Yannick Jadot : « Seules les énergies renouvelables sont des énergies de paix et de sécurité »

La Péniche a reçu le candidat des écologistes à la présidentielle et député européen Yannick Jadot. Dans cet entretien, il revient, entre autres, sur la  crise ukrainienne, l’éviction de Sandrine Rousseau, ainsi que ses mesures pour réduire les inégalités.  

LA PÉNICHE. – Vous estimez que les Européens réunis pour un sommet à Versailles les 10 et 11 mars doivent décider de se passer des énergies vendues par Moscou, le gaz et le pétrole, afin de se montrer solidaires avec  les Ukrainiens. La France, et plus largement l’Europe, peut-elle survivre sans ces importations ?  

YANNICK JADOT. – Oui parce que c’est sûr qu’on a du gaz jusqu’à l’hiver prochain, et que l’enjeu c’est la paix, la sécurité et la démocratie en Europe. Ce qui se passe en Ukraine ce n’est pas seulement une affaire ukrainienne, même si elle est absolument abominable pour les ukrainiens, où il y a des crimes de guerre et des bombardements. Ce qui se joue c’est plus largement nos dépendances aux énergies fossiles et nos complaisances politiques qui sont liées à ces dépendances, dont il faut sortir. Ca veut dire se donner tous les moyens pour garantir l’approvisionnement en énergie des françaises et des français, et compenser les coûts pour les plus impactés. C’est un enjeu majeur et on voit combien aujourd’hui les questions du climat et de la paix sont des questions qui sont très liées, puisque finalement c’est notre addiction aux énergies fossiles qui pose problème.  

Au regard de ces récents événements, la dépendance énergétique à la Russie modifie-t-elle votre position vis-à-vis du nucléaire ?  

Pas du tout. Notre uranium vient essentiellement du Kazakhstan et d’Ouzbékistan ; nous avons vu les risques à Tchernobyl avec une centrale qui a explosé et continue de poser problème ; la Russie a bombardé la plus grande centrale  d’Europe… Ça me confirme, au contraire, dans l’idée que seules les énergies renouvelables sont des énergies de paix et de sécurité. Évidemment, on ne va pas arrêter le nucléaire du jour au lendemain, il faudra dans notre pays 20 ou 25 ans pour en sortir. L’enjeu c’est de ne pas construire de nouveaux réacteurs nucléaires, mettre le paquet sur les économies d’énergie notamment dans les maisons et les logements, puis développer les énergies renouvelables. C’est comme ça qu’à la fois on luttera contre le dérèglement climatique et pour la paix.  

Considérez-vous la sobriété énergétique comme une proposition réaliste aujourd’hui ?  

Elle est essentielle : la sobriété énergétique ce n’est pas avoir froid ou prendre une douche dans le noir tous les mois. C’est éviter le gaspillage de l’énergie. Quand je dis qu’on va investir massivement dix milliards d’euros par an sur l’isolation des logements, c’est avoir moins froid l’hiver, moins chaud l’été, économiser 700 euros par an, créer des dizaines de milliers d’emplois, et agir pour le climat. La sobriété c’est un projet positif, pas un projet de contrainte, où l’on s’affranchit de nos dépendances, on réduit nos dépenses et on protège le climat.  

Dans votre tribune parue au Monde le 9 mars, vous parlez d’une Europe unie  sur ce projet de se passer des énergies vendues par Moscou. Comment font des pays comme l’Allemagne, qui sont assez dépendants du charbon et du gaz ?  

Il faut une souveraineté et une solidarité européenne. Effectivement il va falloir aller chercher d’autres approvisionnements tant que nous n’aurons pas développé massivement les énergies renouvelables. Il faut un acheteur unique européen de gaz et de pétrole pour éviter la concurrence entre les États membres et obtenir les  meilleurs prix.  

À gauche, les querelles récentes sur la crise ukrainienne se multiplient, alors que plusieurs candidats mènent la charge contre Mélenchon. Vous avez  notamment jugé sa réaction à la crise complaisante. Cette « capitulation face à une dictature de Vladimir Poutine » est-elle la principale ligne de fracture entre vos deux candidatures ?  

C’est plus généralement le rapport à la démocratie. Pour moi l’écologie est indissociable de la démocratie. Ca veut dire comment notre projet écologique est mis en oeuvre dans notre pays — moi je fais confiance aux forces vives de notre pays — et évidemment comment on défend la démocratie dans le monde entier —  moi je défends la démocratie en France, mais aussi les droits de l’homme et de la  femme, les libertés fondamentales en Chine, en Russie, en Ukraine… Partout. Il  n’y a pas d’un côté la démocratie en France et puis après, selon que l’on est plus ou moins anti-américain, on aurait le droit d’être plus ou moins autocratique ou dictatorial. Pour moi, ça ne marche pas. Et puis je pense que l’Europe est une dimension politique géographique fondamentale pour peser dans  le monde aujourd’hui et avoir un modèle écologique social. Ce n’est pas forcément le projet de Jean-Luc Mélenchon, donc ce sont des différences politiques importantes.  

