20 ans des CEP – L’égalité des chances selon Sciences Po

En 2001, sous l’impulsion de son directeur d’alors Richard Descoings, Sciences Po inaugurait les Conventions d’Éducation Prioritaire, une procédure d’admission destinée à des lycéen.ne.s dont les établissements ont établi un partenariat avec l’école. Vingt ans après, penchons-nous sur les évolutions de ce dispositif créé pour favoriser l’égalité des chances.

Le 31 mai dernier, Sciences Po organisait le Live Magazine de l’Égalité des Chances, une soirée destinée à célébrer les vingt ans du programme CEP. Cette soirée, qui s’est déroulée en Boutmy – et était aussi retransmise en direct sur YouTube – était animée par Bénédicte Durand, administratrice provisoire de Sciences Po, ainsi que par un panel d’intervenant.e.s lié.e.s au dispositif. Dans la salle se trouvaient la présidente de la FNSP Laurence Bertrand Dorléac, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation Frédérique Vidal ainsi que divers.es mécènes, partenaires du programme CEP et membres de Sciences Po qui y ont contribué. Le but de cette soirée : regarder le chemin parcouru depuis 2001 et se souvenir des premières années de la CEP.

2001 : L’Odyssée de l’égalité des chances : les débuts du dispositif CEP

Parlons-en, de ces premières années. Premier intervenant de la soirée après l’introduction de Bénédicte Durand, Cyril Delhay était chargé de raconter à son auditoire les débuts difficiles de la CEP. Professeur d’art oratoire, M. Delhay a également été responsable des programmes Égalité des Chances à Sciences Po entre 2001 et 2009 : il a donc été particulièrement impliqué dans la mise en place du programme CEP. Pendant son intervention, il nous ramène en mars 2000, à l’époque où Richard Descoings vient le trouver pour discuter des futures conventions ZEP (Zones d’Éducation Prioritaire). Centrale et essentielle, c’est ainsi qu’est présentée la vision de l’ancien directeur de Sciences Po pendant toute cette soirée. Au cours de la période 2000 – 2001, les évènements s’enchaînent : rencontres avec les proviseur.e.s de lycées et discussions avec les communautés enseignante et étudiante laissent bientôt place aux batailles juridiques qui s’éternisent jusqu’à l’été 2001. Finalement, en septembre, ce sont dix-sept étudiant.e.s qui apprennent leur admission à Sciences Po et font leur entrée rue Saint-Guillaume.

Parmi ces nouveaux.elles arrivant.e.s, cinq feront l’objet d’un documentaire intitulé Court-circuit à Sciences Po, réalisé par Virginie Linhart pendant leur première année. C’est la réalisatrice elle-même qui monte alors sur la scène de l’amphithéâtre Boutmy pour présenter son film et en montrer des extraits. Années 2000 obligent, les coupes de cheveux et vêtements vintage sont de rigueur et ajoutent à la nostalgie cultivée par les intervenant.e.s depuis le début de la soirée. Le contraste entre les deux époques devient d’autant plus saisissant lorsque quatre des étudiant.e.s sujets du documentaire, Julien, Anna, Sébastien et Aurélia, interviennent à leur tour en direct pour témoigner de leur réussite professionnelle et de l’impact positif du programme CEP. En effet, au-delà des souvenirs émus, ces portraits permettent aussi de dresser un bilan.

Lutter contre le syndrome de l’imposteur

Dans cet objectif, nous avons rencontré une ancienne étudiante de Sciences Po ayant bénéficié du dispositif CEP. Aujourd’hui cadre territoriale au sein de la mairie de Bezons et première adjointe au maire de Colombes, Fatoumata Sow est entrée à Sciences Po en septembre 2006. Comme elle l’explique, sa promotion a fait l’objet d’une attention particulière : « les tous premiers CEP sont rentrés en 2001 et sont sortis en 2006. Nous, quand on est rentrés, on était une promo assez regardée parce que c’était l’occasion de faire le premier bilan. […] Il y avait encore des interrogations, il y avait encore de la curiosité et nous, la génération à laquelle j’appartiens, en 2006, on était celle qui avait encore [des choses] à prouver. » Questionnée sur son souvenir des ateliers de préparation au concours d’entrée effectués au lycée, Fatoumata Sow tient à souligner le travail de « tous les professeurs que j’ai connus sur mon parcours. J’ai une éternelle reconnaissance et ceux du lycée ont juste été extraordinaires parce que je pense qu’ils sont allés bien au-delà de leur mission principale essentielle. » Pour elle, l’investissement de ses professeurs lui a permis de « dépasser mes limites et donner quelque chose que je ne soupçonnais pas forcément au fond de moi. »

