Conférence : « Une sexualité disciplinée ? Amour, mariage et rapports sexuels chez les SS »
Certaines conférences, parmi les nombreuses proposées par le Centre d’Histoire de Sciences Po* ne manquent pas d’attirer le regard et de susciter de suspicieuses interrogations à la vue de leurs intitulés, parfois…surprenants. « Une sexualité disciplinée ? Amour, mariage et rapports sexuels chez les SS » est de celles-là. C’est donc sur mes gardes à l’idée des descriptions tortueuses auxquelles pourrait se livrer la chercheuse Elissa Mailander que je pénètre dans la « Salle du Conseil » du 13 Rue de l’Université, où l’intimité des plus hauts dignitaires du régime nazi nous sera révélée. Impatience.
Mais passées les premières minutes d’un exposé aux accents germaniques chantants, je me rends compte que son contenu ne sera pas une narration mi- descriptive, mi- voyeuriste des pratiques –extra – conjugales des SS, mais bien de questions profondes et complexes touchant aux fondements de l’idéologie même du IIIème Reich.
Dans ce régime biopolitique, la sexualité, le mariage et la procréation se trouvaient ainsi être des enjeux politiques majeurs, et particulièrement pour les soldats de la SS qui se devaient d’être des modèles de pureté et de santé, en incarnant la « virilité » et la « perfection » aryenne. Comme l’exprima Foucault : « La politique nazie en matière de sexualité fait de l’acte sexuel l’appartenance à la communauté racialement définie ». Les bases du propos sont ainsi posées.
L’atteinte de cet « idéal » nazi passe donc, nous l’avons compris, par un encadrement strict de la sexualité, conditionnée, orchestrée, dogmatisée. Plusieurs « types » de sexualité sont alors mis en avant par la chercheuse. Une sexualité tout d’abord dite « exemplaire » : l’idéaltype du couple hétérosexuel. Une sexualité sanctionnée : l’homosexualité. Tolérée : prostitution et violences sexuelles, et finalement encouragée : les enfants naturels et la construction d’une famille. Dans le rapport qu’ils entretiennent à leur corps et à celui d’Autrui, c’est l’honneur, le grade, et parfois la vie même des SS qui sont en jeu.
Mais non content d’être un « idéal-type », le couple hétérosexuel est lui aussi modelé et épié, tâche dont Himmler se chargeait souvent en personne et au cas par cas, s’il vous plaît. La liste des exigences requises pour un mariage entre un homme et une femme sous le IIIème Reich nous fait osciller entre rire et désespoir. A vous de juger, les pièces devant être fournies par les deux « candidats » au mariage étant : un arbre généalogique remontant au 18 siècle des deux partis, un questionnaire médical d’hérédité pour chacun, des renseignements sur les familles respectives, des preuves photographiques de la qualité raciale des fiancés, des déclarations sur l’honneur des deux citoyens se portant garants du mariage, et finalement, après une visite médicale poussée, un CV manuscrit soumis au Bureau de la Race et du peuplement. Férocement romantique.
Mais une fois l’autorisation acquise, ce n’est que le début du processus. Les candidats une fois mariés, Himmler attend la progéniture. Et si l’enfant ne pointe pas son nez dans un délai « convenable », il interfère : un haut fonctionnaire SS en bonne santé, cela va de soi, se doit d’avoir au moins quatre enfants. Mais dans cette logique de productivisme racial, tout en fait n’est pas « digne » d’être accepté dans la société : le régime tout puissant est en mesure de les écarter de leur famille, et même de la société, s’ils présentent des signes de faiblesses, maladies physiques, ou mentales. La pression biologique est constante.
Mais cette politique draconienne, intransigeante et totalitaire n’est pas si conservatrice qu’elle pourrait le laisser croire : ce n’est qu’un côté de la médaille. Le revers en est qu’Himmler rendait le divorce facile et « express » en cas de maladie génétique des enfants, de « défaillance » dans l’acte sexuel ou la procréation, ou encore en cas de découverte de judéité. La prostitution et les violences sexuelles étaient également tolérées, créant une faille supposée libératrice pour les passions de ces messieurs, une brèche dans la machine implacable du devoir reproducteur. Dans la l’affolante logique d’Himmler, cela permet aux SS de rompre un mariage et de s’investir dans une nouvelles relation… pour « produire », c’est le mot, toujours plus d’enfants.
Sexualité contrôlée, balisée, vie de couple et mariages dogmatisés et ritualisés jusqu’à la folie hygiéniste et eugénique, autant d’évocations terrifiantes aujourd’hui qui définissaient ce que se devait d’être le haut fonctionnaire SS. L’angle d’approche peu commun choisi par Elissa Mailander permet ainsi d’explorer, de comprendre et d’analyser sous le prisme de l’intime, la globalité et la volonté de transformation anthropologique et totalitaire du IIIème Reich, dont la surveillance hégémonique s’exerçait aussi bien sur les populations qu’il avait « soumises » que sur ses hommes supposés de confiance.
*FACSEM de Elissa MAILANDER, associate professor au Centre d’histoire de Sciences Po, autour du thème « Une sexualité disciplinée ? Amour, mariage et rapports sexuels chez les SS ». Les FacSem (Faculty seminar) sont des conférences inaugurales permettant aux nouveaux enseignants-chercheurs et chercheurs de Sciences Po de faire une présentation de leurs recherches sous la forme d’un exposé d’une heure, consacré à un sujet de leur choix.