi Duflot a refroidi les ardeurs du secteur privé »

La Peniche vous présente aujourd’hui sa nouvelle rubrique : « Prof à l’appui ». Des professeurs de Sciences Po analysent et décryptent pour vous un point d’actualité dans leur domaine de prédilection. Nous commençons par un entretien avec le Professeur de microéconomie en 1ère année, Etienne Wasmer, également chercheur au LIEPP, sur la question des politiques du logement en France et notamment sur la dernière en date, la loi ALUR ou loi Duflot. Votée il y a seulement 7 mois, elle fait l’objet de nombreuses critiques alors même que seuls 3 des 208 décrets nécessaires à son application sont parus.

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Nombreux sont ceux qui pointent du doigt ces dernières semaines  l’ « échec sans appel » (François Lenglet) de la loi Duflot ; comment l’expliquer ? Quel  bilan tirez-vous de cette loi ?

Non, ce n’est pas du tout un échec sans appel. Les mises en chantier ont effectivement baissé pendant ce ministère, mais une partie est explicable par la conjoncture économique, et peut-être aussi par des effets de reports. Des éléments de la loi ALUR, comme la régulation des copropriétés, sont utiles, de même qu’une compréhension que les défiscalisations ne feraient rien si l’offre de logement ne bougeait pas. Une montée en puissance des intercommunalités en termes de plans locaux d’urbanisme était ainsi programmée, que le Sénat a en partie ralentie en dernière lecture. Enfin et ce n’est pas rien, on peut désormais faire jouer la concurrence entre les propriétaires dans les zones tendues, grâce à la réduction de la durée du préavis de congé. Cette mesure aura sans doute plus d’effet que les blocages de loyers.

Il reste cependant, au-delà de ces aspects positifs, que la philosophie d’ensemble a sans doute refroidi les ardeurs du secteur privé, bailleurs comme investisseurs. L‘erreur majeure de diagnostic est de croire qu’on peut améliorer le logement par l’encadrement voire le blocage des loyers. Ou que d’augmenter de 40% la longueur du texte de la loi de 1989 régissant le logement, sans parler des multiples décrets et circulaires qui devaient encore être rédigés, va résoudre la question du logement. Hélas, ce genre de travers est très répandu en France. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche, pas plus que ce n’est lié à la foi ou pas dans le marché. On sait bien que le marché doit toujours être encadré. Mais méconnaître la psychologie de ses acteurs rend les choses plus difficiles.

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Que pensez-vous des politiques d’encadrement des loyers ?

L’encadrement des loyers est une chose; leur blocage à la relocation, qui n’est pas dans la loi ALUR mais dans un décret de juillet 2013, pour un an mais renouvelé en juillet 2014, est plus coercitif encore.

Réfléchissons une seconde a contrario. Quand pense-t-on enlever ce blocage si l’offre reste inférieure durablement à la demande, ce qui sera encore le cas pour un moment dans les grandes villes? Plus on attendra, plus ce sera douloureux de revenir en arrière, car les loyers augmenteront brutalement ; donc, en mettant en place un blocage des loyers à une date donnée, on se lie les mains pour longtemps et on renonce à la vérité des prix. Et si les investisseurs anticipent que le blocage est durable, l’offre va se contracter dès maintenant.

Autre question : qui choisira entre les multiples locataires attirés par des loyers bloqués des centres-villes? Ce seront bien sûr les propriétaires. Les propriétaires choisiront-ils de louer aux classes moyennes s’ils peuvent loger des classes supérieures à un loyer bloqué? Je ne sais pas. Mon impression est que ce type de disposition va exclure un peu plus du locatif privé les classes moyennes car l’offre locative va se réduire, et ce sont paradoxalement les plus riches qui seront les premiers bénéficiaires de cette politique de contrôle des loyers.

Ajoutons à cela que l’encadrement des loyers nécessite que les préfets définissent des loyers de référence. Le dispositif de la loi ALUR prévoyait que les loyers ne peuvent excéder 20% de ce loyer de référence. Il faudrait donc des données très fiables sur les caractéristiques des logements (qualité, hauteur, proximité des transports, calme) ce qui n’est pas matériellement possible. Plus les loyers de référence seront basés sur ces caractéristiques, moins la loi d’encadrement aura d’effet car on se rendra compte que peu de logements sont à plus de 20% au-dessus de ce loyer de référence pour un type de bien donné.

En revanche, si les loyers de référence font fi de ces caractéristiques, on devra arbitrairement réduire des loyers pour les bailleurs qui louent des biens de qualité ; pas sûr que cela améliore la qualité de l’offre, ni a fortiori la quantité.

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Que pensez-vous du GUL (garantie universelle des loyers)?

La GUL (garantie universelle des loyers) est une autre problématique. Elle consiste à sécuriser les bailleurs en collectivisant les risques d’impayés et de dégradation. Sa portée a été réduite mais l’idée n’est pas mauvaise compte tenu de la loi de 1989 qui rend la gestion des impayés délicate pour les bailleurs. La question de la dérive des impayés se pose si une garantie dédouane les uns et les autres, mais en revanche, une gestion par l’État des créances d’impayés de la GUL est possible et même souhaitable. Ce serait un système similaire aux recouvrements de l’impôt par Bercy ou des cotisations sociales par l’URSSAF.

