Conférence Emile : Doit-on croire à la théorie de l’effondrement?

« L’effondrement n’est pas une théorie mais une réalité » : ainsi commence Agnès Sinaï – auteure et journaliste au Monde diplomatique et enseignante à Sciences Po –  l’une des intervenants invités à la Conférence Emile qui s’est déroulée lundi dernier, 30 septembre 2019. Dans un amphithéâtre Jacques Chapsal plein à craquer, la conférence a réuni quatre intervenants dont la renommée est à la hauteur de la gravité du sujet. Pendant une heure et demie, François Gemenne – spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement, enseignant à Sciences Po -,   Luc Semal – maître de conférences en science politique au Muséum national d’histoire naturelle, chercheur au Centre d’écologie et des sciences de la conservation – et Dominique Bourg – philosophe et professeur à l’université de Lausanne, membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot ont donc débattu autour de l’épineuse question : Collapsologie : doit-on croire à la théorie de l’effondrement ? Daniel Boy, directeur de recherche au CEVIPOF Sciences Po, animait le débat.

S’il y a une chose sur laquelle les invités s’accordent, c’est le constat d’une Terre en péril. Difficile en effet de le nier devant l’avalanche de faits, de chiffres et de prédictions de plus en plus effrayantes que nous adressent les scientifiques. « Un millions d’espèces sont menacées d’extinction », « la température moyenne n’a jamais été aussi élevée depuis un million d’années », « il pourrait ne plus rester d’insectes d’ici la fin du siècle », rappelle Agnès Sinaï.

Ces quatre discours font comprendre, si certaines incertitudes persistaient, que ce phénomène se passe en ce moment même. « Ce n’est pas une rhétorique des générations futures mais des générations présentes » martèle Luc Semal. Et en effet, c’est ce que semblent montrer la prise de conscience et la mobilisation de la jeunesse, notamment dans le cadre du mouvement « Fridays for Future ».

C’est donc un discours plutôt alarmiste, ce qui est bien compréhensible, qui a été tenu par les quatre intervenants. Pour Dominique Bourg, rester sous la barre des 2°C, comme préconisé par le cinquième rapport du GIEC – Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat – est impossible car l’impact des gaz à effet de serre se poursuit longtemps après leur émission. Il faut donc cesser avec l’hypocrisie actuelle des prédictions de croissance démographique et économique que la situation environnementale ne permettra pas. Et c’est en ça que réside l’intérêt de la notion d’effondrement : elle « permet de surmonter des paresses mentales qui aujourd’hui sont mortelles », déclare-t-il, soulevant un tonnerre d’applaudissements.

Cependant le terme d’ « effondrement » ne fait pas consensus.

Pour François Gémenne, le concept d’effondrement est un concept dangereux. Dangereux car il implique l’idée d’une catastrophe à venir, encore évitable. Dangereux aussi car il provoque un risque de repli sur soi-même et une diminution des échanges. Egoïste, il fragmente les sociétés alors que l’urgence climatique impose de se rassembler et de se percevoir avant tout comme un terrien. En un mot, ce concept « porte en lui les germes de l’extrême droite et du fascisme ». Selon lui, le concept serait en quelque sorte un Frankenstein, une « bête qui aurait échappé à ses créateurs » (notamment Pablo Servigne et Raphaël Stevens1) et qui rendrait possible des risques de glissements dangereux.

Non, l’effondrement n’est pas qu’égoïste, nuance Luc Semal : ces théories peuvent aussi faire bouger des hommes et des femmes qui s’inquiètent de cette possibilité et éprouvent une crainte altruiste envers les générations futures et les citoyens de l’autre bout du monde. C’est pourquoi le chercheur préfère au terme d’« effondrement » l’expression de « processus catastrophique à potentiel apocalyptique ». Il appelle ainsi à ne pas réifier le concept rappelant la pluralité des théories de l’effondrement.

Dominique Bourg, lui aussi, est attaché à cette notion de pluralité : il ne s’agit pas d’un effondrement, mais d’effondrements : des chocs en cascade qui sont en train de se dérouler sous nos yeux. Des chocs de plus ou moins grande ampleur allant « de la remise en cause de notre confort à la remise en cause de l’habitabilité de la Terre ».

S’il fallait retenir une chose de cette conférence, ce serait aussi la colère et la consternation des intervenants et notamment de Dominique Bourg – candidat aux élections européennes de 2019 avec la liste Urgence Ecologie – face à l’inaction des politiques.

Un discours alarmiste, oui, mais pas résigné. « Il y a une énergie à puiser dans ce deuil qui est une étape incontournable » souligne Agnès Sinaï. Une énergie pour agir donc, pour se mobiliser malgré ce qui a été fait et ce qui est encore fait. « Il faut se rendre compte qu’il est déjà trop tard mais on est dans une logique où il faut limiter les dommages » ajoute François Gemenne. Avec un peu plus d’optimisme, histoire aussi, d’offrir aux participants quelques pistes de solutions, la conférence se termine par les actions à mener prioritairement pour tenter de sauver ce qui peut l’être. Un consensus se crée alors pour abandonner la recherche de la croissance. « Il faut rompre avec l’imaginaire de la croissance verte » clarifie Agnès Sinaï. Cette dernière propose une réorganisation des territoires sous forme de bio-régions fonctionnant en autonomie alimentaire afin de retrouver une relation à la terre. La solution consisterait surtout en un changement de mode de vie et à la mise en œuvre d’une politique de résilience. Réorienter les financements en diminuant la place des énergies fossiles, sortir de la culture automobile en promouvant davantage le vélo, organiser différemment l’agriculture et les territoires, sans oublier de s’inscrire dans un objectif de justice climatique… telles sont les idées lancées par les intervenants. Quelques clefs d’actions à s’approprier…


1 Voir à ce sujet : Servigne Pablo, Stevens Raphaël, Comment tout peut s’effondrer : Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes. Editions du Seuil, 2015. 301 p.

Crédits image : Visuel issu du film « 2012 » de Roland Emmerich, sorti le 11 novembre 2009 en France • Metropolitan FilmExport