32 millions d’euros pour Dora Maar : un morceau de patrimoine envolé

Vendredi 24 octobre, à l’Hôtel Drouot à Paris, le tableau de Pablo Picasso Buste de femme au chapeau à fleurs (Dora Maar) s’envole pour 32 millions d’euros (frais compris) sous le marteau du commissaire-priseur Christophe Lucien. Une vente record pour l’année, qui relance le débat sur la place du patrimoine artistique face à la logique financière d’un marché de l’art toujours plus mondialisé.


Dans la salle sombre, l’ambiance est électrique. Une foule compacte tente d’apercevoir le chef-d’œuvre, mais peu y parviennent. « On ne peut même pas voir un tableau qui va disparaître ! C’est le patrimoine ! » s’exclame un spectateur alors que les portes se referment sur lui. La frustration est palpable : la vente commence à 17 heures, la file d’attente est déjà longue dans les couloirs et dehors une heure plus tôt.

Beaucoup de personnes restées dehors n’ont pu suivre la vente que via leur portable.

La toile, peinte par Picasso en 1943 et jamais exposée, représente Dora Maar, photographe et égérie des surréalistes. Elle part vers un enchérisseur étranger dont l’identité reste secrète. La spéculation court : Émirats, Liban, États-Unis… Une chose est sûre l’œuvre retourne dans l’ombre.

Marie, 43 ans, venue par curiosité, confie : « J’espère au moins pouvoir l’apercevoir, puisqu’il ne sera jamais accessible au public ». La bataille d’enchères, retransmise en direct fait grimper le prix de huit à vingt-sept millions d’euros en moins de trente minutes.

Pour le commissaire-priseur Christophe Lucien, c’est « le rêve après vingt mois de préparation, toute la récompense d’un travail colossal ». Il souligne la circulation naturelle des œuvres : « La plupart des objets qui sont dans les musées aujourd’hui sont passés par des mains privées. Cet objet vit sa vie d’objet. »

Mais derrière l’excitation et la rareté de la découverte, une toile cachée du public depuis plus de 80 ans, se pose la question de l’accès à l’art. Cette vente record met en lumière un débat récurrent : comment concilier la libre circulation des œuvres, principe fondateur du marché de l’art, avec la notion de patrimoine culturel, entendue comme un bien qui devrait, idéalement, rester visible et partagé ?

Depuis toujours, les grands chefs-d’œuvre de l’art suscitent l’intérêt d’investisseurs internationaux capables de mobiliser en quelques minutes des sommes colossales. En 2023, La Femme à la montre de Picasso est adjugé 139,4 millions de dollars à New York. En septembre 2024, un autre portrait de Dora Maar de 1944 est vendu à Hong Kong plus de 21 millions d’euros. Le marché de l’art français est justement très loin d’être en reste et d’autres belles ventes sont à venir, dont un Renoir à Drouot le 25 novembre prochain.

Mais alors, quel message envoie une vente comme celle-ci sur la valeur de l’art aujourd’hui ? La valorisation financière éclipse-t-elle le rôle de l’art comme bien collectif ? À 17h36, sous le marteau du commissaire-priseur, le Dora Maar change de main. Avec lui, un morceau de patrimoine s’envole.