Rabbit Hole, l’horreur et la douceur

Il n’est jamais facile de filmer le deuil. Pathos, caricature, clichés, les écueils sont nombreux. Mais le nouveau film de John Cameron Mitchell parvient à raconter la douleur de la perte d’un enfant sans céder à ces difficultés. Rabbit Hole est un beau film, modeste, juste et doux.

Rabbit HoleBecca et Howie ont perdu leur fils il y a huit mois, renversé par une voiture alors qu’il courrait après son chien. Si la mort du fils est au cœur de ce film, elle n’est pas évoquée tout de suite. Ce sont surtout des détails intrigants qui nous la laissent deviner. La maison est trop grande, trop silencieuse. L’image elle même est trop lisse. Derrière la beauté des apparences, l’horreur va peu à peu émerger. Lorsqu’enfin l’accident est montré, ce n’est pas de manière ostentatoire. Pas de cris ni de crissements de freins, pas de petit corps sanglant, mais des gros plans sur les visages des personnages, un ralenti et surtout le silence. Comme si le cinéma était impuissant à montrer et à exprimer l’effroi de ce moment. Une modestie de la part du réalisateur, qui fait du bien.

Mais modeste ne signifie pas convenu. Plutôt que de traiter son sujet de manière vue et revue, John Cameron Mitchel filme un instant suspendu, entre la mort de l’enfant et le retour des parents à la vie. Les personnages se cherchent, le temps s’étire, les questions s’accumulent. « What are we gonna do ? » demande Becca à son mari. Comment vivre à nouveau après une telle tragédie ? Qui pour soutenir les parents au cœur de l’épreuve ? La famille, les amis, les groupes de parole ? Soutiens dérisoires que Becca refuse. Elle nie le deuil et n’accepte pas qu’on lui donne des conseils. Etrangement c’est auprès de celui qui a tué son fils qu’elle trouve finalement du réconfort. Solitaire et mélancolique, il dessine une BD sur les mondes parallèles. C’est sa façon à lui de se consoler, de se libérer du fardeau qu’il porte : dans un autre monde, il aurait pris une autre route ce jour-là, le garçon qu’il a tué serait encore en vie et sa maman pourrait encore être heureuse. De son côté, Howie fréquente un groupe de parole, où chaque couple tente de prouver qu’il est plus malheureux que les autres. Il y a ceux qui accusent le monde entier et ceux qui pensent que Dieu avait besoin d’un autre ange, que la mort de leur enfant était une nécessite. Un dérivé des alcooliques anonymes qui n’apporte ni réponses ni réconfort. Howie y rencontre une femme, avec qui il tente de nouvelles expériences : drogue, casino, ils cherchent ensemble à ressentir de nouveau la joie, pour qu’enfin la tristesse s’atténue. Les parents s’éloignent, chacun vit le deuil à sa manière et tente de trouver une échappatoire à la douleur. La limite est ténue entre comportement justifié et point de non-retour. Becca ne veut plus faire l’amour avec Howie, qui est alors tenté de la tromper. Howie ne peut pardonner au jeune qui a tué leur fils, alors que Becca s’en rapproche. Ainsi, une autre question que le film pose, c’est de savoir si le couple peut résister à la mort de son enfant, ou si la reconstruction commence par une séparation. Les parents se fuient, jusqu’au moment où ils se retrouvent, soudés par la douleur. Comme s’ils comprenaient que, finalement, ils sont seuls contre tous et ne peuvent compter que l’un sur l’autre.

Tout ça n’est donc pas très drôle, et pourrait même être sinistre s’il n’y avait pas de petits moments de grâce. Un anniversaire en famille, des fous rires entre mère et fille, un barbecue dans le jardin, des discussions dans le parc. Autant de scènes qui sont des moments de respiration, même si le chagrin n’est jamais loin.

Ces instants de grâce, on les doit presque tous à Nicole Kidman. Sa présence est un des intérêts majeurs du film. Depuis quelques années, elle n’était plus qu’une poupée Barbie, dont le visage figé prouvait les dangers d’un recours abusif au Botox. On avait (presque) oublié que Nicole Kidman est avant tout une actrice. Avec ce film, pour lequel elle a été nommée à l’Oscar de la meilleure actrice, elle revient enfin sur le devant de la scène. Plus important encore, elle nous prouve qu’elle n’a rien perdu de son talent. Dignité, tristesse, colère, elle passe du sourire glacial et feint aux crises de larmes et nous impressionne.

Loin du mélo tire-larmes auquel on pouvait s’attendre, Rabbit Hole est donc un film ambigu, qui sonde intelligement la complexité du deuil. Une belle surprise.