Revue Ciné : Semaine N°6
La Revue Ciné n°6 vous emmène sur les pas du contestataire God Bless America de Bob Goldthwait, puis du dernier François Ozon, Dans la maison.
Pavillon étoilé en berne
God bless America, de Bob Goldthwait
« American superstar is the new coliseum » déclare Frank, le personnage central de cette comédie où la télé-réalité devient un outil d’abrutissement des masses. Du pain et des jeux disait-on, ici on dénonce plus le pop-corn et MTV.
Bob Goldthwait fait en effet un portrait au vitriol de la société américaine. Frank est divorcé, il perd son job et on lui diagnostique une tumeur mortelle. Il en vient à penser au suicide, exaspéré par la superficialité des relations humaines et les incivilités permanentes. A cela s’ajoute sa consternation face à une société oppressante. Le film dénonce tout d’un bloc : la stupidité des programmes télé, la désinformation dans les médias, l’abrutissement devant les jeux vidéo, ou la banalisation de la violence sur internet.
Vous en conviendrez, chacun a déjà eu cette petite pulsion meurtrière, face à la bêtise crasse, le mépris ou l’indifférence. Seulement Frank, lui, décide de passer à l’acte. Il rencontre bientôt Roxy, lycéenne sur-vitaminée et blasée par son quotidien. Ensemble, ils entament une forme de croisade contre la bêtise, l’intolérance, et ceux qui font des « high five ».
La quête est immorale, certaines images dérangent, mais le duo déjanté nous fait partager ses petits plaisirs sadiques. Dans leur voyage délirant aux quatre coins de l’Amérique, ces Bonnie and Clyde écrivent une poésie du meurtre paradoxale. Pétris d’idéalisme, ils vous rappelleront surement les héros de Kick Ass. Le film est assurément politique et clame sa détestation des Tea parties et de ceux qui sèment la peur ou la haine en général. L’Amérique républicaine et la NRA tremblent dans leurs santiags ! La question de la légitimité de l’action violente voire terroriste se pose. On s’attache indéniablement à ces tueurs et leur vision de la France amuse. Notre pays devient en effet un territoire rural où l’on déteste la superficialité, les américains et les douches…
Bien que déjantée, cette comédie est une satire méthodique. On y dénonce la glorification de la médiocrité et d’une société du divertissement. Une société où tout semble permis sous couvert de l’humour, quitte à être vulgaire, cruel ou abruti. L’accusation est bien connue et bien illustrée. On se satisfait tout de même que le film ne dure qu’une heure quarante, sans quoi il tournerait vite à vide. Le message saute aux yeux, la réflexion est vite bouclée, mais elle est très bien emmenée.
« Why have a civilization if we are no longer interested in being civilized? »: voilà l’interrogation militante que formule ce film. Voilà une comédie pleine de sens, légère et délicieusement corrosive. God bless America dénonce la bêtise par l’absurde, et la soigne par l’hilarité.
Pierre-Yves Anglès
Plongeon dans la narration
Dans la maison, de François Ozon
Germain Germain, prof de français en lycée, vit plutôt mal sa rentrée face à une classe au niveau déplorable. Pourtant, il y fait la rencontre surprenante et soudaine de Claude, ado de 16 ans, se démarquant du reste du « troupeau de moutons » de la classe, qui lui soumet ses textes. Voyant en lui le jeune homme talentueux qu’il aurait voulu être,
Germain retrouve son goût pour l’enseignement, le prend sous son aile et l’encourage alors à écrire. Néanmoins, cela n’est pas sans conséquence, et va vite se retrouver pris à son propre jeu.
Après Potiche, Ozon fait son retour ce mois-ci avec ce thriller sombre, en adéquation parfaite avec l’ambiance que nous impose la météo ces jours-ci. Mais plus que faire un thriller, Ozon nous emmène surtout dans un voyage au cœur de la narration. Scénario bien ficelé, dialogues réfléchis, surprise, suspense, mais aussi parodie et humour. Le réalisateur ici se pose donc en Capitaine Nemo d’un Nautilus déambulant savamment dans les limbes du récit. Des personnages à double tranchant : un ado différent et mystérieux à la gueule d’ange, gamin malin ; un homme aigri, frustré, mais naïf ; une « famille normale » à « l’odeur de la classe moyenne ». En suivant la construction d’un adolescent à fleur de peau, cherchant « à quoi ressemble une famille normale ».
On suit également la construction, la narration d’un récit, à huis-clos dans la maison, ou plutôt dans l’esprit. Sans pour autant échapper, au détour d’un nouvel épisode, à une petite pointe de satire sur les plus satiriques, les bobos snobs interprétés par Luchini et Scott – Thomas (ndlr : chose encore plus drôle quand c’est une salle entière de snobs du 6e qui rit bruyamment à sa propre moquerie).
Fiction ou réalité, désirs de Claude ou de Germain, on s’y perd rapidement. Mais c’est justement ça qui fait la force du film. En somme on se retrouve plus spectateur que jamais, voyeurs de voyeurs d’un voyeurisme. Un enchevêtrement de niveaux de lectures et de narration bon comme un gâteau à 10 étages.
Oubliez Inception, la vraie mise en abyme d’abîmes de l’esprit en ses confins les plus étroits et les plus sombres est bien ce moment au cinéma. Et, ne vous y méprenez pas, pas besoin d’avoir les neurones en forme olympique pour y aller, il suffit de s’asseoir et ouvrir grand ses yeux. Allez-y, venez, voyez, regardez comme ils dansent, comme des mots sur du papier à lettres.
Palmyre Bétrémieux