Rencontre avec Sciences Poléon : « C’est avant tout notre passion pour l’histoire de Napoléon qui nous rassemble. »

À l’occasion des commémorations du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, La Péniche est allée à la rencontre de l’association Sciences Poléon. Hubert Denry, président de l’association, a accepté de nous faire part de son engagement au sein de cette association dédiée à Napoléon.

La Péniche : Peux-tu te présenter en quelques mots et nous parler de ton rôle dans Sciences Poléon ?

Hubert Denry : « Je m’appelle Hubert Denry, je suis étudiant en deuxième année en bicursus histoire à la Sorbonne et j’ai repris l’association Sciences Poléon à la rentrée 2021. L’association a été mise en place par des troisième année, ils ne sont donc pas sur le campus cette année, c’est pour cela que j’ai pris la suite de l’association, notamment pour pouvoir organiser des conférences et des événements pour le bicentenaire de la mort de Napoléon. »

LPN : Peux-tu présenter l’association, ses objectifs, ses actions, ses membres ?

« C’est une petite association qui a été créée en 2019 par des étudiants qui sont maintenant en troisième année, elle a donc deux ans. Depuis le début de l’année, quelques étudiants de Paris et de Reims se sont aussi portés volontaire pour organiser des événements et ont rejoint l’association, ce qui fait que nous somme une dizaine de membres mais nous nous voyons peu. Le but de Sciences Poléon est de faire connaître l’histoire napoléonienne qui, paradoxalement, est assez peu enseignée, du moins à Sciences Po ; très peu de cours sont proposés sur ce sujet. Pourtant, nous savons que c’est une histoire importante dans l’histoire de France, elle est surtout chargée mémoriellement et ce presque depuis la Révolution et l’Empire et donc le but premier de l’association est de la faire connaître.

Pour cela, nous organisons des conférences. On en a déjà organisé quatre dont deux cette année, une première conférence portant sur l’œuvre juridique napoléonienne (pour parler du Code civil et des constitutions), une autre avec le directeur de la fondation Napoléon pour parler des enjeux des commémorations et de tous les débats sur le personnage, et la semaine prochaine on en organise une troisième avec un vulgarisateur d’histoire, Quentin Censier, pour parler de l’héritage de l’Ancien Régime et de la Révolution sur le système de guerre napoléonien. Et nous espérons pouvoir en organiser d’autres notamment sur les Cent-Jours et éventuellement se lier à l’association Les Visiteurs de l’Histoire. Bien sûr, toutes les conférences sont ouvertes au public, aussi bien de Sciences Po que de l’extérieur ! »

LPN : Qu’est ce qui rassemble les membres au sein de l’association ? Peut-on observer des débats et des visions divergentes entre vous ?

« C’est avant tout notre passion pour l’histoire de Napoléon qui nous rassemble. Et pour ce qui est des débats, c’est difficile à dire parce que nous ne nous connaissons pas tous forcément très bien. Mais je ne pense pas qu’il y ait de très grandes divergences, d’autant plus que nous ne sommes pas nombreux, alors on est très contents de se retrouver pour organiser un maximum d’évènements. »

LPN : Est-ce que tu peux rappeler le contexte particulier de cette année par rapport à Napoléon ?

« Cette année 2021 est le bicentenaire de la mort de Napoléon, qui est mort à Sainte-Hélène le 5 mai 1821. Cela vient clore un « cycle de commémoration » qui a commencé en 1969 avec la célébration de la naissance de Napoléon Bonaparte. Cette année on commémore sa mort, c’est très important parce qu’il s’agit en réalité de commémorations du règne et de l’épopée napoléonienne. Cela est souvent fait en demi-teinte, on se souvient sûrement des commémorations du début des années 2000 quand Jacques Chirac avait refusé de commémorer officiellement la bataille d’Austerlitz et d’autres grandes batailles pendant son quinquennat, notamment la dernière en date, la commémoration de la bataille de Waterloo, où aucun représentant de de l’État français n’était présent. Cela montre que depuis quelques années on rechigne un peu à commémorer Napoléon. »

LPN : Peux-tu nous parler un peu des débats autour de la personne de Napoléon ?

« Les débats autour du personnage datent et perdurent depuis son ascension au trône et puis surtout du mythe qui s’est créé à Sainte-Hélène. Finalement, les critiques ne font que changer. Par exemple, au XIXe siècle, on parlait du fait qu’il avait mis à feu et à sang l’Europe, qu’il aurait tué des millions d’européens, bien que démographiquement, nous savons aujourd’hui qu’il ne s’agissait que d’un million (ce qui reste tout de même beaucoup). Ensuite les grandes critiques traditionnelles c’est : d’avoir renversé la République avec le coup d’État du 18 Brumaire, notamment le fait qu’il soit devenu empereur en 1804, la place des femmes à l’époque et le fait qu’il ait rétabli – ou enfin maintenu – mais surtout rétabli l’esclavage en 1802. »

LPN : Où l’association se place-elle par rapport à ces débats ?

« Nous avons chacun nos opinions personnelles sur la question, mais notre devoir est avant tout de faire connaître l’histoire : que les accusations contre Napoléon soient bien fondées ou pas, cela n’entre pas en jeu pour nous. Le but est vraiment de faire connaitre les événements qui sont assez mal connus. C’est pour ça que l’on organise des conférences. Par exemple, lors de celle sur la juridique napoléonienne, l’intervenant, un historien du droit, nous a expliqué des choses très intéressantes sur les femmes, l’esclavage… »

LPN : Et comment justifiez-vous le fait assez surprenant de célébrer cet homme qui a quand même fait des choses condamnables dans sa vie ?