La finaliste de la primaire écologiste Sandrine Rousseau a récemment été exclue de votre équipe de campagne, accusée de « faire prévaloir une  expression personnelle sur le collectif ». Ces divisions internes sont-elles  responsables des difficultés de la campagne écologiste, qui peine à émerger dans les sondages ?  

On verra le 10 avril. À chaque campagne électorale, on nous fait le même couplet  sur les mauvais sondages, les dynamiques, l’écologie politique qui n’arrive pas à incarner les préoccupations des citoyens… On nous a fait ça aux européennes et on a fait deux fois plus que les sondages, et si on avait écouté les sondages on aurait pas gagné une seule ville écolo en 2020. Donc comme on dit chez moi,  c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses ! On verra le 10 avril quels sont les scores qui seront sur la table.

Sandrine Rousseau a également affirmé dans une interview à Libération voir du sexisme dans cette éviction. Le collectif Osez le féminisme vous a notamment accusé de « feminist washing », notamment en raison d’un  manque de prise de positions sur les droits des femmes précédant la  primaire. Considérez-vous la question féministe comme un point faible de votre campagne ?  

Non, absolument pas. Les écologistes depuis quarante ans font du féminisme le cœur de leur priorité parce qu’on considère qu’il ne peut pas y avoir de combat écolo et de société apaisée où l’on s’épanouit quand la majorité est maltraitée. C’est assez basique. Les inégalités et les violences n’ont pas à être dans la société donc on mène ce combat depuis très longtemps, on va continuer à  le mener, et d’autres le mèneront. Le combat féministe, comme le combat écolo, n’appartient à personne.  

D’après un sondage France Inter Ipsos Sopra-Steria publié fin janvier, si vous êtes perçu comme le candidat le plus compétent sur l’environnement, seul  2 % des Français vous identifient comme le candidat le plus crédible sur des enjeux comme la délinquance ou le terrorisme. Êtes-vous en mesure de répondre à ces débats lancinants sur les questions régaliennes ?  

Bien sûr, ça fait longtemps qu’on fait des propositions. Étonnamment dans notre  pays — et c’est là que la campagne est incontestablement importante pour lever des doutes —, il est marrant qu’on fasse confiance sur la sécurité à ceux qui ont échoué. Au fond, les plus crédibles, c’est toujours la droite. Sarkozy a réduit de 12 000 postes la police, a mis à bas le renseignement local, a fait la  guerre en Libye… On a des soldats français peut-être tués par des armes issues de la Libye. On a un gouvernement où l’on a vu avec les derniers chiffres l’explosion des violences aux personnes et des violences sexistes et sexuelles. Et  ces gens-là nous donnent des leçons de sécurité. Nous on veut être efficaces en matière de sécurité : remettre les policiers et les policières dans la rue pour  s’occuper des tâches essentielles de prévention, d’investigation, et attraper les méchants quand il faut attraper les méchants. Aujourd’hui les policiers on leur demande de faire du contrôle au facies, de faire le maximum d’AFD [NDLR, amendes forfaitaires délictuelles], pour faire de la politique du chiffre. Ils n’ont pas le temps de s’occuper des vrais problèmes, de prévenir ou d’accompagner. Nous on aura une police efficace et nous n’avons rien à envier à ceux qui ont gouverné en matière de sécurité.  

Selon ce même sondage, la crise sociale semble être le principal enjeu de cette campagne, pour 42% des personnes interrogés, notamment avec la stagnation du pouvoir d’achat, la hausse des inégalités et le manque de mobilité sociale. Que proposez-vous pour répondre à cette principale préoccupation de la population française ?  

Le pouvoir d’achat c’est deux choses : les revenus qu’on touche et les dépenses.  Nous on veut notamment augmenter le SMIC à 1400 euros net dès notre arrivée —  1500 dans le courant du quinquennat — et augmenter les bas salaires, y compris dans la fonction publique. Ça c’est pour la partie revenus. Mais notre spécificité c’est de nous battre sur les dépenses contraintes, les dépenses de logements. On  veut construire 700 000 logements sociaux, on veut l’encadrement des loyers, on veut la garantie universelle qui mutualise et met dans une instance publique la question des cautions pour que les locataires et les propriétaires soient rassurés et protégés. On veut aussi un chèque énergie de 400 euros pour les 6 millions de  familles qui en ont le plus besoin et rendre gratuit le covoiturage, c’est-à-dire que les frais d’essence seront pris en charge par les entreprises quand il y aura  covoiturage. On veut donc agir à la fois conjoncturellement et structurellement sur le pouvoir d’achat parce qu’au fond les Français sont confrontés à des crises qui tiennent beaucoup au fait que l’on n’a pas anticipé. Par exemple, on a pas organisé la sobriété et notre souveraineté énergétique pour ne pas être dépendants des marchés internationaux et de leurs soubresauts.  

