Partir, revenir (ou pas) : récits de 3A au temps du Covid (2/2)

Ne pas pouvoir partir en 3A : une hantise pour les sciencepistes… Mais aussi (peut-être) la possibilité d’une année « sur-mesure » pour les élèves contraint.e.s de revoir leurs plans.

Coronavirus, acte II. En cette fin d’été, la promotion 2023 de Sciences Po entame une année bien différente de celle dont elle avait pu rêver. Alors que le Covid-19 circule encore partout dans le monde et que le vaccin reste une idée plus qu’une réalité, la plupart des universités étrangères auxquelles les étudiant.e.s étaient promis.e.s pour leur année d’échange leur ont fermé leurs portes, et les projets de chacun.e ont dû s’adapter.

Plusieurs options se sont alors offertes aux 3A dont les échanges ont été annulés, soit l’écrasante majorité de la promotion, puisque seule une poignée d’universités (notamment en Europe) a maintenu les échanges. Quelques offres de « relocalisation » dans certains pays européens ont pu été proposées, mais la majorité des 3A a finalement été redirigée vers une offre de cours en ligne de Sciences Po spécialement tournée vers eux, sorte de panaché de cours de deuxième année, de master, et de cours thématiques en langue étrangère, avec un volume horaire réduit. Enfin, certain.e.s élèves ont choisi d’effectuer un stage au premier semestre en plus des cours proposés par Sciences Po, avec un nombre d’heures travaillées plus ou moins important selon les cas.

« Pourquoi moi ? »

Le printemps et l’été 2020 ont été pour ces étudiant.e.s le théâtre d’une certaine angoisse, voire d’un franc sentiment d’injustice. « Concrètement, en avril, je n’avais pas le moral », raconte Guilhem. « Je voyais mes camarades dont les échanges étaient annulés un par un… c’était franchement la déprime » décrit-il. Antoine, qui avait prévu de partir à Kuala Lumpur, en Malaisie, par envie de « [se] mettre en difficulté », explique avoir très vite « fait une croix » sur sa 3A « telle [qu’il] l’avait conçue ». « J’étais dans un état d’esprit un peu catastrophiste, la situation était gravissime, alors la 3A je n’y pensais même pas », se souvient-il. D’une façon ou d’une autre, pour tou.te.s les futur.e.s 3A, l’évidence s’est faite petit à petit : leur année ne se déroulerait pas comme prévu.

La possibilité de bonnes surprises

Certain.e.s s’accommodent étonnamment bien de cette situation inattendue. Rita, étudiante en 3A actuellement en stage chez Radio France, avoue avoir été presque « soulagée » de devoir faire une croix sur son année à la Rutgers University, dans le New Jersey. « Forcément, je suis déçue de ne pas découvrir les États-Unis, mais avec du recul, j’ai réalisé que je préférais ne pas faire cette expérience-là du pays, que je risquais de passer une mauvaise année plus qu’autre chose… », relativise l’étudiante, qui a très vite eu l’intuition qu’elle ne partirait pas, et qui se trouve désormais « assez ravie » de rester à Paris, qu’elle considère comme « [sa] ville ».

Guilhem, lui, fait partie des quelques sciencepistes à avoir pu quitter la France. Sa situation est d’autant plus unique qu’il séjourne aux États-Unis, bien au-delà de l’Europe où sont resté.e.s la plupart des 3A dont l’échange a bel et bien eu lieu. « C’était le destin ! » plaisante l’étudiant, dont l’université d’accueil (la Wesleyan University, dans le Connecticut) ne faisait absolument pas partie de ses choix d’origine.

Son départ s’est avéré semé d’embûches : « Sciences Po nous a certes suivis, mais avait plutôt tendance à nous conseiller de ne pas partir. Dans mon cas, on m’a averti que je n’aurais sûrement pas mon visa… alors que je l’ai obtenu sans problème ! » pointe Guilhem. L’étudiant déplore cela dit une conséquence importante de la pandémie : une véritable insécurité financière. « On se retrouve à payer sans prévenir des frais de dernière minute, souscrire des assurances importantes, le tout en ayant plus de mal que d’habitude à trouver des petits boulots pour financer ces dépenses… ». Guilhem regrette par ailleurs une communication de Sciences Po parfois ambigüe, bien qu’il comprenne que la situation ait aussi été difficile à gérer pour l’école.

Aller à la rencontre de l’inconnu malgré tout

« On nous vend toujours la 3A comme l’année des rencontres, et forcément, avec les cours en ligne, c’est tout de suite plus compliqué », souligne Guilhem, qui remarque cela dit que les circonstances tendent à rendre les étudiant.e.s encore plus enthousiastes à l’idée de tisser des liens. « On a d’autant plus envie de rencontrer les gens lorsque c’est possible », constate le sciencepiste, qui se réjouit de l’accent que son université d’accueil porte sur l’intégration, et assure vivre une « très belle expérience ».

« Ma 3A ? Aller élever des chèvres au Portugal »

Antoine a lui aussi fait preuve d’adaptation. L’étudiant, peu attiré par les relocalisations proposées par Sciences Po, et faute de stage sous la main, s’est ainsi retrouvé un peu par hasard attiré par un séjour dans un centre de woofing (une activité de bénévolat, le plus souvent dans une ferme) au Portugal. « Quand on me demandait ce que j’allais faire de ma 3A, je prenais beaucoup de plaisir à répondre que j’allais élever des chèvres au Portugal », s’amuse-t-il. « Je ne sais pas où je serai la semaine prochaine, je vais me laisser porter, bourlinguer un peu », raconte-t-il, les mains littéralement dans la terre de sa ferme portugaise. « Je reste dans le cadre des cours de Sciences Po que je suis à distance, mais je veux avant tout profiter autant que possible de cette expérience particulière pour apprendre sur moi-même ».

C’est peut-être dans ce retournement de point de vue que se trouve la clé pour profiter de cette 3A chamboulée : voir les barrières sanitaires et géographiques comme autant de moyens de « créer » sa propre 3A. « On est une des premières générations de 3A avec autant de possibilités devant nous », analyse Antoine. « C’est une 3A particulière… mais pas forcément moins bien qu’une 3A classique », conclut Guilhem, finalement ravi de son quotidien sur son « petit campus du Connecticut perdu au milieu de nulle part ». 

Partir, rester, voyager, autant de façons particulières de vivre une année définitivement surprenante, mais loin de n’être qu’une déception. Ce que racontent les sciencepistes interrogé.e.s ici, c’est que face à une situation sur laquelle on a aussi peu de contrôle, et si on a la chance d’avoir les moyens de bâtir des projets parallèles, le fait de s’adapter, vaille que vaille, et de compter sur ses proches permet de se construire petit à petit une année aussi unique et enrichissante que possible. Rendez-vous d’ici quelques mois pour les conclusions que tirera la promotion 2023 de cette 3A unique en son genre…