« L’association n’essaie pas de justifier de le célébrer, mais essaie plutôt de le faire connaître, et de le commémorer bien que chacun est libre de le célébrer soi-même. Aussi, nous ne voulons pas nous inscrire dans ce débat. Le but est de donner aux étudiants et aux personnes extérieures le maximum de clés pour décider par eux-mêmes, se faire sa propre idée. Finalement cette année, quand on prête un peu attention au débat public, personne ne parle de célébrer le personnage, mais de le commémorer pour faire de la mémoire, pour que les gens sachent ce qui s’est passé pour connaitre la période, et en juger s’ils le souhaitent. C’est aussi pour connaître la France et l’Europe qui les entourent car de nombreuses institutions sont des héritages de Napoléon, le baccalauréat, l’école de Saint-Cyr, le pensionnat pour jeunes filles, la légion d’honneur… On gagnerait à comprendre que la France, l’Europe et le monde dans lequel nous vivons ont été largement impactés par ce personnage, c’est pour cela qu’il faut qu’on le connaisse, sinon, beaucoup de lieux et de symboles restent incompris. »

LPN : Qu’est-ce que l’association a prévu pour les commémorations ?

« Nous avons déjà planifié trois conférences dont deux ont déjà eu lieu. On est aussi en train d’en organiser d’autres, une à Paris et sur les Cent jours, et éventuellement une sur les polices ou le sexe sous l’empire où l’on pense à inviter Jacques Olivier Boudon, professeur d’histoire à la Sorbonne ayant écrit des ouvrages sur le sujet. D’ici les prochaines années, on ne manquera jamais de sujet pour parler de Napoléon, donc on souhaite marquer le coup pour le bicentenaire mais on va ne compte pas s’arrêter après 202 ! »

LPN : Cela n’est-il pas trop compliqué à faire passer sur zoom et le fait d’être à distance ?

« Paradoxalement, cela permet de faire venir davantage de personnes, car il n’y a pas besoin de se déplacer et justement, pour les personnes extérieures à Sciences Po, c’est plus facile. La première conférence de cette année, qui était sur un sujet assez pointu, a rassemblé une bonne cinquantaine de personnes. Pour la deuxième, environ 150 personnes étaient présentes ce qui fait quand même pas mal du monde. Aussi, à la mi-mai, le département de Seine-et-Marne organise un colloque scientifique autour de Napoléon et du département donc nous avons contacté le département pour proposer de faire venir des étudiants. Nous prenons alors en charge les inscriptions des étudiants pour qu’ils puissent se rendre au colloque, c’est donc un des événements qu’on a planifiés. »

LPN : Que pensez-vous du manque de communication politique sur ces commémorations ?

« Cela montre bien qu’aujourd’hui et depuis très longtemps, on marche sur des œufs, et d’autant plus les politiques qui ont peur de faire un faux pas. Surtout cette année, où l’épidémie occupe une bonne place du débat public, donc les politiques ne s’expriment pas beaucoup sur cette question et évitent de dire des maladresses. Aussi, on est plutôt content que le président de la République ait choisi de prendre la parole pour les commémorations bien que, comme l’a rappelé le directeur de la fondation Napoléon, on n’attend que les institutions pour se rassembler. Evidemment on est content qu’il prenne la parole, contrairement à Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou encore François Hollande qui ont fait le choix de ne pas marquer le coup, ce qui est dommage parce qu’on est passé à côté de la mémoire d’importantes batailles. »

LPN : Plus précisément, le fait que pensez-vous du fait qu’on n’en parle pas beaucoup à Sciences Po ?

« À titre personnel, je trouve ça un peu triste que personne ne s’intéresse à ce sujet qui me passionne mais c’est aussi dommage pour des étudiants qui s’intéressent à énormément de choses. Il est intéressant de connaitre [ce sujet] car ce sont des enjeux […] qui sont au centre de polémiques très actuelles donc on gagnerait à en parler, surtout dans une institution comme Sciences Po où l’on vante la pluridisciplinarité. Cette histoire impériale représente l’organisation institutionnelle, politique et économique qui a fourni un pays durant tout le XIXe siècle et encore aujourd’hui, avec par exemple le Baccalauréat, ou la légion d’honneur »

LPN : Un dernier mot pour conclure ?

« J’espère simplement que cela aidera un maximum d’étudiants à s’intéresser à la période. Je voulais aussi préciser que le vendredi 16 [avril] prochain, certains se sentiront intéressés pour découvrir un peu l’histoire militaire et pour parler du système de guerre napoléonien comme héritier de l’ancien régime et de la révolution, parce que Napoléon, génie militaire ou pas, qu’il ait révolutionné les choses ou non, est surtout l’héritier de systèmes qui étaient en place avant. Nous montrerons donc les continuités et les ruptures, ce qui est le travail de tout bon historien et c’est ce qu’on va essayer de faire avec Quentin Censier de la chaîne YouTube « Sur le Champ » qu’on vous invite à la consulter avant même et après la conférence. Merci beaucoup ! »