Reportage en terrain connu : le temps des fournitures
Les 3 septembre se ressembleront éternellement. Alors que je prends le chemin de la rue Saint-Guillaume avec l’humeur des grands jours, l’ambiance générale de la Ville-Lumière fait honneur aux dizaines de reportages sur la rentrée qui ont fleuri sur BFM et consorts. Les enfants semblent partout, tous entrant en CE2, tous à l’affût. Les pères de famille prennent leurs rôles très au sérieux : un enfant accroché à chaque manche de leur costume, et en avant pour une nouvelle année. Les enfants arborent une mine déconfite et anxieuse, tranchant avec l’impeccable netteté de la plus belle chemisette à carreaux de leur garde-robe. 7h30 à Paris un 3 septembre, une année comme les autres. L’ambiance a déjà été plus calme sur la ligne 6. Les enfants fatigués ont déjà vu leur classe sur les listes affichées sur le portail de l’école, la rentrée perd de son attrait, il ne leur reste donc qu’à embêter leur père, docilement installé sur un strapontin et arborant la sérénité de ceux qui ont déjà repris le boulot depuis le 20 août.
Dix petites heures plus tard, j’ai déjà enduré trois déroulements du programme du semestre, dû me présenter deux fois (dont une fois en allemand), et éprouvé à quel point une pause est nécessaire au milieu de deux heures d’amphi.
Sciences Po n’a pas changé.
Sortie du métro, il est 17h30, et le Monoprix de Dugommier a tout l’air d’être l’épicentre d’un mouvement unique, annuel et adoré des parents : l’achat des fournitures scolaires. Plongée solaire et bruyante dans l’odyssée ordinaire des 3 septembre.
Les magasins qui vendent de la papeterie usent d’autant d’originalité que les instits qui les indiquent : chaque année on ne risque pas de passer à côté des cartables PSG, des règles flexibles, des feutres qui sentent les fruits et des packs de 5 cahiers Clairefontaine. Le Monoprix de Dugommier ne déroge pas à la règle, et a vu les choses en grand pour l’échéance commerciale importante qu’est la rentrée. Une fois passés les grands panneaux « back to cool », habilement trouvés, on pénètre à l’étage où les fournitures scolaires cohabitent avec des achats plus intemporels et moins stratégiques : assiettes fantaisies, ampoules et casseroles font face au flux continu de parents et d’enfants qui agite pour un soir ou deux l’industrie des cahiers et des crayons de couleurs… Tous les moyens sont bons pour séduire les consommateurs, à savoir les jeunes gens tout juste rentrés en CE1. C’est ainsi que le cartable flanqué du numéro 7 d’Antoine Griezmann ou l’agenda « All you need is holidays » deviennent les produits qui trouvent le plus grâce aux yeux des capitalistes en herbe. Un cahier 24×32 arborant un poisson précédé de « je m’en fish » est facturé 3€50 et compte sur le sens de l’humour des clients pour être rentable.
La clientèle du fameux rayon obéit à un certain modèle : des parents (à 76 % des mères) qui tirent en même temps leur caddie noir et leur enfant remuant. Les écoliers n’ont rien perdu de leur enthousiasme et sillonnent les rayons. Une nette distinction s’opère à l’école primaire entre ceux dont la tenue a été considéré par mon regard subjectif comme « chic » (61%) et ceux qui ont échoué dans la catégorie « pas chic » de mon bloc-notes (39 %). Cette distinction a donné de piètres résultats en ce qui concerne nos amis collégiens et lycéens : peu sensibles soit à l’harmonie des couleurs soit à l’importance de la rentrée, ils se sont tous retrouvés dans la catégorie « pas chic » de ma redoutable observation sociologique. De quoi questionner la motivation des ados d’aujourd’hui ou ma connaissance des codes vestimentaires des 12-16 ans. A voir.
Tout ce beau monde virevolte évidemment entre les rayons, donnant à la scène une allure de tourbillon. Des caddies vides encombrent sporadiquement les rayons. Pendant ce temps-là les parents tentent de faire avancer les choses, sortant de leur poche le fameux sésame, la liste des fournitures. Un fossé sépare encore ceux qui sortent un vieux papier gribouillé de dimensions de cahiers et de nombres d’intercalaires ; et ceux qui consultent la confortable clarté de leur liste sur iPhone 8. D’une façon ou d’une autre, tous se retrouvent donc en train d’acheter des tubes de colle, des protège-cahiers et des équerres tout en sondant les principaux intéressés sur leurs goûts en la matière. L’agacement monte au fil des rayons. Une mère regrette que « la maîtresse [ait] demandé un truc qu’on ne trouve dans aucun magasin donc bon… ». Un père, alors que sa fille en CP pointe un doigt fasciné vers un agenda avec des chats, réplique « quoi, t’as vu un chat, c’est ça ? », connaissant donc bien sa descendante. Les adultes sont pris dans une telle galère qu’ils en viennent à coopérer, indiquant à leurs voisins l’emplacement des tipp-ex et comparant avec eux les exigences toujours plus farfelues des maîtresses.
Les ados font partie de la fête mais préfèrent arborer une posture plus en retrait. Deux filles dégustent des esquimaux verts en commentant le choix des agendas. Une collégienne choisit des cahiers et ajoute des précisions qui n’ont pas grand-chose à voir : « Il faut un cahier pour l’espagnol mais de toute façon la prof a l’air in-sup-por-table ». Les collégiens sont venus sans leurs parents, comme des grands, mais s’indignent « putain 10 balles c’est une blague ?! » en constatant le cours des cartouches Frixion. D’autres passent en coup de vent, casque sur les oreilles, attrapent deux ou trois cahiers avec la ferme intention de ne pas trop y recourir pendant l’année…
Le ticket de caisse sera très long et affichera une somme douloureusement élevée. La fin du 3 septembre est également toujours la même : récit de la journée, mettre les cahiers dans les protège-cahiers, remplir les pages de garde. Pendant un an on n’entendra plus jamais parler de cahiers 21×29,7. Pour l’heure, il est temps de dormir. « Demain, il y a école ».
Simon Le Nouvel