Parmi les mesures de votre programme, vous souhaitez aussi créer un revenu citoyen pour garantir 920 euros par mois à chacun, qui représenterait un coût  additionnel de 15 à 20 milliards d’euros par an…  

Effectivement, je veux que dans notre pays on éradique la grande pauvreté. Il n’est pas normal qu’à 18 ans et jusqu’à 25 ans, on n’ait pas accès à des minima  sociaux. Il n’est pas normal que tant de gens dans notre société n’arrivent même pas à obtenir le RSA parce que c’est compliqué de l’avoir. Donc moi je veux que personne ne soit en dessous de 920 euros par mois pour vivre. Ce n’est pas énorme, mais c’est le seuil de grande pauvreté. Et je veux que ce revenu citoyen soit accessible dès 18 ans parce que je veux aussi que les jeunes soient autonomes et puissent choisir leur vie. Dans ces conditions là, ce n’est pas magique mais c’est déjà 20 milliards d’euros, vous l’avez souligné.  

Est-il réellement possible d’allier capitalisme et écologie ?  

Il faut dépasser le capitalisme. Aujourd’hui, on le voit, le capitalisme est prédateur  du point de vue social, du point de vue de nos vies privées, avec la marchandisation des données personnelles, et du point de vue écologique. Il faut donc évidemment dépasser le capitalisme. Moi, mon modèle c’est une économie régulée écologiquement et socialement. C’est pour ça que nous imposerons la règle d’or climatique qui fera que chaque euro et chaque politique publique seront conditionnés au climat et à la justice sociale. 

Et cest suffisant pour dépasser le capitalisme ?  

Le capitalisme, je l’ai dit, il faut le dépasser. Il faut réguler l’économie, c’est ce qu’on fait. Ce qu’il faut, de toute façon, c’est sortir de toutes les formes de prédation et de domination, mais il faut agir dès aujourd’hui. Heureusement que les syndicats se sont battus pour la protection des salariés, les congés, la santé au travail… sans se poser tous les matins la question de « Est-ce que je fais un compromis avec le capitalisme si j’augmente les salaires et si j’ai des congés payés ? ». Donc c’est une bataille très lourde qu’il faut mener, mais il faut la mener dès maintenant. 

Un autre sujet d’inquiétude est celui des déserts médicaux et du financement des hôpitaux. En quoi l’écologie va de pair avec la reconstruction d’un service public de la santé ?  

Parce que la santé, c’est au cœur de l’écologie. On voit qu’aujourd’hui il n’y a qu’une seule santé, que la santé environnementale, la santé animale et la santé humaine ne font qu’une. Donc on a un grand projet de santé environnementale et de sursaut sur l’hôpital avec le recrutement de 100 000 infirmières, l’augmentation des salaires pour redonner à l’hôpital sa capacité à être accessible à toutes et à tous pour une bonne santé.  

Question un peu plus générale, est-ce que selon vous la politique est un milieu où l’on doit faire carrière ?  

Non.  

Mais vous le faites quand même…  

Écoutez, j’ai commencé la politique en 2009, j’avais donc 42 ans. Donc j’ai eu plus de vingt ans d’engagement avant de faire carrière en politique. Je ne fais pas carrière, j’ai des mandats, mais vous pouvez considérer qu’effectivement depuis 2009 je vis de la politique, c’est incontestable. Mais je ne fais pas partie de cette  génération, et c’est le cas des écologistes le plus souvent, où l’on fait l’ENA,  Sciences Po — pardonnez-moi —, attaché parlementaire ou cabinet ministériel pour faire de la politique toute notre vie. On est tous et toutes des militants engagés et, à un moment donné, on considère que cet engagement on le porte dans un mandat, mais on a tous été d’abord des militants engagés sur le terrain pour sauver une rivière, combattre ici un entrepôt amazon, là une centrale nucléaire, protéger le thon rouge, combattre les violences faites aux femmes, le racisme ou la souffrance animale. C’est ça l’engagement écologiste.  

Finalement, si vous êtes élu Président de la République, quelle serait votre première mesure ?  

Ça sera de nommer une première ministre pour former un gouvernement. 

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