Revue Ciné n°11: les sorties de la semaine

Nature, amour et découvertes

A la merveille, de Terrence Malick

La Merveille, Mont Saint Michel. Un américain, une ukrainienne, et beaucoup d’amour. La passion à la merveille. Ils connaissent une passion tardive mais brûlante, et décident d’emménager ensemble en Oklahoma. L’expatriation, la cohabitation avec la fille française de Marina. La passion douloureuse, ravageuse, les sentiments inexplicables. Le doute.

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Malick avait déjà frappé les esprits et les critiques de la Croisette en 2011 avec The Tree of Life et ses désormais fameux enchaînements entre images de dinosaures et de fonds marins. Ici, il déroute plus qu’il ne choque. En effet, il ne faut pas voir dans l’affiche surexposée, quelque peu arty sur les bords, ni dans la bande annonce suintant les sentiments exacerbés, la romance et le désespoir des relents de Coppola fille. Ici la métaphysique, presque mystique, joue bien plus que dans les comédies de cette dernière. On s’évade dans les champs au coucher du soleil avec les personnages, on les suit partout, en gardant une distance de sécurité, en restant de propres spectateurs . En revanche, une chose est sûre, on se perd bel et bien avec eux. Qui est exactement ce prêtre ? Et cette cow-girl blonde ? A la merveille ne nous raconte pas d’histoire(s), mais nous montre plutôt une façon de s’en raconter nous-mêmes, ou plutôt d’en découvrir de nouvelles en se posant les bonnes questions.

On en ressort dérouté sans être perdu, reposant sur un drôle d’équilibre inexplicable, comme sur les sables mouvants, à la merveille.

Palmyre Bétrémieux

Petite Sirène

Au bout du conte, réalisé par Agnès Jaoui

Issu de la collaboration Jaoui/Bacri, Au bout du conte est un film choral autour d’un couple très niais et très amoureux, d’un homme qui se met à croire sur parole une voyante qui lui prédit qu’il va mourir bientôt, et d’une femme qui est incapable d’apprendre à conduire. La romance entre les jeunes personnages est le pilier du film, et l’on croit en l’amour qu’ils se portent, d’autant plus que les acteurs sont très bons et que Benjamin Biolay est absolument charmant en méchant mécheux. Le film n’est pas cynique, mais plutôt empreint de cette tendresse un peu ironique du « on te l’avait bien dit » dans un style propre au tandem. Jaoui ne s’épargne pas et caricature son vieillissement en jouant une actrice qui a manqué son tour (« ça te plaît les rides, la peau qui tombe, toi qui es comédienne ? »). Bacri, égal à lui-même, convoque sa mauvaise humeur élevée en art de vivre à la française, et la salle exulte. Les répliques sont finement tournées et le scénario bien construit : on est ravi de voir que la machine fonctionne toujours.

« En ce moment dès qu’elle a deux minutes elle lit la Bible »

tournage "un jour mes princes viendront"

Au bout du conte ajoute à la comédie un deuxième niveau de lecture qui est celui des allusions ludiques au merveilleux, au surnaturel, à la croyance présentées par petites touches, en accompagnant la mise en scène sans la plomber. Accompagnée par une photographie facétieuse qui transforme les plans en tableaux et inversement, une forêt de symboles émaille le film, comme un appel de pied joueur aux références et à l’enfance des spectateurs. Blanche Neige, la Bible, les théories de psychologie, la sofrologie, le tiercé ; tout est mis dans un même (grand) sac, et renvoyé à un statut de croyance qui peut être « aidante » aussi bien que destructrice. Ce surnaturel de tous les jours préside aux destinées des personnages et est une (sinon l’unique) grille de lecture à travers laquelle ils comprennent ce qu’ils vivent. Cette gymnastique de références qui évoque la psychanalyse des rêves renforce agréablement le film, sorte de feel-good movie qui se serait un peu égaré en chemin. Tout conte fait, on a le sentiment que les Jabac s’amusent, et nous avec.

Julie Henches

No, de Pablo Larrain

Dés la première scène, le film de Pablo Larrain a de quoi désarçonner. Ainsi l’aspect très particulier de la mise en image choisie par le réalisateur nous interpelle immédiatement ; loin d’opter pour la caméra dernier cri, Larrain tourne avec une caméra analogique, dont les couleurs délavées inscrivent l’ensemble du film dans une autre époque. Désarçonné, on l’est aussi par la nature de René Saavedra, cet anti-héros qui, publicitaire, vit de la société de consommation que la dictature a instauré au Chili et qui malgré tout choisit d’accepter l’offre qui lui est faite de participer à la campagne du « non » dans le référendum contre le dictateur Augusto Pinochet, sans que l’on sache vraiment s’il agit par opportunisme, conviction ou un mélange des deux.

Et pourtant, l’ambiance que Larrain transmet nous tient éveillés, nous permet d’observer chaque détail d’un film dont la vieille caméra analogique ne laisse rien passer, à commencer par les contradictions humaines des hommes du non, Saavedra incarnant ce Chili qui, bien qu’ayant conscience des crimes de la dictature, s’est coulé sans qu’il le sache ou qu’il le veuille, dans le moule consumériste, tandis que les vieux dirigeants des partis du Non incarne ce Chili qui, malgré les années d’exil, n’a rien oublié des souffrances et des déceptions provoquées par le coup d’Etat de 1973. La dictature est elle aussi soumise à la vue des spectateurs, à travers le vieux personnage du ministre d’Etat, qui face à un pays qu’il ne comprend pas, qu’il n’a jamais compris, n’adopte pour attitude que le mépris et ne sait le soumettre que par la force.

Si le film fait réfléchir, il provoque aussi de nombreux éclats de rire, qui, là encore, témoignent de la maitrise dont fait preuve Larrain pour retranscrire de façon fidèle le Chili des années 1980. On s’amusera ainsi d’entendre des dialogues parsemés d’insultes propres aux chiliens ou encore à voir comment les stratégies de la campagne sont élaborées de façon informelle autour d’une grillade ou au bord de la plage. Mais ce sont bien surtout ces spots télévisuelles destinés à la campagne, dignes d’une « pub Coca-Cola » pour reprendre la critique d’un des personnages, qui provoqueront le plus souvent l’hilarité dans la salle tant il faut reconnaître que l’humour est ici utilisé avec une subtilité qui séduit.

Enfin, s’il faut souligner autre chose que la performance touchante sans être simpliste de Gabriel Garcia Bernal en tant que René Saavedra, et celle tout aussi remarquable d’Alfredo Castro en tant que patron de droite de Saavedra, c’est bien la nuance ici encore très subtile et politique que Larrain transmet avec la fin de son film. En effet, c’est là l’un des aspects les plus appréciables de « No » qu’il ne pèche pas par excès d’optimisme et n’occulte rien des espoirs déçus auquel a donné lieu l’instauration de la démocratie au Chili ; à cet égard, l’attitude de Saavedra lors du soir de la victoire est particulièrement révélatrice de son maque d’enthousiasme pour l’avenir, et que les révolutions étudiantes de 2010-2011 au Chili ont contribué à mettre en lumière.

Un film à voir sans aucun doute, non seulement parce qu’il illustre bien les aspirations et les peurs d’une époque qui vit dans l’incertitude d’une éventuelle transition politique, mais aussi parce qu’à travers ses personnages, complexes tout en étant réalistes, s’exprime la lutte douloureuse entre le passé et l’avenir, entre les illusions et la réalité.

Rodrigue Diaz-Romero