Transition écologique de Sciences Po : ce que contient le rapport du comité Latour
Par Gautier Crépin-Leblond et Leïla Tnitan
Samedi dernier, La Péniche a détaillé les premières propositions pour un plan d’action sur la transition écologique à Sciences Po, révélées par Solidaires Etudiant-e-s. Parmi les initiatives de Sciences Po pour mener sa transition écologique se trouve également le “comité Latour”, un comité chargé de recenser les opportunités d’étude et de recherche sur les transformations planétaires à Sciences Po. Ce comité, après s’être réuni huit fois en 2019, a rédigé un rapport que la Péniche a pu se procurer, et qui sera officiellement étudié par Sciences Po demain matin, 11 février, lors du conseil de l’institut. Ce rapport, riche de 96 pages, propose une liste détaillée des enseignements à Sciences Po portant sur le thème nommé ‘transformations planétaires », un thème suffisamment large pour y couvrir de sujets sociaux, allant des sciences de l’environnement au développement économique.
Bruno Latour explique dès la première page que le recensement des offres disponibles est voulu pour pouvoir identifier les forces et faiblesses actuelles de Sciences Po dans sa réponse aux nouvelles exigences posées par le changement climatique et des élèves de plus en plus conscients du problème. Une école perçue comme à la source les élites de demain a une responsabilité envers la société et se doit donc d’offrir une formation à la hauteur des urgences climatiques auxquelles nous faisons face.
Ainsi, le rapport Latour s’ouvre avec un bilan de l’offre actuelle d’enseignement qu’il qualifie de “très riche”. De même, il souligne les démarches dans la recherche, les conférences, simulations et coopérations académiques et internationales sur le thème de l’environnement dans lesquels Sciences Po s’investit. Parmi les succès relevés par le rapport Latour se trouve aussi la présence de l’IDDRI, l’Institut de développement durable et des relations internationales, un think tank aux “relations étroites et privilégiées avec Sciences Po” et dont on retrouve des membres dans le corps enseignant. Enfin, sont également mentionnées les associations étudiantes qui participent à l’activité du débat public : Sciences Po Environnement, PAVéS (Plateforme Autogérée à Visée écologique et Solidaire), Villes et Décroissance, Sciences Po Zéro Fossile.
Le rapport note cependant de nombreuses pistes d’amélioration. L’offre est au final trop limitée, en particulier dans l’offre de connaissances concrètes ou générales, et certains masters comme l’Ecole de journalisme et l’école Doctorale n’ont pratiquement aucun enseignement sur le sujet. L’investissement dans la recherche est aussi trop faible; la participation de l’Institut aux débat inter-académiques est considérée par le rapport comme insuffisante. Le comité pointe également le manque d’innovation pédagogique et d’enseignements spécialisés sur les transformations planétaires.
L’annexe 5 donne un aperçu du « traitement des sujets environnementaux dans les enseignements de Sciences Po ». Réalisé par des étudiants de Sciences Po issus d’associations étudiantes environnementales et « encadré » par Henri Landes, enseignant à Sciences Po, ce travail dresse 7 conclusions. S’il est reconnu un « traitement important des sujets climatiques, surtout de la politique internationale », l’annexe reconnaît également « une forte concentration sur le secteur de l’énergie ». Enfin, le dernier paragraphe, par extension le dernier du rapport, pointe en particulier un « certain positionnement de l’ensemble des enseignements de Sciences Po en faveur du maintien d’un paradigme économique et social dominant« , malgré l’existence de plusieurs mouvements académiques et associatifs le remettant en cause.
Finalement, le rapport note « d’éventuels problèmes d’objectivité ou de partis pris dans certains enseignements ». En note de bas de page, il est indiqué que deux professeurs dans des électifs de l’Ecole d’affaires publiques sont dispensés par des employés ou ex employés de Total. Il est possible de relever dans cette catégorie un troisième cours : un électif de la même école s’intitulant Marchés des hydrocarbures et dispensé au troisième semestre par un employé d’Engie et également “Chief Strategy Officer Global LNG SAS” à Total. Le rapport n’apporte pas d’éléments supplémentaire à ce sujet, même s’il reconnaît l’importance pour les étudiants de « l’équilibre des structures politiques, professionnelles, syndicales et associatives ».
Suite à ce recensement et diagnostic, le comité prend le parti de ne pas créer de nouveau cursus spécialisé, mais vise à transformer significativement les enseignements, dispositifs de recherche et la sensibilisation des communautés de Sciences Po. Le rapport propose la création d’un programme transversal de suivi des enseignements et de la recherche, doté d’un conseil académique chargé d’encadrer les changements significatifs qu’il propose.
Au collège universitaire, il est proposé de remplacer le séminaire d’exploration par un cours commun obligatoire, pluridisciplinaire, qui présenterait les fondamentaux des transformations environnementales. Les parcours civiques pourraient être mis à contribution, et le comité propose que “Sciences Po s’engage à signer des partenariats avec des acteurs du secteur de la transition climatique”. Que ce soit en master ou en bachelor, l’offre des électifs est incitée à être étoffée et plus pertinente, notamment dans les campus délocalisés. Pour l’Ecole doctorale, afin de répondre à l’aporie d’enseignements sur ce sujet, le comité suggère un “programme interdisciplinaire de formation à la recherche en sciences humaines et sociales de l’environnement”, ainsi qu’une école d’été sur les enjeux de la transition climatique.
Concernant la recherche, le rapport insiste sur la nécessité de former une nouvelle équipe élargie d’enseignants chercheurs permanents, afin de chercher les chercheurs « qui pourront modifier le plus en profondeur les paradigmes qui ont constitué les sciences sociales représentées dans Sciences Po à cause de l’irruption de la nouvelle condition planétaire ».
Demain, le conseil de l’institut se réunira pour débattre des conclusions du Comité Latour et voter le plan d’action de Make it Work. Les huit représentants étudiants qui siégeront demain seront ainsi amenés se positionner.