Succession Descoings (5) : Jean-Michel Blanquer, le poids lourd administratif

Après plusieurs semaines intenses pour tenter de trouver un créneau horaire pour nous rencontrer, nous voici enfin, en ce vendredi 19 octobre, dans le bureau du Ministère de l’Education Nationale de Jean-Michel Blanquer, dernier des quatre candidats shortlistés à nous accorder un entretien.

Docteur en droit de l’université de Paris II, agrégé de droit public, détenteur d’une maîtrise de philosophie et d’un DEA d’études politiques de l’IEP de Paris, Jean-Michel Blanquer a également étudié à Harvard. Il est passionné par l’Amérique latine : après avoir été chercheur à l’Institut français d’études andines de Bogota, il fut nommé en 1998 directeur de l’institut des hautes études de l’Amérique latine. Il fut également professeur de droit public à Paris, Tours, à l’IEP de Lille mais aussi à Sciences Po Paris. A partir de 2004, sa carrière prend un tournant plus administratif puisqu’il devient recteur de Guyane, directeur adjoint au cabinet du ministre de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la recherche, puis recteur de l’académie de Créteil. Il est aujourd’hui directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l’Education Nationale. Directeur de Sciences Po serait sa cinquième responsabilité de structures administratives.

Il nous met tout de suite à l’aise, nous offre café et petits gâteaux, et nous nous installons dans de gros canapés en cuir pour une heure d’entretien sans langue de bois qu’il commence en nous confiant que nous sommes le premier média qu’il accepte de rencontrer au sujet de sa candidature à la direction de SciencesPo.

Un profil à la croisée

article_0911-PAR03-BLANQUER.jpgSon profil est un parfait mélange d’universitaire et de haut fonctionnaire. Il se « considère tout d’abord comme un professeur de droit public. C’est (sa) profession première ». Mais il est aussi « adepte de la pluridisciplinarité », et connaît bien la fonction publique. En tant que directeur de la DGESCO, il gère toute la politique éducative et pédagogique ainsi que les programmes d’enseignement des écoles, collèges et lycées. Il a 54 milliards d’euros de budget à gérer tous les ans, soit 300 fois celui d’un institut comme Sciences Po ; gestionnaire, c’est le moins que l’on puisse dire. Alors, pourquoi se tourner vers SciencesPo ? Parce que l’école est un « modèle », « un point de repère ». Elle a un rôle moteur horizontal sur le système universitaire mais aussi vertical, sur le système scolaire. Passer le concours de SciencesPo reste le but d’un certain nombre d’élèves et les pousse vers le haut. De plus, Jean-Michel Blanquer tient à préciser qu’il est un « faux extérieur » à SciencesPo. Il y fût étudiant, intervenant, professeur et membre de l’école doctorale mais fût également partenaire de l’école lorsqu’il était recteur. Il monta ainsi la première Convention d’Education Prioritaire avec l’outre mer (en Guyane), puis multiplia les partenariats avec des lycées ZEP de l’académie de Créteil. Il fonda également les internats d’excellence et l’un des lycées expérimentaux auxquels tenait tant Richard Descoings.

L’héritage de Richard Descoings

« Il faut arrêter d’être manichéen au sujet de Richard Descoings. C’est un homme, avec des forces et des faiblesses, des qualités et des défauts. ». A sa mort, il était vu comme un saint, et depuis le rapport de la Cour des comptes comme un diable : ce n’est ni l’un ni l’autre. L’héritage que trouvera le prochain directeur est « un héritage collectif, qui s’est construit au fil des générations et qu’il faut éviter de personnaliser». Jean-Michel Blanquer souhaiterait donc sortir de cette agitation médiatique en toute sérénité. Et d’ajouter qu’il faut également prendre le rapport de la Cour des Comptes avec sérieux et prudence : « l’approche médiatique en est parfois sensationnaliste ». Et il parle en connaissance de cause, ayant régulièrement affaire aux sages de la rue Cambon pour son travail au Ministère.

