Reportage : Cinq jours dans le Cachemire indien.

On vous l’a dit, on vous l’a répété, on vous le répétera, l’Inde s’apparente à « la plus grande démocratie du monde ». C’est sans doute vrai en terme d’habitants. Et en théorie, sur le papier, quand sa Constitution, la plus longue du monde, s’épand en 450 articles sur l’importance des droits fondamentaux. Mais, lorsque les histoires de viol et autres barbaries semblent se répéter inlassablement dans le pays et que l’occupation indienne du Cachemire prend des aspects de domination sans foi ni loi, on s’interroge. Non seulement sur les travers d’une société qui ne respecte pas ses principes mais aussi sur un pays, dont l’aspect démocratique n’est qu’une façade, destinée, semble-t-il, à l’Occident. Et ce revers obscur et inquiétant de l’Inde démocratique a frappé de plein fouet deux petits sciences pistes aventureux, Marine et Hadrien lors de leur escapade au Cachemire…

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Dans l’imaginaire collectif, le Cachemire évoque des tissus précieux, des montagnes enneigées et un vague conflit lointain. Le court séjour que nous y avons effectué nous a brutalement rappelés à la dure réalité politique. Nous sommes deux étudiants en deuxième et troisième année à Sciences Po. Nous avons décidé de passer notre mois d’août 2013 en Inde. Notre parcours nous a amené à passer cinq jours dans le Cachemire indien, hébergés par une famille locale. Surpris par ce que nous y avons vu et entendu, nous avons décidé de témoigner ici. Cet article ne prétend ni a l’objectivité, ni a l’exhaustivité. Dans le conflit qui oppose indépendantistes Cachemiris et gouvernement indien, nous ne prenons pas parti. Nous nous fixons comme unique but de raconter fidèlement ce dont nous avons été témoin et d’attirer modestement l’attention sur une question relativement peu évoquée en France.

Photo : Marine Denis
Photo : Marine Denis

Comme beaucoup, nous avions entendu parler de lointains troubles au Cachemire. Nous nous y sommes néanmoins rendus, attirés par la beauté des paysages. Apres la moiteur et la foule de Delhi, le Cachemire apparait en effet comme une oasis de calme et de verdure. La beauté de la vieille ville de Srinagar, faite de vieilles maisons rustiques en bois et en brique posées sur des canaux apparait encore rehaussée par les collines verdoyantes qui la surplombent et le bucolique lac Dal qui la baigne. La ville semble calme, ses rues sont propres, la circulation est tranquille. Au premier regard, on croirait presque une ville thermale des Alpes. C`est la l’étrange paradoxe que nous avons ressenti au Cachemire. Nous nous sentons comme dans un havre de paix alors que le pays est en état de guerre depuis l’insurrection indépendantiste de 1989 contre les autorités indiennes.

Photo : Marine Denis
Photo : Marine Denis

Dès nos premiers jours sur place, nous nous sommes aperçus que le trompeur sentiment de quiétude que l’on éprouve à Srinagar cachait de fortes tensions.  Celles-ci se manifestent dès l’aéroport. Le bâtiment et ses abords sont quadrillés par des militaires lourdement armés. A l’intérieur, les contrôles sont extrêmement sévères ; lors notre départ de Srinagar pour Mumbai, nous avons ainsi contrôlés pas moins de 5 fois et avons dû plusieurs fois vider intégralement le contenu de nos bagages cabines.
La route de l’aéroport au centre-ville est ponctuée de guérites militaires entourées de barbelés. A chaque carrefour, des hommes en armes sont en faction, parfois soutenus par des blindés. Sur les trottoirs, partout des patrouilles. Dans le centre ville, de nombreux camps militaires retranchés sont installés. Dans les campagnes, les routes sont constamment barrées par des checkpoints.
Au Cachemire, il est impossible de téléphoner sans forfait acheté sur place, qu’il est difficile de se procurer. Dans ces conditions, il est très malaisé de témoigner de ce qu’il se passe réellement dans la région.