Mais entre le cadre connu du lycée et la nouveauté que représente Sciences Po, un décalage demeure, d’où l’intérêt d’un accompagnement qui se poursuit après l’admission en première année avec le tutorat : « on est dans un environnement qui nous déboussole. Moi, le 7e arrondissement, je n’y avais jamais mis les pieds. On arrive avec des visages qui sont aussi nouveaux, avec des codes qui sont aussi nouveaux et qu’on ne maîtrise pas forcément. » Des nouveautés qui peuvent engendrer, chez les élèves étant passé.e.s par les conventions CEP, un syndrome de l’imposteur. C’est ce que raconte Marine Gautier, intervenante lors de la soirée du Live Magazine de l’Égalité des Chances organisée par Sciences Po. En 2019, elle coréalise avec Jean Crépu le documentaire Pourquoi pas moi ?, dans lequel ils suivent des élèves d’un lycée de Bondy qui participent aux ateliers de préparation au concours. Sur la scène de Boutmy, la réalisatrice se souvient des appréhensions des élèves, certain.e.s craignant de ne pas se sentir à leur place dans l’établissement de la rue Saint-Guillaume. Ces craintes, Fatoumata Sow les a aussi connues : « cette première année à Sciences Po, ça a suscité des interrogations sur la place que j’occupais dans la société et la place que je pourrais occuper dans la société. On vit une espèce de tiraillement : on aspire à des choses, on a des rêves, des espoirs et en même temps, on ne veut surtout pas renier ce qu’on est, et c’est cet équilibre-là qu’il faut qu’on arrive à trouver lors de cette première année. »

Une fois cet équilibre trouvé, les difficultés du début ont laissé place chez Madame Sow à une « envie de me battre et d’assumer pleinement ce que je suis et cette différence. » Pendant son Master, elle raconte ainsi avoir organisé le dîner de conférence de son cours de droit public dans sa ville, à Colombes. Pour elle, il s’agissait de « montrer ce que pouvait être la banlieue et qu’il pouvait aussi y avoir de belles choses. J’étais vraiment dans ce truc assez militant à Sciences Po de clairement assumer de là où je venais tout en montrant que je pouvais aussi me fondre dans la masse. »

Vingt ans après : le temps du bilan

Alors, que retenir des vingt premières années des conventions CEP ? Des chiffres d’abord. 2262 par exemple : le nombre d’étudiant.e.s admis.es par la procédure CEP depuis sa création en 2001. 134 : le nombre de diplômé.e.s issu.e.s des conventions dans la promotion 2020. 106 : le nombre de lycées partenaires au début de l’année de 2021, une liste que Sciences Po espère faire passer à 200 lycées en 2023. Mais au-delà des chiffres, le dispositif des CEP représente aussi une expérience dont l’impact perdure bien après le diplôme, comme l’explique Fatoumata Sow qui résume son parcours ainsi : une première année « éprouvante, une scolarité époustouflante et quelque chose qui restera à jamais gravé, qui marque à vie. » Madame Sow met en avant le « bagage intellectuel » que son passage à Sciences Po lui a permis d’acquérir ainsi que les rencontres qu’elle a pu y faire et les effets sur sa carrière professionnelle : « c’est une belle carte de visite aussi : moi je n’ai jamais éprouvé de difficultés en termes d’embauche. Je pense que le diplôme joue mais je pense surtout aussi que la personnalité que j’ai pu cultiver à Sciences Po joue énormément. Oui, très clairement, l’impact perdure. »

Par rapport à la pertinence du programme, Madame Sow considère que « le dispositif de la convention ZEP, c’est génial, mais moi je rêve de ce jour où, en France, on arrivera à faire en sorte qu’un fils d’ouvrier ait les mêmes chances de pouvoir passer un concours qu’un fils de diplomate par exemple. Je serai pleinement heureuse et épanouie le jour où je me dis qu’on n’aura plus besoin de créer des passerelles parce que ça voudra dire qu’on aura réussi à combattre les inégalités et qu’on aura réussi à donner les chances à chacune et chacun d’affronter la vie de la même manière. » En attendant ce jour, le travail pour l’égalité des chances se poursuit. En plus d’augmenter le nombre de lycées conventionnés, Sciences Po souhaite que les étudiant.e.s ayant suivi les ateliers CEP représentent 15% de chaque promotion. Cet horizon s’ajoute à l’objectif de 30% de boursiers par promotion, annoncé en 2019. Comme l’expliquait Fatoumata Sow, « parfois, il faut forcer les choses pour faire avancer les idées dans la société. »

Crédit image : « Entrée de SciencesPo Paris, au 27 rue St-Guillaume » 8 juillet 2014 File:Entrée de Sciences Po (2014).JPG – Wikimedia Commons Licence Creative Commons Creative Commons Legal Code