« Plus de transparence et un contrôle des pouvoirs plus qu’un changement structurel »

« Un très fort atout de Sciences Po est la séparation entre FNSP et IEP ». Il faut cependant que « la FNSP connaisse une évolution de sa gouvernance » pour « renouer avec les origines de la FNSP », c’est à dire avoir une vision d’ensemble, et rétablir une plus grande collaboration avec les IEP de province. Concrètement, qu’est-ce que cela donne ? «C’est plus un état d’esprit que des mesures concrètes», mais cela passe par des discussions régulières avec les directeurs des IEP ainsi que des passerelles. Cela permettrait de redonner à la FNSP sa visée nationale, tout en gardant la force de l’IEP parisien auquel les meilleurs élèves de province pourraient désormais accéder. C’est une relation « à consolider techniquement mais surtout psychologiquement. »

Développer la recherche pour attirer les financements

Jean-Michel Blanquer fait de la recherche sa priorité. SciencesPo doit « rester à l’avant-garde de la réflexion sur les problématiques de notre temps ». Il est donc très favorable à la participation de l’établissement au PRES dans le cadre d’un Idex qui permettra d’augmenter les moyens financiers de l’institut . « Il ne faut pas avoir peur » de perdre notre particularité, puisque la FNSP joue un rôle fort de quille de bateau. Cette capacité financière supplémentaire est indispensable. En effet, « on a atteint un plafond en ce qui concerne les frais d’inscription », et « il faut limer l’effet de seuil ». Il faut donc aller chercher d’autres ressources, que ce soit par la formation continue, la formation à distance, le mécénat d’entreprise ou les anciens élèves. « Ce n’est pas une habitude très française, mais SciencesPo a toujours été à l’avant-garde de ce qui se fait en France». En ce qui concerne la politique immobilière, il est toujours mieux d’être propriétaire que locataire, « c’est une question de bon sens, (il) raisonne en bon père de famille », mais on ne peut pas toujours se le permettre. Il faudra agir en fonction des moyens dont dispose l’IEP.

Consolider l’ouverture de Sciences Po et son rôle moteur sur le système scolaire

C’est un sujet qui lui tient manifestement beaucoup à cœur. Il faudra donc revenir sur la dernière réforme du concours d’entrée. Jean-Michel Blanquer assure la comprendre, mais pense néanmoins que « la suppression de l’épreuve de culture générale n’envoie pas le bon message ». La qualité de la langue et les humanités restent des fondamentaux du cursus à SciencesPo et des enjeux au niveau du secondaire, qu’il s’agit de ne pas négliger. « Une réflexion collective s’impose : on ne peut se permettre de réformer le concours tous les ans. » Il faudra également continuer le développement des CEP, pour lesquelles Jean-Michel Blanquer a beaucoup œuvré aux côtés de Richard Descoings lorsqu’il a été recteur. Elles «montre(nt) la voie d’une ouverture synonyme d’excellence ». Dans la même lignée, il propose de renforcer les « cordées de la réussite » pour que « les étudiants de Sciences Po s’impliquent dans le tutorat d’élèves plus jeunes ». Enfin, il est important de « s’appuyer sur la dimension internationale ». Les partenariats doivent faire l’objet d’évaluations régulières permettant de « mettre l’accent sur ceux qui portent les meilleurs fruits » pour que les étudiants puissent profiter d’une offre d’universités aussi intéressante que possible.

Alors finalement, le projet de Jean-Michel Blanquer en un mot ? « Illustrer un projet humaniste » du XIXème siècle. «La formule peut sembler grandiloquente, mais (il) y croi(t) profondément. » SciencesPo « a un véritable impact sur la société française, non seulement par la formation des élites mais aussi par son influence sur le débat public ». Il souhaite ainsi tout en consolidant les grandes avancées de l’ère Descoings continuer à ouvrir Sciences Po sur le monde et sur la société française, conscient de son rôle moteur dans le système scolaire et universitaire français. Et le candidat espère bien que son projet et son profil auront convaincu le jury qu’il en est capable.

3 Comments

  • Gaston Melo

    JMB est pour la planète universitaire de l’Amérique Latine une référence majeure. Sa compréhension des enjeux régionaux ainsi que sa vision d’avenir pour la relation entre l’Europe et les latins de l’Amérique sont des incontournables. Nous encourageons les décideurs du processus Sciences Po. de tenir compte d’un travail propre, intense, éclairé et porteur.

  • Beziat

    Sciences Po est un des viviers de réflexion et de personnes pour la société française, Jean Michel Blanquer semble l’avoir compris et son projet l’incarner. Il est temps de regarder en avant au lieu d’argumenter sur le passé. Montrons l’exemple !

  • Matfuse

    Cet interview suscite mon intérêt.
    Je trouve son approche pragmatique, constructive , valorisante pour l’école et ses étudiants.
    Il se degage également l’envie d’une sérénité retrouvée, bref, un digne successeur à Richard Descoings.