Un diffus ressentiment parmi la population

Face à ce que nos hôtes n’ont pas hésité à appeler une occupation militaire, la population, d’après ce que nous avons pu en juger, semble éprouver un profond rejet. La résistance passive s’observe déjà par l’usage de la langue. Les habitants que nous avons pu côtoyer préfèrent systématiquement le Cachemiri à l’Hindi, considéré comme la langue de l’occupant. Dans les rues de Srinagar, des tombolas improvisées récoltent des fonds pour les orphelins de combattants cachemiris tués lors d’affrontements avec les forces de sécurités indiennes. Cependant, la violence de la contestation est rarement directement visible au Cachemire. Nous n’avons jamais été témoins de scènes de révolte. C’est davantage à l’intérieur des foyers que l’on peut se rendre compte de la tension ambiante.
Nous avons été accueillis à Srinagar dans une famille modeste composée d’une mère et de ses deux fils, tous deux guides en montagne. A l’égard des indiens, le frère de notre guide, V., nous a semblé particulièrement véhément. « India oppressed and suppressed us » nous répétait-il souvent. Sous couvert d’une démocratie de façade destinée à l’Occident, l’Inde bafoue selon lui tous les droits fondamentaux au Cachemire. Son aigreur transparaissait dans l’étonnante agressivité avec laquelle il répondait parfois à nos questions.

Notre guide, A., a toujours adopté une attitude plus mesurée, s’interdisant toute invective et se cantonnant à un discours factuel. Malgré cette grande retenue, nous avons souvent senti en lui la rage lorsqu’il évoquait le sort du Cachemire. C’est grâce à A., que nous avons pu en savoir plus sur les agissements de l’armée dans la région durant ces dernières années.

Violences et exactions au Cachemire

Arrestations arbitraires, racket de la population, violences policières sont selon A. des faits ordinaires au Cachemire. De nos propres yeux, nous avons effectivement pu voir un militaire voler un pile de tissus qu’il était sensé acheter, lors d’un passage de checkpoint sur la route de Wousmarj, au sud de Srinagar. Plus préoccupant encore, A. nous a affirmé que l’armée enlevait régulièrement des jeunes filles pachtounes dans cette même zone de montagne dans le double but de satisfaire les pulsions des soldats et de terroriser les populations.

Notre guide a même semblé inquiet pour le sort de Marine si une patrouille venait à s’approcher de nous, inquiétude justifiée par la tentative de viol subie par une cliente écossaise de la part d’une bande de soldats il y a quelques années.

A. nous a rapporté de régulières vagues de massacres durant les années 90 et 2000. Plusieurs personnes ont notamment évoqué un violent pogrom en 2002. Toujours selon A, un membre du cachemiri du parlement national indien aurait été brulé vif à cette occasion alors qu’il tentait de mettre fin aux violences. Une information qu’il est impossible pour nous de vérifier mais que nous rapportons néanmoins tant elle illustre le climat de terreur qui règne dans la région.

Les troubles que subit la région occasionnent des dégâts matériels mais aussi symboliques. Nous avons pu le constater par exemple à Charecharff, où une très ancienne mosquée en bois a été détruite dans les années 90 lors d’un assaut de l’armée indienne. C’est tout un héritage culturel qui a disparu dans les décombres de l’édifice dans ce qui ressemble à une volonté de s’en prendre aux racines même de la culture locale.

Photo : Marine Denis
Photo : Marine Denis

Un conflit méconnu

On évoque régulièrement le Cachemire en France sous l’angle des relations indo-pakistanaises. La région est en effet convoitée depuis le partage de 1947 par les deux pays. Cette rivalité territoriale a été la source directe des conflits de 1949 et 1956. On évoque en revanche moins la lutte interne que mènent les combattants indépendantistes Cachemiris et qui a pris son essor à la fin des années 1980.
Le séjour que nous avons pu y passer nous a fait prendre conscience des graves tensions que subit encore actuellement la région. Il est clair qu’à tout moment la situation sécuritaire peut dégénérer et de nouveaux massacres se produire.

Nehru s’était engagé sur la tenue d’un referendum sur le sort du Cachemire dès les années 50. Cela serait certainement l’honneur de l’Inde, plus grande démocratie du monde, que d’exaucer cette promesse.

Photo : Marine Denis
Photo : Marine Denis

Reportage par Marine Denis et Hadrien Bajolle.