Yasmina Reza, une “anti-leçon” inaugurale
Une femme de lettres, ni politique ni universitaire, va lancer la rentrée 2018. Yasmina Reza, écrivaine, poétesse, dramaturge et créatrice, sera ainsi la première femme à tenir ce moment mémorable, demain à 13h30 sur l’estrade de l’amphithéâtre Emile Boutmy.
Yasmina Reza est l’autrice de romans comme Babylone, paru en 2016 chez Flammarion et lauréat du prix Renaudot, de pièces de théâtre comme « Art », publié en 1994, mais aussi de scénarios et d’essais. Elle a été traduite dans plus de 35 langues différentes et a vu son œuvre récompensée par de multiples distinctions, notamment deux Laurence Oliver Awards et deux Tony Awards pour sa pièce « Art. »
Fille d’un Iranien et d’une Hongroise ayant fui la dictature soviétique, Yasmina Reza a toujours été habitée par les thèmes de l’exil, des relations, notamment amoureuses, et surtout de la perte d’identité. Ses œuvres, bien que réparties entre différents genres littéraires, partagent un même goût pour l’introspection, une même tension, une même ambiance intimiste. Chacun des personnages de Reza est en proie au doute, à la remise en question, et vit avec le risque permanent de voir ses convictions balayées en un instant.
Sortir de la réalité sociale et politique
L’œuvre de Yasmina Reza est donc celle de l’instabilité et de l’éphémère, de l’humain, du manque, et parvient toujours à mêler la banalité de situations individuelles à une dimension parfois presque tragique, toujours touchante. Pour Florent Georgesco, qui animera la leçon sous la forme d’un entretien avec l’autrice, « elle permet, dans son théâtre notamment, dans son roman aussi, à voir une réalité humaine qui n’est pas dans des cadres idéologiques, mais qui touche aux structures profondes de la relation humaine. »
Par quelle pièce commencer son oeuvre ? Le journaliste suggère Dans la luge d’Arthur Schopenhauer (Albin Michel, 2005), « un petit livre entre le monologue théâtral et le roman, [qu’il faut lire] pour les thèmes, pour la manière, pour les types de personnages… »
« Un étudiant de Sciences Po qui lit un écrivain pourrait avoir tendance à demander à l’écrivain de l’éclairer sur la réalité sociale et politique du pays et du monde. Elle ne fait absolument pas ça, mais elle aide à approfondir la réflexion en dehors de cela » précise le critique littéraire au Monde et à France Culture. C’est précisément ce que cherchait Sciences Po : un « état d’esprit. » « On tient à la qualité de l’échange » ajoute Bénédicte Durand, doyenne du Collège universitaire.
Car au-delà du souhait impératif, partagé avec Frédéric Mion, d’accueillir une femme, la doyenne cherchait, via cet événement, à « faire passer les humanités comme un pilier fondamental de l’enseignement. » « L’an passé, nous avions un invité prestigieux, plus traditionnel : Edouard Philippe. Mais la place de la littérature doit être affirmée [à Sciences Po]. » Contactée, Yasmina Reza « n’était pas tout à fait partante pour la leçon » selon Bénédicte Durand. « Elle nous a dit : ‘J’aimerais beaucoup parler avec vos étudiants, mais je ne donne pas de leçon.’ Qu’à cela ne tienne, proposez-nous la forme, lui a-t-on répondu. » Germe alors l’idée d’un entretien, et la dramaturge propose d’inviter le journaliste Florent Georgesco à la chaire de Boutmy.
« Ce ne sera pas une anti-leçon, glisse-t-il. Mais ça ne peut apporter que de l’inattendu, quelque chose qui n’entre pas dans les cases de ce que les étudiants de Sciences Po peuvent attendre dans la suite de leur formation, le type de questionnement qu’ils peuvent travailler. Donc ça sert à ouvrir le champ. » Il compte initier la discussion par son absence d’engagement politique, « et après on divaguera. »
Par Ulysse Bellier et Capucine Delattre