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Quel est le principal problème lié au logement ? Quelles politiques du  logement prônez-vous pour y remédier ?

Le principal problème est que les ménages sont prêts à payer cher pour vivre dans les endroits agréables et proches des emplois, ce qui est une façon polie de dire qu’ils veulent fuir des quartiers éloignés et éviter des transports en commun trop pénibles. Au-delà de la longueur, les écarts de prix du foncier entre centre et périphérie diminuent avec la régularité et la propreté des transports en commun et l’absence d’incivilités de leurs usagers. Je laisse à tout le monde le soin de dire si la situation des transports en commun dans les grandes agglomérations est optimale.

L’autre question est celle de la libération du foncier disponible. Pour améliorer l’offre, un diagnostic assez largement partagé est que les maires laissent une partie de leurs prérogatives aux intercommunalités. Il faut aussi aller vers la libération des logements du parc social lorsque les revenus dépassent les seuils d’éligibilité. Ce qui est une question de bon sens se heurte à nos habitudes françaises. Et ce sont les classes moyennes qui souffrent de ces mauvaises habitudes.

Voilà donc mes solutions : investir massivement dans les transports en commun, les rendre fiables, combattre les incivilités, imposer des surloyers progressifs dans le temps aux locataires du parc social dont les revenus sont au-dessus des seuils, ceci afin de laisser la place aux demandeurs de logement social qui attendent parfois deux ans dans des situations indignes, gérer l’urbanisme au niveau des intercommunalités et pas des communes, simplifier le droit du logement au lieu de l’encombrer sans cesse, détruire les immeubles insalubres des marchands de sommeil pour reconstruire des logements HLM ou intermédiaires. Ces solutions s’imposeront d’elles-mêmes à terme. Mais discutons-en dès maintenant, sans lancer d’anathèmes. Le débat est souvent absent ou inutilement polémique sur le fait que les propositions seraient tantôt libérales, tantôt liberticides. Ces invectives empêchent le débat.

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Credits : Les Echos

 

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L’immobilier semble vivre sous perfusion publique : ce secteur ne peut-il pas vivre sans intervention étatique ? Et au risque d’être polémique, ces incitations étatiques ne biaisent-elles pas la répartition normale du capital et n’engendrent-t-elles pas les  problèmes même qu’elles sont censées combattre (hausse des prix) ?

Oui. Toutes les études le montrent, aides au logement et aides à la pierre se transforment en hausse des prix et des loyers si l’offre ne suit pas.

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Que sous-tend la spéculation immobilière ? Un refuge, une défiance face à l’économie réelle ou au contraire un crédit facile alimenté par des taux d’intérêt bas et la création monétaire ?

Je pense que la valeur refuge de l’immobilier a joué un rôle important entre 2009 et 2012, quand la crise des états et des banques a levé des doutes sur les autres placements. La politique monétaire de bas taux explique la hausse depuis les années 2000.

Il se peut que les conditions d’une nouvelle bulle soient en place. Le seul argument, selon moi, pour ralentir les efforts de consolidation budgétaire (en clair ne pas réduire le déficit budgétaire aussi vite que prévu) au niveau européen serait de pouvoir en contrepartie ralentir doucement l’afflux de liquidités monétaires qui évite une trop forte récession due à ces réductions de dépenses publiques.

Mais c’est un débat complexe et il est clair que la France, mauvais élève budgétaire, a perdu sa capacité à influencer les débats au niveau de l’Europe.

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Vous êtes enseignant-chercheur, pouvez-vous nous décrire les différentes controverses autour du sujet, les différentes approches/écoles (micro/macro, libéraux/keynésiens), les outils d’analyse. Et puis pourquoi avoir choisi de travailler sur ce sujet ?

De façon amusante, chaque fois que des points de vue sont donnés en parallèle dans un journal par des auteurs de différentes écoles, ceux-ci se retrouvent toujours sur beaucoup de diagnostics, et assez souvent sur les préconisations. Les idées « libérales », « keynésiennes », « dirigistes » sont présentes en chacun de nous en proportion variable; ces proportions devraient varier en fonction des diagnostics portés, du moins avec un minimum de bonne foi.

Sur votre seconde question, pourquoi travailler sur le logement? C’est à la fois de la microéconomie (à travers les décisions des ménages; des entreprises); de la macroéconomie (à travers ses conséquences sur la croissance, sur la compétitivité, l’impact des politiques monétaires) et même de la finance (bulle ou pas bulle; valeur de placement). Il faut connaître l’histoire, étudier la sociologie pour comprendre les discriminations territoriales et ethniques, essayer de comprendre le droit pour saisir les régulations. Et surtout, garder un regard extérieur sur le sujet. Parfois, les experts dans ce domaine sont victimes du syndrome de Stockholm, et refusent de remettre en question ce qui a pu être adapté il y a trente ans.

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